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Affaires Floyd/Traoré et crise de confiance Police/population : où s’arrête la comparaison entre la police française et les polices américaines ? [Note #77]

Docteur en sciences de gestion, Chef du pôle sécurité intérieure de L’Hétairie et Conseiller scientifique de la spécialité sécurité-défense de l'Ecole d'Affaires publiques de Sciences Po.

Le 2 juin dernier, le comité de soutien « La vérité pour Adama » lance un appel à la mobilisation devant le Tribunal de Grande Instance de Paris. Si le nombre de manifestants a surpris (plus de 20 000 personnes), une immense banderole retient plus encore l’attention : « From Minneapolis to Beaumont, make racists afraid again ». Alors qu’Adama Traoré est décédé le 19 juillet 2016, le combat mené par sa famille rencontre un écho médiatique inédit par l’établissement d’un parallèle avec l’affaire George Floyd, un afro-américain décédé le 25 mai 2020 dans le cadre d’une intervention de police.

       Au-delà de la nature des deux affaires, la police française a été hâtivement comparée aux polices américaines, notamment dans son approche de certaines populations et dans le recours à la violence à leur égard. Le débat s’est notamment positionné sur un terrain socio-historique pour relever que les Etats-Unis et la France sont deux démocraties aux sociétés multiculturelles au sein desquelles l’histoire des minorités ethniques a été conflictuelle.

       Il est exact, comme le relatent les travaux de l’historien Pap N’Diaye, que le passé esclavagiste puis ségrégationniste des États-Unis éclaire le rapport conflictuel qu’entretiennent les minorités américaines avec leurs institutions politiques tandis qu’en France, l’histoire coloniale républicaine n’est, d’après l’historien Benjamin Stora, ni apaisée, ni communément admise. Cependant, si nul ne peut nier, aux Etats-Unis comme en France, la nécessité de réformer la Police pour la rapprocher de la population – à commencer par les policiers eux-mêmes – la comparaison des polices américaines et la police française fait ressortir, d’abord et surtout, de très nettes dissemblances qui empêchent la systématisation d’une quelconque analogie.

Des différences marquées qui tiennent aux doctrines d’emploi respectives

            Même si, dans le cas américain, l’extrême variété des polices empêche de présenter les doctrines d’emploi de façon uniforme (plus de 18 000 types de police cohabitent aux Etats-Unis et ce, tant au niveau fédéral, des Etats, des comtés que des municipalités) et bien qu’une telle atomicité ne favorise ni la mise en place de règles universelles et univoques, ni l’adoption de bonnes pratiques sur l’ensemble du territoire américain, les polices américaines et la police française, centralisée et soumise à des doctrines d’emploi et des règles homogènes en matière de recours à la force, présentent des différences indubitables.

Un usage des armes en question

            En ce qui concerne les divergences doctrinales, celle relative à l’usage des armescompte parmi les plus significatives. Elle s’explique, pour l’essentiel, par les différences de contexte socio-culturel au sein duquel évoluent les polices américaines et la police française.

            Aux Etats-Unis, l’omniprésence des armes à feu (300 millions d’armes, soit près d’une par habitant[1] Iris DEROEUX, « Armes à feu : les États-Unis sont dans l’impasse ». Mediapart, 3 octobre 2017.) conditionne l’état d’esprit du policier américain sur la voie publique en l’exposant à un risque à la fois élevé et permanent de blessure par balles. La décision de faire usage de son arme n’est donc pas tempérée par des considérations de nature juridique sur la licéité de la légitime défense ; elle résulte, le plus souvent, d’un réflexe de survie. Le taux d’homicides aux Etats-Unis étant plus de cinq fois supérieur à celui de la France [2] Source : OCDE, Better Life Index., le policier américain y est plus favorablement disposé à faire usage de son arme de service selon la formule « rather be judged by 12 than carried by 6[3]« Mieux vaut être jugé par les 12 membres d’un jury d’assises pour avoir fait usage de son arme que d’être porté dans son cercueil par 6 employés des pompes-funèbres, pour ne pas … Continue reading ».

            Cette conception très offensive des missions de police est confortée par la jurisprudence des juridictions américaines, particulièrement indulgente en matière de légitime défense et d’usage des armes. De fait, parce qu’ils sont réalisés par des policiers qui pensent incarner le camp du bien en lutte contre celui du mal, les tirs « lawful but awful[4]« Légaux bien qu’horribles » (traduction des auteurs). » font très rarement l’objet de poursuites judiciaires ce qui suscite des accès de colère de plus en plus fréquents des minorités ethno-raciales, lorsqu’elles en sont victimes[5] Jacques de MAILLARD, « Polices, races et armes létales aux États-Unis. » The Conversation, 20 juillet 2016..

            La facilité des policiers américains à faire usage de leur arme est d’ailleurs confirmée par les chiffres : en 2018, 1 143 individus ont été tués par la police aux États-Unis, contre 15 en France[6] Source : Mapping Police Violence (États-Unis) ; Rapport de l’IGPN pour l’année 2018 (France).  . Rapporté à la population, le taux de morts lors d’interventions de police aux Etats-Unis est donc 15 fois supérieur à la moyenne annuelle en France.

Des doctrines du maintien l’ordre opposées

            La seconde grande divergence doctrinale entre les Etats-Unis et la France, a trait au maintien de l’ordre public.

            Alors que l’Histoire de France est émaillée de révolutions et de fièvres sociales, la « force publique » a stabilisé une doctrine de maintien de l’ordre public articulée autour de trois principes clés que sont la spécialisation, la mise à distance et la gradation des moyens employés[7] Sur la doctrine de maintien de l’ordre dit « à la française », le lecteur peut se référer à Francis DELCOURT et Guillaume FARDE, « Jupiter contre Eris : maintien de … Continue reading (même si ces trois principes se sont infléchis à la faveur du mouvement des « Gilets jaunes »). Alors que les manifestations publiques sont parfois endeuillées par le décès de manifestants à l’instar des incidents de Creys-Malville en 1977, des manifestations étudiantes de 1986 en opposition à la loi dite Devaquet ou encore des manifestations contre la construction du barrage de Sivens en 2014, leur nombre est sans-commune mesure avec celui des Etats-Unis où les forces de police sont dépourvues de toute culture du maintien de l’ordre.

            En effet, confrontées à des manifestations publiques ou à des émeutes urbaines, les polices américaines ont tendance à demander le renfort des SWAT (Special Weapons and Tactics – unités d’intervention des forces de police aux États-Unis), ou de la Garde Nationale (force militaire), alors que ni leur formation, ni leur équipement ne sont adaptés au maintien de l’ordre public. Cette absence de culture du maintien de l’ordre occasionne de nombreuses victimes, à l’instar des émeutes de Los Angeles en 1992, où 10 personnes (sur un total de 55) ont perdu la vie en raison de l’action des forces de sécurité.

            Ces divergences doctrinales majeures entre les polices des deux rives de l’Atlantique n’épuisent cependant pas la capacité de comparaison. Car les Etats-Unis et la France sont en proie à une distension du lien de confiance Police/population et réfléchissent concomitamment aux moyens de recouvrer la légitimité perdue par leurs polices respectives.

Deux modèles en proie à une crise de confiance

            En France, le regard porté sur la Police a profondément changé depuis 2015. L’enquête publiée par le CEVIPOF en février 2020 mesure ainsi que la cote de confiance des Français envers leur Police se situe uniquement à 66%, soit une baisse de 14 points en cinq ans. Sur la période allant de décembre 2018 (début des manifestations du mouvement des « Gilets jaunes ») à février 2020, cette érosion s’accélère fortement avec une perte de 8 points sur les 14 évoqués. Au niveau européen, l’enquête European Social Survey (vague 9, 2018), qui mesure la confiance des Européens de 19 Etats dans leur police, positionne quant à elle la France à la 11ème place avec une cote de confiance de 66%, derrière le Royaume-Uni (73%) et l’Allemagne (78%).

            A la contestation de certains des outils et des méthodes des forces de l’ordre a donc succédé une remise en cause de la Police en tant que telle, au point que son incarnation, à la fois irréfragable et institutionnalisée de l’ordre républicain, est très fortement contestée. La dégradation rapide du lien de confiance Police/population se mesure principalement à l’aune de l’écho que suscitent les opérations de maintien de l’ordre public. Les manifestations dites de « la loi travail » en 2016, celles des 1er mai 2017 et 2018, mais aussi l’évacuation de la Zone à défendre (ZAD) de Notre-Dame-des-Landes, ont été l’occasion d’affrontements entre forces de l’ordre et manifestants qui ont fortement altéré le capital confiance des forces de sécurité intérieure françaises. En 2018-2019, les manifestations publiques du mouvement des « Gilets jaunes », en raison de leur cyclicité, ont agi tel un catalyseur : elles sont devenues le lieu d’expression privilégié de nouvelles formes de contestation qui réhabilitent le recours à une violence dont les forces de l’ordre, perçues comme le rempart de l’Etat, constituent, malgré elles, la principale cible.

            Aux Etats-Unis en revanche, le maintien de l’ordre public n’est pas le principal facteur de la dégradation du lien de confiance Police/population. Les dénonciations de la brutalité des policiers américains sont plus volontiers inhérentes à l’exercice de missions de sécurité publique très musclées et à l’issue fatale pour les personnes interpellées. Heurtés par la bienveillance des juridictions envers les policiers mis en cause, certains groupes de citoyens américains, généralement issus des minorités ethniques, se sont constitués en collectifs pour réhabiliter l’honneur des victimes. Pour renforcer l’écho de leur combat et accroître le nombre de leurs militants, certains de ces collectifs ont fait évoluer leur discours du désir de justice pour une victime donnée vers la dénonciation de violences systémiques à l’encontre d’une communauté toute entière.

            La thèse de l’institutionnalisation du racisme et des violences est, dans le cas américain, doublement accréditée par le passé ségrégationniste des Etats-Unis auquel s’ajoute, de façon plus contemporaine, la faiblesse persistante des mécanismes de contrôle de l’action des forces de police. Lorsqu’elles sont ouvertes, les enquêtes sont souvent émaillées de conflits d’intérêts accentués par la politisation du procureur général, élu par les habitant.e.s d’un comté dont il partage, généralement, la sensibilité. L’élection non seulement des procureurs généraux mais aussi, dans certains comtés, des shérifs, nuit à l’impartialité des enquêtes et fournit nombre d’arguments aux militants anti-police.

            Cependant, en France est également apparu un néo-activisme qui emprunte au militantisme américain en institutionnalisant les violences commises par les forces de l’ordre. Réfutant le concept juridique de faute individuelle détachable du service, il agrège des faits divers pour étayer la thèse de la faillite générale d’un système. Les décès d’Adama Traoré en juillet 2016, de Steve Maia-Caniço au début de l’été 2019   à la suite d’une opération de police, puis de Cédric Chouviat en janvier 2020 lors d’un contrôle routier, ont ainsi été interprétés comme la conséquence d’une violence institutionnalisée même si, dans les trois cas, la vérité judiciaire n’a toujours pas émergé.

            Au demeurant, l’impartialité de la Police est mise en cause en raison de la supposée défaillance de son mécanisme de contrôle interne. A ce titre, l’IGPN concentre les critiques au motif qu’exercer un contrôle impartial de la Police par des policiers serait proprement impossible. Publié le 8 juin 2020, le rapport d’activité 2019 de l’IGPN fait pourtant état de :

  • 4 792 signalements réalisés via la plateforme de signalements en ligne,
  • 1 460 enquêtes judiciaires ouvertes et de 1 322 clôturées
  • 224 enquêtes administratives ouvertes et de 238 clôturées.
  • 1 322 enquêtes judiciaires transmises aux magistrats, soit une augmentation de 15% par rapport à 2018 (1 157 enquêtes).

Des tentatives de réaction

            Parmi les réponses immédiates à la crise de confiance à l’égard des forces de police, le Président des Etats-Unis et le Gouvernement français ont respectivement cherché à restreindre certaines techniques d’interpellation.

            Ainsi, le 8 juin 2020, le ministre de l’Intérieur français annonçait-il la disparition de la pratique dite « de la clé d’étranglement[8] Les syndicats de police préféraient parler de « prise au cou » ou de « prise de tête ». », avant de se dédire sous la pression des syndicats de police. Une semaine plus tard, le Président américain signait un décret abandonnant les prises d’étranglement sauf dans le cas où « la vie d’un policier est en danger ».

            Pourtant, ce décret présidentiel signé le 16 juin 2020 aura des effets très limités selon les termes du chef de la minorité démocrate au Sénat, Chuck Schumer, et il « ne va permettre ni un changement complet et significatif, ni l’obligation pour les unités de police [américaines] de rendre des comptes ». Sa portée normative est également faible ; le président américain Donald Trump y encourage les unités de police américaines à adopter des normes professionnelles plus rigoureuses, sans que ses propos ne revêtent une réelle valeur juridique. En outre, il faut souligner l’absence de transformation en profondeur de la formation tant initiale que continue des policiers américains au respect des principes déontologiques.

            Des réformes plus radicales ont par ailleurs été engagées aux Etats-Unis. Plusieurs municipalités ont ainsi annoncé le démantèlement de leurs forces de police locale, comme à Minneapolis, faute de pouvoir réformer l’institution.  À New York, un service anti-criminalité de la NYPD a lui aussi été dissout, et ses 600 agents affectés à des services de proximité et d’enquêtes. A Portland enfin, deux unités de police ont été supprimées à la suite de manifestations provoquées par l’affaire George Floyd.

            En parallèle, encouragés par le mot d’ordre « defund the Police[9]« Réduisons les budgets de la Police » (traduction des auteurs). » plusieurs responsables politiques américains ont choisi de sanctionner financièrement leur police en réduisant significativement leurs dotations budgétaires. Ce fut notamment le cas à New York, où le maire Bill de Blasio a annoncé la réduction du budget de la police de la ville (qui s’élève à 5,3 milliards d’euros annuels) et le redéploiement des fonds vers les services sociaux et le financement d’aides à la jeunesse. De la même manière, la maire de San Francisco a annoncé qu’une part du budget de la police de la ville serait réaffectée aux aides sociales en faveur de la communauté noire et le maire de Los Angeles a, pour sa part, annulé une augmentation budgétaire de 150 millions de dollars qui devait initialement bénéficier aux forces de police de la ville.

            Enfin, plusieurs municipalités ont annoncé vouloir renforcer la transparence dans la gestion des incidents qui opposent la Police à la population : à New York, les dossiers disciplinaires des policiers, jusqu’à présent confidentiels, seront désormais rendus publics, de même que le nom des policiers mis en cause dans des affaires de violence ou de corruption. La ville de Washington DC a annoncé, quant à elle, que les images des caméras piétons des policiers seront plus facilement accessibles aux citoyens.

            Dans le cas français, les perspectives de réformes envisagées sont de nature assez différente. Sur le plan matriciel, la réforme de la Police nationale devait procéder du futur Livre blanc de la sécurité intérieure dont le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a récemment annoncé qu’il ne serait finalement pas dévoilé avant 2021. Sur le plan budgétaire, l’augmentation des effectifs à raison de 2 000 postes nets de policiers et gendarmes chaque année, se poursuit. Elle s’assortit de mesures d’augmentation des moyens matériels avec, notamment, le financement, à hauteur de 75 millions d’euros, de 2 300 véhicules neufs destinés à la Police et la Gendarmerie nationales et l’annonce de la généralisation des caméras piétons par le Président de la République. Enfin, l’expérimentation récemment démarrée à Nice visant à accroître les pouvoirs des polices municipales traduit une volonté de développement des partenariats locaux de sécurité.

            Là encore, l’effet de ces annonces reste limité. Le renforcement du lien de confiance Police/population appelle, dans le cas français, trois mesures concomitantes : l’augmentation des moyens alloués à la formation, la rupture avec la politique du chiffre et le ré-ancrage territorial des forces de l’ordre.

            En effet, tant la nature que la durée de la formation que reçoivent les policiers et gendarmes ont une incidence sur la confiance qu’ils fondent en eux-mêmes au moment d’accomplir leurs missions. Plus sûr de lui, plus serein, un policier ou un gendarme bien formé sera mieux à même de désamorcer des conflits et cèdera moins facilement à la peur, en intervention. Le budget alloué à la formation initiale ne cesse pourtant de se déliter, le temps de formation en école de police a récemment été abaissé à 8 mois pour les gardiens de la paix, et le contenu de la formation initiale n’est pas suffisamment opérationnel.

            En particulier, les interventions, pourtant essentielles en ce qu’elles permettent une meilleure prise en compte des réalités du terrain et favorisent les transferts de bonnes pratiques, souffrent de la faiblesse du temps qui leur est alloué. Il est pourtant primordial que les gardiens de la paix comme les sous-officiers de gendarmerie, disposent d’un temps de formation initial suffisamment long pour non seulement intégrer l’ensemble des enseignements théoriques et pratiques mais, surtout, être à même de les restituer sur le terrain, en confiance [Proposition n°1].

            En parallèle, la trop grande variété des objectifs – parfois contradictoires – nuit à la conduite de politiques publiques de sécurité au service de la population. Le nombre d’objectifs prioritaires, qui avait connu une inflation sans précédent durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, avait été revu à la baisse sous François Hollande, avant de connaître une nouvelle augmentation à l’occasion du déploiement de la Police de Sécurité du Quotidien (PSQ) sous Christophe Castaner. Le nombre d’indicateurs que doivent remplir les Directeurs départementaux de la sécurité publique (DDSP) et les commandants de groupement de gendarmerie départementale (CGGD) gagnerait donc à être réduit [Proposition n°2]. Ces derniers devraient en effet pouvoir sélectionner leurs indicateurs de concert avec leur préfet de département, parmi un référentiel défini au niveau national et selon des priorités locales qui auront été identifiées. De cette manière, seuls certains indicateurs sont poursuivis et quantifiés, permettant d’axer la politique locale de sécurité sur certaines priorités des citoyens plutôt que de poursuivre tous les buts en même temps.

            Enfin, il est illusoire de prétendre renforcer le lien de confiance Police/population sans réancrage territorial de la Police [Proposition n°3]. A l’issue de la scolarité en école de police, l’affectation géographique dépend pour beaucoup du classement de sortie. Il en résulte un cercle vicieux où les gardiens et les gendarmes les moins bien classés sont affectés dans une région qu’ils n’ont pas choisie et, surtout, dans un environnement social qu’ils méconnaissent. Ainsi, 80 % des nouveaux gardiens de la paix sont-ils originaires de province et 75 % sont-ils affectés en Île-de-France à leur sortie d’école. En définitive, les personnels avec le moins d’ancienneté – et parmi eux ceux les moins bien classés – sont principalement affectés dans les territoires les plus difficiles, comme si y être affecté sanctionnait un mauvais classement. En outre, les gradés d’expérience à même de les encadrer y sont trop peu nombreux, ce qui freine la transmission des méthodes de désescalade et de flexibilité absolument indispensables sur le terrain. Entamer une carrière par un déracinement et un déficit d’encadrement, dans des conditions de travail rudes et dont il est rappelé par le gestionnaire RH qu’elles sont la conséquence d’un mauvais classement de sortie, brise les vocations de jeunes femmes et de jeunes hommes désireux de consacrer leur vie au service des autres.

            Les comparaisons entre les polices française et américaines, bien que légitimes à certains égards, se heurtent à de fortes dissemblances doctrinales et organisationnelles. Les Etats-Unis ne sont pas les héritiers des mêmes traditions, ni de la même Histoire et leurs polices ne sont pas confrontées à des réalités socio-économiques comparables à celles de la France. Dans les deux cas cependant, la distension du lien qui relie la Police à la population, préoccupe.

            En 2020, alors que le capital confiance des policiers est durement entamé sur les deux rives de l’Atlantique, regagner la confiance des citoyens doit, dans les deux cas, guider la définition et la mise en œuvre d’une grande réforme de la police démocratique. Ce chantier implique deux conceptions doctrinales cumulatives :

  • d’une part, remettre le citoyen et son environnement au centre des politiques publiques de sécurité ;
  • d’autre part, réformer le travail du policier à la fois dans sa formation, dans son organisation et dans ses conditions d’exercice de sorte à redonner aux forces de l’ordre suffisamment de confiance en elles-mêmes pour regagner dans le même temps celle des citoyens américains comme français.

            Il est encore temps d’agir au-delà des effets d’annonce et des rodomontades dont on sait qu’elles ne servent en rien l’institution et finissent par disqualifier leurs auteurs.

Notes

1 Iris DEROEUX, « Armes à feu : les États-Unis sont dans l’impasse ». Mediapart, 3 octobre 2017.
2 Source : OCDE, Better Life Index.
3 « Mieux vaut être jugé par les 12 membres d’un jury d’assises pour avoir fait usage de son arme que d’être porté dans son cercueil par 6 employés des pompes-funèbres, pour ne pas l’avoir fait » (traduction des auteurs).
4 « Légaux bien qu’horribles » (traduction des auteurs).
5 Jacques de MAILLARD, « Polices, races et armes létales aux États-Unis. » The Conversation, 20 juillet 2016.
6 Source : Mapping Police Violence (États-Unis) ; Rapport de l’IGPN pour l’année 2018 (France). 
7 Sur la doctrine de maintien de l’ordre dit « à la française », le lecteur peut se référer à Francis DELCOURT et Guillaume FARDE, « Jupiter contre Eris : maintien de l’ordre, désordre et discorde dans une démocratie adulte », L’Hétairie, Livret n°8, 15 novembre 2018.
8 Les syndicats de police préféraient parler de « prise au cou » ou de « prise de tête ».
9 « Réduisons les budgets de la Police » (traduction des auteurs).