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Journée internationale des droits des femmes : la contribution d’Isabelle THIS SAINT-JEAN [Tribune #7]

Membre de la direction collégiale du Parti socialiste et conseillère régionale d'Ile-de-France

     Au cœur du processus de création et de reproduction des inégalités, le diplôme joue, on le sait, un rôle majeur dans notre pays : il détermine très largement la position de chacun dans l’espace économique et social ; il explique notamment une grande partie des inégalités face au chômage, celles portant sur le type d’emploi et la trajectoire professionnelle, sur le niveau de responsabilité et la rémunération.

            Or, les filles sont aujourd’hui majoritaires parmi les bacheliers (à 52 %), et même parmi les bacheliers généraux (à 57 %). Il est donc finalement peu surprenant de les retrouver :

  • plus nombreuses parmi les étudiants (55 % en 2016),
  • et assez logiquement – même si on le dit peu – plus diplômées du supérieur que les hommes (en 2016, 49 % des femmes de 25 à 34 ans, contre seulement 39 % des hommes)[1]Se référer à : http://cache.media.education.gouv.fr/file/etat27-2017/41/4/DEPP-EE-2017-etat-ecole-2017_844414.pdf Ainsi qu’à : … Continue reading.

            Pourrait-on dès lors, absoudre le système éducatif de toute responsabilité dans les processus de création des inégalités femmes-hommes ? Il n’en est rien !

En effet, notre système d’enseignement supérieur est loin d’être homogène et la valeur attribuée aux différentes formations dépend de critères multiples. Et c’est dans le choix de ces formations que la différenciation défavorable aux femmes s’opère :

  • Elles ne choisissent ni les mêmes baccalauréats, ni les mêmes études supérieures que les hommes.
  • A même origine sociale et même parcours scolaire, elles s’engagent moins que ces derniers dans les filières sélectives ou scientifiques (sauf celles de santé) et sont donc minoritaires en Classes préparatoires aux grandes écoles (42,6 %), en préparation au DUT (39,8 %) et surtout, dans  les  filières  à  la  fois  sélectives  et scientifiques (24 % dans les écoles d’ingénieurs)[2]http://www.cge.asso.fr/publications/2015-03-barometre-egalite/ .     

            Elles ne font ici que reproduire un stéréotype solidement ancré que faisait clairement apparaître un sondage de 2015 soulignant qu’en France, comme au Royaume-Uni, en Allemagne, en Espagne et en Italie, pour deux tiers des sondés, les femmes seraient moins capables de « devenir des scientifiques de haut niveau », préjugé partagé d’ailleurs aussi bien par les hommes que par les femmes elles-mêmes[3]https://www.opinion-way.com/fr/sondage-d-opinion/sondages-publies/opinion-societe/societe/autres-etudes-societe/fondation-l-oreal-matriochka-les-femmes-en-sciences-septembre-2015.html .

            Comment s’en étonner lorsque l’on sait qu’elles ne représentent que 29% des chercheurs en Allemagne, en Espagne, en France, aux États-Unis, au Japon et en Chine[4]http://uis.unesco.org/sites/default/files/documents/fs43-women-in-science-2017-fr.pdf  ? Que seulement 3 % des Prix Nobel sont des femmes et qu’il a fallu attendre 2014 pour que la première femme obtienne la Médaille Fields (l’équivalent en mathématique du Nobel) !

            A l’université, on retrouve cette différenciation dans les choix des disciplines, jointe à un autre effet, celui de l’évaporation des femmes avec la durée des études. Ainsi, majoritaires en Licence Master (58%), elles sont minoritaires en doctorat (48%). Là encore, faut-il s’en étonner quand on sait que, parmi leurs enseignants, 42 % des Maîtres de conférences sont des femmes et, pire, seulement 22,5 % des Professeurs d’Université ! Quant aux Présidentes de ces établissements, cela devient presque risible : moins de 10 femmes[5]Et moins de 7% de femmes directrices d’écoles d’ingénieurs en 2014. … Continue reading !

            Dans la petite poignée d’établissements qui, dans notre pays, fournissent l’essentiel de la haute fonction publique, des membres des cabinets ministériels, des dirigeants et des conseils d’administration des grands groupes, la place des femmes est indigne : en 2015, elles représentaient 25 % de ceux qui entraient à l’ENA par concours externe, un tiers des élèves de Normale sup et moins de 15 % des Polytechniciens. Et si pour les écoles de commerce la parité est globalement atteinte, elle n’est plus respectée pour les plus prestigieuses d’entre elles.

            Le gouvernement actuel s’attaque au harcèlement dans l’enseignement supérieur, c’est bien. Mais comment peut-il négliger une question aussi importante que celles des inégalités femmes-hommes face au diplôme et dans l’enseignement supérieur ?

            Lors du précédent quinquennat, une charte pour l’Egalité entre les Femmes et les Hommes avait été signée en 2013. Même si certaines dispositions de la politique de recherche et d’enseignement supérieur qui accroissent désormais ces inégalités n’avaient pas été remises en cause (notamment une politique de l’emploi scientifique et académique désastreuse), la loi de 2013 dite Fioraso avait – c’était l’un de ses rares mérites – abordé directement la question.

            Cette ambition semble aujourd’hui abandonnée. Et c’est même pire, la cause recule. En effet comment justifier que dans les désignations de recteurs, alors que la parité avait été atteinte en 2016 pour la première fois, les dernières désignations voient le nombre de femmes à nouveau régresser ? Quant aux désignations à la tête des grands organismes de recherche et d’enseignement supérieur : mais où sont les femmes ? Il n’y en a aucune !

            Dans la loi dite Orientation et Réussite des étudiants, rien n’est fait pour que le processus d’auto-sélection des filles par leur choix de formation soit stoppé et l’on peut craindre, au contraire, qu’il se trouve renforcé dans le nouveau paysage de l’enseignement supérieur qui se dessine ici, reproduisant plus que jamais les inégalités[6]Fanny BUGEJA-BLOCH, Marie-Paule COUTO et Marianne BLANCHARD, « Orientation : « La nouvelle loi risque de renforcer les différences entre filles et garçons », Le Monde, 26 février 2018. … Continue reading.

Nous avons certes une femme ministre de l’enseignement supérieur, mais elle ne semble pas prendre la mesure de ce qui se joue ici. Ou du moins n’agit-elle pas en conséquence. Peut-être n’en a-t-elle pas la possibilité dans ce monde d’hommes qui, en réalité, caractérise le pouvoir actuel et l’entourage du Président de la République.

            Certes, la parité est atteinte dans le Gouvernement, mais combien de femmes dans les cabinets ministériels à l’Élysée, comme à Matignon ? Combien se sont vues confier des responsabilités-clefs au sein de l’appareil d’État, depuis le début du quinquennat ?

            Dans un tel contexte, le rôle de moteur des inégalités hommes-femmes du diplôme semble donc, malheureusement, avoir de beaux jours devant lui.