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La polémique autour d’APB ou comment occulter l’indispensable débat sur l’orientation [Note #7]

Chef du pôle ENESR

Ancien président de la CEVPU

En France, le débat sur l’accès aux études supérieures semble phagocyté par deux approches également conservatrices : à la première disant « surtout ne changeons rien, il suffit de limiter le nombre d’étudiants », l’autre répond en miroir « surtout ne changeons rien, il suffit d’augmenter le budget ».

Cette controverse n’est pas nouvelle et, déjà dans les années 1960, alors que le taux de bacheliers était plus de quatre fois inférieur à celui d’aujourd’hui, la question se posait déjà de la sélection dans l’enseignement supérieur et des « pseudo-étudiants » non présents en cours ou ne disposant pas du niveau escompté[1]Jacques NARBONNE, De Gaulle et l’éducation. Une rencontre manquée, Paris, Denoël, 1994, p. 137..

Car ce débat se fonde trop souvent sur des impressions insuffisamment étayées par des statistiques. Ainsi, lorsqu’on examine par exemple les comparaisons internationales, la réalité apparaît-elle bien plus complexe. En effet, tant le budget consacré à l’enseignement supérieur par la France que le nombre d’étudiants en post-baccalauréat sont dans la moyenne des pays de l’OCDE[2]OCDE, Regards sur l’éducation 2017 : Les indicateurs de l’OCDE, Paris, Éditions OCDE, 2017, Tableau A1.2 et graphique B1.2. http://dx.doi.org/10.1787/eag-2017-fr . Autrement dit, les autres pays ont en moyenne autant d’étudiants que nous et ne consacrent pas plus d’argent à l’enseignement supérieur.

De même, loin des 60% d’échec martelés à tort et à travers par nombre de personnalités publiques, les chiffres du ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation nous apprennent que moins d’un quart des bacheliers de 2008 qui se sont inscrits en Licence après l’obtention de leur baccalauréat sont sortis du système sans aucun diplôme six ans plus tard[3]Ministère en charge de l’Enseignement Supérieur, Repères et Références Statistiques (RERS), 2017, page 195, tableau n°1. … Continue reading.

De fait, avant de réformer, il serait utile de poser les bons constats en évitant les faux débats, comme l’a récemment illustré celui qui s’est noué autour de l’algorithme Admission Post-Bac (APB), aujourd’hui disparu.

De APB à ParcourSup : changer de nom pour sélectionner sans le dire ?

Le système français d’enseignement supérieur est marqué à la fois par le droit à la poursuite d’études pour tout titulaire du baccalauréat et par une forte hiérarchisation des filières qui découle de la prééminence des filières sélectives.

En effet, contrairement à une idée largement répandue, l’enseignement supérieur français est déjà très majoritairement sélectif. Ainsi, dès la sortie du lycée, environ 60% des primo-accédants aux études supérieures s’inscrivent-ils dans une filière sélective (filière autre que la Licence 1 ou la Première Année Commune aux Etudes de Santé – PACES[4]RERS 2017, op. cit., page 193, tableau n°1.).

Et lorsqu’on atteint le niveau Bac+4, même si un droit à la poursuite d’études existe pour les titulaires d’un diplôme national de Licence, la sélection est la règle générale depuis la loi du 23 décembre 2016[5]Loi n° 2016-1828 du 23 décembre 2016 portant adaptation du deuxième cycle de l’enseignement supérieur français au système Licence-Master-Doctorat, article 1 … Continue reading qui dispose  : « Les établissements peuvent fixer des capacités d’accueil pour l’accès à la première année du deuxième cycle. L’admission est alors subordonnée au succès à un concours ou à l’examen du dossier du candidat ».

Au demeurant, la dualité entre filières sélectives et filières non-sélectives au niveau Bac+1 n’est pas nouvelle. Ainsi, dans sa grande clairvoyance, le législateur a-t-il prévu dès 1984 : « lorsque l’effectif des candidatures excède les capacités d’accueil d’un établissement, constatées par l’autorité administrative, les inscriptions sont prononcées, après avis du président de cet établissement, par le recteur chancelier, selon la réglementation établie par le ministre de l’éducation nationale, en fonction du domicile, de la situation de famille du candidat et des préférences exprimées par celui-ci »[6]Article 14 de la loi n°84-52 du 26 janvier 1984 sur l’enseignement supérieur.. Ou, en des termes plus triviaux : lorsqu’une filière ne peut matériellement pas accepter tous les candidats, un choix peut être opéré parmi ceux-ci. Néanmoins, ce choix ne peut porter sur le dossier scolaire du candidat et la limite de capacité d’accueil d’une filière ne peut servir de prétexte à une sélection déguisée.

Cette disposition, « innocente » à une période où ne se posait pas la question des capacités d’accueil, a été perçue comme une vraie bombe à retardement qui a poussé les gouvernements successifs à recourir au tirage au sort. Elle est d’ailleurs restée inchangée depuis 1984 en dépit des différentes évolutions législatives en la matière (notamment en 1991, 2000, 2007, 2013 et 2016). En outre, une interprétation « anti-sélection » de cette disposition de la loi a été confirmée par de nombreuses décisions de la justice administrative au cours des trente années écoulées.

Mais, confronté à un accroissement important du nombre de nouveaux inscrits dans le supérieur, ce système dual craque depuis trop longtemps. Et même si le nombre de places dans les filières sélectives dès Bac+1 progresse[7]Voir les différents RERS annuels produits par le ministère en charge de l’enseignement supérieur. … Continue reading, des tensions de plus en plus fréquentes sont apparues lors des rentrées universitaires.

Les bénéfices oubliés d’APB

Avant 2009 et la généralisation de la procédure Admission Post-Bac (APB), il faut se remémorer ce qu’était l’inscription à l’Université pour apprécier à sa juste valeur le grand bond qualitatif qu’a été APB. Cette procédure, il faut le rappeler, a permis de mettre fin aux longues files d’inscription et leur règle archaïque du « premier arrivé, premier servi ». Comme l’a rappelé l’économiste Julien Grenet : « Si le résultat des courses est qu’on en revient aux listes d’attente et aux étudiants qui se bastonnent à l’entrée des facs, tout le monde aura perdu. Beaucoup de gens réclament « plus d’humain » dans la procédure. Mais l’histoire des procédures d’affectation scolaire montre que l’intervention humaine est souvent synonyme de coups de piston ou de coups de fil, d’informations que certains ont et d’autres pas, etc. C’est la porte ouverte aux inégalités d’accès[8]« Julien Grenet : Pourquoi l’algorithme APB mérite d’être sauvé », Le Monde économie, 10 octobre 2017. ».

Il est essentiel de comprendre que les algorithmes d’affectation du type APB sont le fruit de recherches académiques dont la source remonte au moins aux années 1960 et qui visent précisément à limiter l’injustice et l’arbitraire dans les procédures en objectivant les choix. Or, ce dernier point constitue en réalité le premier reproche légitime qui peut être formulé à l’encontre d’APB.

En effet, loin d’objectiver les choix, le fait que l’algorithme soit resté confidentiel – jusqu’à ce que la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) enjoigne l’Etat de publier son fonctionnement – a contribué à opacifier la procédure. Ainsi, nombre d’enfants biens conseillés, souvent issus de milieux sociaux favorisés, savaient-ils très bien qu’avec un bon dossier scolaire, choisir une double-licence (sélective) permettait de s’assurer à coup sûr de l’établissement dans lequel ils seraient admis.

Aujourd’hui pourtant, le principal grief porté à l’encontre d’APB est le recours en dernier ressort au tirage au sort pour départager les candidats dans les filières en tension. Même si, dans les faits, le recours au tirage au sort reste marginal et ne concerne tout au plus que 1% des nouveaux inscrits, le fait même de risquer d’être recalé à l’entrée de la filière de son choix par pur hasard, à la suite d’un classement « aléatoire » – selon les termes mêmes du ministère[9]Fonctionnement du traitement automatisé critérisé mis en place sur Admission Post-Bac http://cache.media.education.gouv.fr/file/05_-_mai/30/9/Algorithme_APB_capacites_d_accueil_limitees_586309.pdf – est légitimement peu acceptable par les candidats et leurs familles. Or, il s’agit d’un choix politique opéré en 2009 et, malgré leurs dénégations, il a été maintenu par les gouvernements successifs.

Il est donc à porter au crédit de la Ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, Frédérique Vidal, d’avoir souhaité mettre réellement fin au recours au tirage au sort.

ParcourSup : un remède pire que le mal ?

Le nouvel algorithme dénommé ParcourSup intégrera les nouvelles dispositions de la future loi – en cours de discussion parlementaire – concernant « la cohérence entre, d’une part, le projet de formation du candidat, les acquis de sa formation antérieure et ses compétences et, d’autre part, les caractéristiques de la formation[10]Article 1er du projet de loi relatif à l’orientation et à la réussite des étudiants adopté par l’Assemblée Nationale en première lecture http://www.assemblee-nationale.fr/15/ta/ta0061.asp ». Au-delà d’une simple réponse positive ou d’une absence de réponse, l’établissement d’enseignement supérieur pourra désormais répondre un « Oui si » voire même placer « En attente » les candidatures jusqu’à ce qu’une hypothétique place se libère.

Ce « Oui si », prévu dans le projet de loi, doit permettre aux établissements d’enseignement supérieur de proposer des parcours individualisés ou a minima adaptés aux étudiants dont le niveau est jugé insuffisant pour la formation de première année envisagée. Le dispositif pourrait constituer un réel progrès et un réel outil de lutte contre l’échec en première année. Mais, sans les moyens associés nécessaires à sa mise en œuvre, le risque est grand que les Universités préfèrent mettre « en attente » les candidats. De fait, il s’agirait alors d’une sélection qui ne dit pas son nom.

Par ailleurs, ce nouvel algorithme abandonne totalement le principe du classement de leurs souhaits par les candidats. Comme déjà évoqué, une adaptation de la procédure était évidemment nécessaire sur ce point car la conception même de l’algorithme conduisait à des stratégies favorables aux candidats « insincères » bien informés. En effet, un candidat ayant placé en premier vœu une licence en tension et en deuxième une filière sélective, en cas de refus de son dossier par cette dernière, était certain d’être « préféré » par l’algorithme pour l’inscription dans la licence en tension à un candidat ayant fait le choix inverse même si, en vérité, tous les deux préféraient la filière sélective.

Comme évoqué précédemment, un bon algorithme d’affectation doit permettre d’objectiver le choix, de le rendre plus juste, mais aussi de garantir au candidat « sincère » que la proposition formulée sera optimale et qu’aucune stratégie « insincère » n’aurait été meilleure. Aussi ce point méritait-il d’être corrigé.

Mais comme l’ont indiqué plusieurs chercheurs et responsables étudiants à l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques lors d’une audition publique en novembre 2016[11]Les algorithmes au service de l’action publique : le cas du portail Admission Post-Bac (APB) … Continue reading, l’abandon du classement des vœux fait craindre que le nouveau système ne se transforme en une usine à gaz pire que le mal que l’on voulait traiter. Là où APB ne proposait qu’une seule réponse aux candidats, ParcourSup réalisera plusieurs vagues de propositions que les aspirants seront appelés à accepter ou refuser dans un délai plus ou moins contraint.

De fait, ces vagues successives de propositions permettront en partie d’éviter des stratégies « insincères » de la part des candidats ; mais elles vont simplement remplacer ce qu’aurait fait automatiquement un algorithme APB corrigé pour utiliser d’une meilleure manière l’information sur le classement des vœux. Cela ne changera donc rien au système en lui-même, mais augmentera mécaniquement les délais de réponse.

D’autre part, les universités se trouvent bien embarrassées[12]Se reporter à Sauvons l’université, « Loi sur « l’orientation et la réussite des étudiants » : des motions comme s’il en neigeait », janvier 2018 … Continue reading par les éléments de cadrage national des attendus pour les mentions de licence. Ceux-ci sont, dans la plupart des cas, à la fois trop génériques pour faire office de filtres à l’entrée en Licence, et trop peu quantifiables pour pouvoir objectiver les choix. En outre, le travail des universitaires s’en trouvera considérablement alourdi car l’analyse ne peut pas être automatisée et, si l’on souhaite qu’elle soit bien réalisée – c’est dire a minima de manière objective et en toute transparence – le dispositif sera extrêmement chronophage.

Au final, le risque est grand de passer d’un système trouble à un système opaque où l’arbitraire humain reprendra une place conséquente. De même, il y a fort à craindre que les usagers n’aient in fine guère plus confiance en ParcourSup qu’en APB. D’autant plus siles étudiants et leurs familles devaient se sentir floués en découvrant qu’une sélection avait été, de facto, mise en place à l’Université alors que le Gouvernement et les députés de la majorité n’ont eu de cesse de clamer que tel n’était pas le cas et même que « ce sont les étudiants qui ont le dernier mot[13]Laetitia AVIA, députée (LRM) de Paris, Questions Politiques, 50’45″, France Inter, 24 décembre 2017 … Continue reading  »; argument factuellement faux, comme vu précédemment, puisque l’université peut très bien mettre « en attente » des candidatures.

Un observateur avisé pourrait légitimement en conclure que, en la matière, le Gouvernement s’est livré à une bonne opération de « rebranding » du système plutôt qu’à une amélioration en profondeur. Ainsi, la réforme votée ne change-t-elle rien au fait que le baccalauréat n’est plus le passeport pour l’enseignement supérieur. Pis, elle aboutira potentiellement à une sélection qui ne dit pas son nom et basée sur des éléments à l’objectivité contestable.

Réformer la sélection à la française : quelle place pour le contrôle continu ?

Un rapide panorama des modes d’accès sélectifs au premier cycle universitaire dans le monde démontre que, lorsqu’une sélection existe, bien souvent, elle se base au moins en partie sur un système normalisé de comparaison des résultats des candidats :

  • En Allemagne, les notes obtenues à l’Abitur servent à une éventuelle sélection des étudiants (chaque université peut choisir de sélectionner ses étudiants lorsqu’il y a plus de candidats que de places). Le système scolaire allemand est marqué par une professionnalisation précoce et un faible niveau d’obtention de l’Abitur dans une classe d’âge ;
  • En Espagne, l’entrée est libre à tous ceux qui ont passé la Selectividad (une année de pré-orientation). Néanmoins, pour les filières les plus demandées les notes obtenues à la Selectividad ainsi que celles des deux dernières années de lycée servent à sélectionner les étudiants ;
  • Au Royaume-Uni, les universités sont libres de sélectionner leurs étudiants. Elles le font souvent sur la base des notes obtenues au lycée et au A-level ;
  • Aux Etats-Unis, les universités utilisent le GPA (Grade point average) pour sélectionner leurs étudiants au stade du premier cycle universitaire. Le GPA est calculé sur la base des notes obtenues au lycée dans les matières pertinentes pour la filière demandée. Le système de notation alphabétique – utilisé aux USA – basé sur un pourcentage de compétences/connaissances acquises est nettement moins variable d’un professeur à l’autre ou d’un lycée à l’autre que le système utilisé en France.

Aussi, redonner au baccalauréat un véritable rôle de sésame pour l’accès à l’enseignement supérieur semble plus important que de simplement renommer une plateforme informatique. Une véritable réflexion sur la place du contrôle continu dans le baccalauréat ainsi que la date des épreuves finales doit être engagée, et ce, d’autant plus que la réforme mise en place par le Gouvernement va octroyer une importance accrue aux notes données par les professeurs de lycée et à l’avis des conseils de classe de terminale, sans aucune réflexion sur l’harmonisation des notes entre professeurs et lycées.

Le rôle des épreuves nationales reste primordial pour garantir une certaine comparabilité entre les notes ainsi que pour fixer le même objectif à tous les lycéens de France, quel que soit leur lycée : obtenir le même baccalauréat partout en France dans leur filière.

Dans cette perspective, il conviendrait d’envisager sérieusement la possibilité de créer des banques d’examen utilisables pour un éventuel contrôle continu ainsi que des notices de correction et un contrôle statistique national a posteriori garantissant l’équité et l’homogénéité des procédures de contrôle des connaissances. Il s’agirait là d’une plus sérieuse réforme que le remplacement d’APB, une réforme qui mettrait réellement fin à une hypocrisie nationale : le baccalauréat actuel n’est plus le diplôme d’accès à l’enseignement supérieur et la sélection des étudiants, lorsqu’elle existe, ne se fait pas sur des notes réellement comparables.

Le diagnostic erroné sur l’échec des étudiants d’une réforme qui passe à côté des véritables défis

Plus qu’un échec de la formation universitaire, une faillite de l’orientation

La question de l’échec dans le premier cycle de l’enseignement supérieur français occupe une grande part du débat sur l’avenir de notre système. En effet, comment pourrait-on se satisfaire d’un taux de passage de la première à la deuxième année de la licence d’environ 40% des étudiants ? Ou encore, que seulement 1 bachelier professionnel sur 20 obtienne sa licence en trois ou quatre ans ?

Ces statistiques, aussi dramatiques soient-elles, ont tendance à tuer le débat et laissent à penser que le système d’enseignement supérieur français, et l’Université en particulier, sont en échec total. La réalité est sans doute plus nuancée :

  • En premier lieu, et comme déjà évoqué, moins d’un quart des bacheliers 2008 qui se sont inscrits en Licence après l’obtention de leur baccalauréat sont sortis du système sans aucun diplôme six ans plus tard[14]RERS 2017, op. cit., page 195, tableau n°1. ;
  •  Par ailleurs, au niveau licence, le taux de réussite des étudiants en France se situe légèrement au-dessus de la moyenne de l’OCDE[15]OCDE, Regard sur l’éducation, 2016, page 192, tableau A9.1 http://www.oecd-ilibrary.org/education/regards-sur-l-education-2016_eag-2016-fr et, si on se concentre sur les filières courtes de type sections de techniciens du supérieur (STS) ou instituts universitaires de technologie (IUT), il se place même bien au-delà de la moyenne pour les diplômes à Bac+2.

Les dernières données de l’OCDE disponibles sur le sujet, bien que datant de 2010[16]OCDE, Regard sur l’éducation, 2010, page 84, tableau A4.1http://www.oecd-ilibrary.org/education/regards-sur-l-education-2010_eag-2010-fr , montrent en réalité que le problème de la France est sans doute moins celui de la non diplomation que de la mauvaise orientation. En effet, elles indiquent que près de 80% des personnes qui se sont inscrites au moins une fois dans l’enseignement supérieur en sont sorties avec un diplôme, soit 10 points de plus que la moyenne des pays de l’OCDE. Le véritable taux d’échec du système français, défini comme une sortie sans diplôme, est donc de 21% et non de 60% comme on l’entend trop souvent.

En revanche, elles démontrent également que les réorientations après un échec sont bien plus importantes en France que dans les autres pays de l’OCDE puisque seulement 64% des personnes qui se sont inscrites dans un établissement d’enseignement supérieur sortent avec un diplôme de niveau au moins égal au niveau dans lequel elles s’étaient inscrites, soit 6 points de moins que la moyenne de l’OCDE. Exprimé de manière plus directe : beaucoup d’étudiants en échec en Licence se tournent vers des études plus courtes (et donc sélectives) à la suite d’un échec et y réussissent.

Ainsi, au lieu de se poser la question de comment mieux sélectionner les étudiants ou plus facilement limiter leur nombre, faut-il plutôt s’interroger sur comment mieux les orienter.

La dualité de notre système, divisé en filières sélectives et filières non-sélectives, a conduit mécaniquement à ce que ces dernières – pourtant souvent moins prestigieuses à leur création – soient aujourd’hui largement plébiscitées par les élèves qui réussissent le mieux au lycée et au baccalauréat.

Le projet de loi relatif à l’orientation et à la réussite des étudiants conserve, sans la modifier, la disposition introduite par la loi Fioraso de 2013[17]Loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche. sur la possibilité de fixer un pourcentage minimal de bacheliers professionnels et de bacheliers technologiques respectivement dans les sections de techniciens du supérieur (STS) et les instituts universitaires de technologie (IUT). Dans ces filières, lorsque le nombre de candidats excède le nombre de places, la loi prévoit aussi depuis 2013 que des critères appropriés de vérification des aptitudes puissent être utilisés pour apprécier les candidatures des bacheliers professionnels et technologiques dans ces filières.

Malgré l’introduction de ces dispositions, la loi Fioraso n’a pas permis d’inverser la tendance qui veut que les bacheliers généraux considèrent ces filières, notamment les IUT,

  • soit comme des classes préparatoires, certes moins prestigieuses, mais tout aussi efficaces pour intégrer nombre d’écoles et surtout moins contraignantes,
  • soit comme un meilleur cadre que la L1 et la L2 pour débuter à l’Université. Ainsi, 89% des titulaires d’un DUT poursuivent-ils leurs études, dont 24% en écoles, 26% en L3 et 30% en Licence Pro[18]Enquête nationale de 2014 sur les 24 spécialités de DUT.

Les bacheliers technologiques de 2008 initialement inscrits en IUT sont 58% à avoir obtenu un diplôme de niveau Licence six ans après, alors qu’ils ne sont que 32% parmi ceux qui ont choisi initialement une licence[19]RERS 2017, op. cit., page 195, tableau n°1 et 2.. Toutefois, on imagine mal comment une filière qui sélectionne ses étudiants parmi les meilleurs candidats, est mieux dotée que la moyenne et applique une pédagogie plus adaptée pourrait « produire » de mauvais diplômés.

En revanche, lorsque l’on procède à la même analyse pour les bacheliers généraux de 2008, on observe que leurs taux de réussite sont quasi-identiques en IUT et en Licence (respectivement 76% et 75%). Ainsi, est-il légitime de se questionner sur le bien-fondé d’avoir presque deux tiers de bacheliers généraux parmi les étudiants en IUT, initialement créés à destination des bacheliers technologiques, ou encore autant de bacheliers avec mention Bien en STS qu’en classe préparatoire aux grandes écoles (CPGE)[20]RERS 2017, op. cit., page 193, tableau n°1 et 2..

Le projet de loi relatif à l’orientation et à la réussite des étudiants en cours de discussion parlementaire généralise la fixation des capacités d’accueil des formations de premier cycle de l’enseignement supérieur des établissements relevant du ministère chargé de l’enseignement supérieur. Même si cette disposition apportera plus de clarté dans le système, le risque est grand que, associé au prérequis, cette disposition ne se transforme de fait en sélection généralisée dans le premier cycle.

Pour un processus d’orientation repensé

L’orientation ne doit pas être perçue comme un processus discret intervenant uniquement à la veille de chaque choix de filière, tout au plus quatre fois dans la vie d’un étudiant : à la fin du collège, à la fin de la seconde, après le lycée et à la fin du premier cycle universitaire.

Il s’agit bien évidemment d’un processus qui devrait être continu. Avec l’annonce d’un avis à rendre par les conseils de classe de terminale sur les choix d’orientation des lycéens, il a été précisé que chaque classe aurait dorénavant deux professeurs principaux. Ces annonces tendent à renforcer la place de l’orientation. Néanmoins elles sont loin d’être à la hauteur.

Car, sans formation particulière des professeurs principaux et sans temps dégagé pour mener à bien cette mission, il y a fort à parier qu’elles se solderont une fois encore par un échec dont les principales victimes seront toujours les mêmes : les lycéens issus des milieux les moins favorisés et les moins informés. Rien d’étonnant dès lors à ce que le système français d’éducation soit régulièrement pointé du doigt dans les comparaisons internationales pour son caractère particulièrement propice à reproduire les inégalités socio-économiques de génération en génération.

Plusieurs pistes sont toutefois envisageables :

  • Au lycée, chaque professeur pourrait être chargé de suivre les projets d’orientation d’un petit groupe d’étudiants en classe de Première et de Terminale. L’ensemble du corps professoral devrait dans ce cas recevoir une formation au conseil en orientation et une remise à jour régulière sur les différentes formations proposées dans le supérieur ;
  • Un véritable service d’orientation serait chargé de ce travail de formation initiale et de formation continue ;
  • Une sensibilisation régulière aux questions d’orientation dès les dernières années de collège et tout au long du lycée des élèves ainsi que de leurs parents devrait aussi permettre de lutter contre les phénomènes d’autocensure qui comptent pour beaucoup dans la reproduction des élites ;
  • Ce travail continu d’orientation nécessiterait d’être poursuivi et amplifié dans le supérieur. Il favoriserait une détection précoce des étudiants décrocheurs et une réorientation tout aussi précoce, éventuellement au cours de la première année.

            Une meilleure orientation est sans doute le meilleur moyen de concilier exigence et massification de l’enseignement supérieur. En effet, le système français est marqué par une spécialisation assez précoce dans l’enseignement supérieur pour tous les étudiants. Ainsi, là où, par exemple aux Etats-Unis, les études de droit ou de médecine ne débutent à proprement parler qu’en Graduate School (deuxième cycle universitaire), en France à l’inverse, elles commencent dès la première année de licence et, demain avec les prérequis, dès le lycée. En effet, le module « découverte du droit » sera à l’avenir un prérequis nécessaire à l’inscription en première année de droit.

Enfin, on le constate aisément, à moins de restreindre quantitativement l’accès à l’enseignement supérieur, tout ce qui vise à améliorer la réussite des étudiants a un coût. Il apparaît illusoire de croire que la baisse de l’échec dans le supérieur aboutira à faire des économies. Même si l’on réduisait drastiquement le taux d’échec et que la durée moyenne d’obtention d’une licence passait, par exemple, de 4 ans à sa durée « normale » (c’est-à-dire 3 ans), le calcul de l’économie ne saurait être le résultat d’une simple règle de trois en raison des nombreux coûts fixes (services administratifs, bâtiments, salaires d’une large part des enseignants-chercheurs…). Mais une amélioration de la réussite devrait plutôt permettre un accroissement de la dépense par étudiant et par année d’étude.

Par ailleurs, une meilleure orientation pourrait se traduire, par exemple, par une augmentation du nombre de places en STS ou en IUT. Or ces deux formations ont un coût par étudiant plus élevé qu’une première année de Licence.

Ainsi, l’argument comptable ne doit-il pas être la principale raison d’améliorer le taux de réussite et l’orientation dans notre pays. Il s’agirait là d’un mensonge, certes bien pratique pour s’attirer les bienveillances de l’opinion publique. Les principales raisons d’améliorer le taux de réussite et l’orientation dans notre pays ne devraient être que l’amélioration du bien-être des étudiants (l’échec est rarement bien vécu par eux et leurs parents), et l’augmentation du niveau de formation de la population, seule à même de répondre aux grands défis socio-économiques auxquels notre société est confrontée.


Le nouveau projet de loi relatif à l’orientation et la réussite des étudiants tente d’apporter des réponses à quelques enjeux actuels de cette population : inscription, orientation et santé.

Comme nous l’avons vu, l’évolution de la plateforme APB en ParcourSup, mesure phare, au fort retentissement médiatique, doit encore faire ses preuves afin de ne pas correspondre uniquement à un changement d’appellation, voire même à aboutir à un outil moins efficace que son prédécesseur.

Le choix politique de Frédérique Vidal de ne plus recourir au tirage au sort est toutefois une prise de position importante et salutaire. Mais la preuve reste à apporter que ParcourSup n’aboutira pas simplement à une forme de sélection qui ne dit pas son nom et sera à même d’améliorer le taux de réussite en première année de Licence.

On regrettera d’autant plus que d’autres pistes n’aient pas été approfondies à travers cette loi : rétablissement du baccalauréat dans son rôle de passeport pour le supérieur ou apport des innovations pédagogiques dans le supérieur (cours numériques[21]Séverin GRAVELEAU, « Université : des cours numériques pour éviter le tirage au sort », Le Monde, 27 septembre 2017., pédagogie inversée, etc.).

La trop grande mise en avant de l’évolution d’APB a presque masqué la problématique principale qu’est l’orientation des nouveaux bacheliers tout au long de leur scolarité. Les deux réponses antagonistes classiques (« on accepte tout le monde » et « on sélectionne ») oublient le phénomène de sélection sociale des bacheliers qui aboutit dans notre pays à une reproduction des élites bien plus importante que dans la plupart des pays comparables, comme le rappellent de manière régulière et cruelle les enquêtes de l’OCDE notamment.

Notes

1 Jacques NARBONNE, De Gaulle et l’éducation. Une rencontre manquée, Paris, Denoël, 1994, p. 137.
2 OCDE, Regards sur l’éducation 2017 : Les indicateurs de l’OCDE, Paris, Éditions OCDE, 2017, Tableau A1.2 et graphique B1.2. http://dx.doi.org/10.1787/eag-2017-fr
3 Ministère en charge de l’Enseignement Supérieur, Repères et Références Statistiques (RERS), 2017, page 195, tableau n°1. http://cache.media.education.gouv.fr/file/2017/83/0/depp-rers-2017-maj-dec-2017_861830.pdf
4 RERS 2017, op. cit., page 193, tableau n°1.
5 Loi n° 2016-1828 du 23 décembre 2016 portant adaptation du deuxième cycle de l’enseignement supérieur français au système Licence-Master-Doctorat, article 1 https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000033680801&dateTexte=&categorieLien=id
6 Article 14 de la loi n°84-52 du 26 janvier 1984 sur l’enseignement supérieur.
7 Voir les différents RERS annuels produits par le ministère en charge de l’enseignement supérieur. http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/pid24831/www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/pid24831/www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/pid24831/reperes-et-references-statistiques.html
8 « Julien Grenet : Pourquoi l’algorithme APB mérite d’être sauvé », Le Monde économie, 10 octobre 2017.
9 Fonctionnement du traitement automatisé critérisé mis en place sur Admission Post-Bac http://cache.media.education.gouv.fr/file/05_-_mai/30/9/Algorithme_APB_capacites_d_accueil_limitees_586309.pdf
10 Article 1er du projet de loi relatif à l’orientation et à la réussite des étudiants adopté par l’Assemblée Nationale en première lecture http://www.assemblee-nationale.fr/15/ta/ta0061.asp
11 Les algorithmes au service de l’action publique : le cas du portail Admission Post-Bac (APB) http://videos.assemblee-nationale.fr/video.5186722_5a0d48492ed84.opecst–les-algorithmes-au-service-de-l-action-publique–le-cas-du-portail-admission-post-bac-apb-16-novembre-2017
12 Se reporter à Sauvons l’université, « Loi sur « l’orientation et la réussite des étudiants » : des motions comme s’il en neigeait », janvier 2018 http://www.sauvonsluniversite.fr/spip.php?article7947 ou encore à la motion votée par la CFVU de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne du 9 janvier 2018 https://www.fabula.org/actualites/motion-votee-par-la-cfvu-de-l-universite-paris-1-pantheon-sorbonne-du-9-janvier-2018_82913.php
13 Laetitia AVIA, députée (LRM) de Paris, Questions Politiques, 50’45″, France Inter, 24 décembre 2017 https://www.franceinter.fr/emissions/questions-politiques/questions-politiques-24-decembre-2017
14 RERS 2017, op. cit., page 195, tableau n°1.
15 OCDE, Regard sur l’éducation, 2016, page 192, tableau A9.1 http://www.oecd-ilibrary.org/education/regards-sur-l-education-2016_eag-2016-fr
16 OCDE, Regard sur l’éducation, 2010, page 84, tableau A4.1http://www.oecd-ilibrary.org/education/regards-sur-l-education-2010_eag-2010-fr
17 Loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche.
18 Enquête nationale de 2014 sur les 24 spécialités de DUT
19 RERS 2017, op. cit., page 195, tableau n°1 et 2.
20 RERS 2017, op. cit., page 193, tableau n°1 et 2.
21 Séverin GRAVELEAU, « Université : des cours numériques pour éviter le tirage au sort », Le Monde, 27 septembre 2017.