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Pourquoi le sommet UE-Balkans occidentaux à Tirana était plus important qu’il n’y paraît [Tribune #54]

Professeure associée de Géopolitique (EDC Paris Business school) et adjunct professor of EU enlargement in Sciences Po Paris.

Chef du pôle Europe/International de L’Hétairie Secrétaire fédéral aux enjeux européens et internationaux PS Seine-Maritime.

Le sommet Union européenne-Balkans occidentaux qui s’est tenu pour la première fois sur le sol d’un État non-membre de l’UE à Tirana, le 6 décembre dernier, a réaffirmé l’importance majeure du partenariat stratégique entre l’UE et les pays de cette zone.

L’intégration à l’Union européenne est devenue la « priorité de toutes les priorités » et l’alignement sur sa politique dans la région un impératif majeur qui revêt une importance stratégique extraordinaire. Dans cette perspective, le climat politique, les relations extérieures, les questions frontalières, les risques de conflit militaire, le respect de l’Etat de droit, la nature du système judiciaire, l’attitude du Gouvernement en matière économique sont autant de facteurs pris en compte par l’Union européenne mais aussi par les acteurs économiques. Dans ce contexte, les pays des Balkans occidentaux, qui ont besoin de stabilité politique et d’un climat sécuritaire apaisé dans la région, ont ajouté des initiatives de coopération régionale à plusieurs niveaux depuis le début du processus de Berlin en 2014 [1]Le processus de Berlin, initié en 2014 par l’Allemagne, a pour objectif de renforcer et d’approfondir l’intégration régionale dans et avec les Balkans occidentaux..

En particulier, la politique étrangère de l’Albanie constitue un élément crucial pour la stabilité globale des Balkans occidentaux en raison de la présence de nombreuses communautés albanaises dans les différents territoires composant la région. Et de fait, l’un des principaux défis auquel le pays est confronté concerne la situation des Albanais dans les différents États de la région, de la Serbie au Monténégro en passant par la Macédoine du Nord. L’Albanie a contribué, au cours des dernières années, à éviter les tentatives de déstabilisation de la région et a offert des alternatives pour le maintien de la paix et de la sécurité dans la région, notamment par l’intégration à l’OTAN et une coopération substantielle avec les organisations internationales dédiées à la sécurité et à la coopération (comme l’OSCE).

Les gouvernements albanais se sont également attelés, deux décennies durant, à assurer la stabilité politique et la croissance économique régionale par le biais d’accords bilatéraux, par la participation à la coopération multilatérale régionale et sa promotion.

Car le pays peut jouer un rôle moteur dans la politique régionale pour promouvoir l’impératif de stabilité, alors que la situation des pays voisins s’avère beaucoup plus complexe. A titre d’exemple,  la Bosnie se trouve au bord de l’éclatement, avec la valse de 3 présidents, 14 gouvernements et 136 ministres, paralysant la gestion du pays à tous les niveaux ; de son côté, la Serbie est déterminée à mener une politique trouble vis-à-vis de la Russie et de l’Union européenne ; le Monténégro se trouve quant à lui sous la pression des forces pro-russes tandis que la Macédoine du Nord peine à trouver sa paix ethnique entre la population slave et albanaise ;  enfin, le Kosovo voit son indépendance non reconnue par cinq pays de l’UE encore aujourd’hui [2]Il s’agit de l’Espagne, la Grèce, la Roumanie, la Slovaquie et Chypre. Sur ce sujet, se reporter à la tribune 52 de L’Hétairie, « Le particularisme espagnol à l’égard du Kosovo mis … Continue reading.

Si l’Albanie, malgré ses propres difficultés internes, apparaît comme un pays partenaire intéressant pour jouer un rôle clé à la fois par sa relative stabilité et son avancée dans le processus d’intégration européen, un pays seul ne peut servir de point d’appui. A ce titre, la Serbie devra sortir de l’ambiguïté car une grande source de tensions, et peut-être le facteur de déstabilisation majeur, provient de l’agitation des minorités serbes de la région encouragées en sous-main par Belgrade.

Dans ce contexte tendu, l’Union européenne se montre rétive à toute intervention, ressentant encore les stigmates des conflits de la fin des années 1990. De fait, après une très longue période d’hésitation où les pays candidats ont vu leur processus vers l’adhésion se ralentir, le sommet du 6 décembre dernier a servi à  » réconcilier  » une classe politique des Balkans échaudée et une classe politique européenne qui cherche une nouvelle forme d’union avec la zone, voyant dans les pays concernés des partenaires à fort potentiel géostratégique et, surtout, la nécessité de pacifier une région dont les tensions présentent un risque majeur pour la sécurité de l’Union européenne à ses portes. Le contexte international, dominé par la guerre que mène la Russie à l’Ukraine et sa volonté de débordement dans cette région, renforce encore davantage l’importance de ce rapprochement rapide afin de contrer les stratégies d’influence et offrir de réelles perspectives durables aux Etats et à leurs peuples.

Notes

1 Le processus de Berlin, initié en 2014 par l’Allemagne, a pour objectif de renforcer et d’approfondir l’intégration régionale dans et avec les Balkans occidentaux.
2 Il s’agit de l’Espagne, la Grèce, la Roumanie, la Slovaquie et Chypre. Sur ce sujet, se reporter à la tribune 52 de L’Hétairie, « Le particularisme espagnol à l’égard du Kosovo mis à l’épreuve d’un contexte de crise », 23 août 2022.