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Projet de loi de financement de la sécurité sociale 2021 : le compte n’y est pas [Note #79]

Pseudonyme pour un groupe de spécialistes et praticiens de la santé

       Au regard du contexte sanitaire, on pouvait légitimement imaginer que le PLFSS 2021 serait à la hauteur des enjeux pour les établissements publics de santé et médico-sociaux, acteurs de première ligne dans la prise en charge de l’épidémie. Hélas, en l’état, le texte s’avère insuffisant pour permettre au système de santé de répondre aux besoins de la population sur le moyen et long terme.

Méthodologie contestable et réponses imparfaites

       Le premier élément qui heurte l’esprit est la méthode de préparation et de concertation de ce PLFSS :

  • Le texte a été rédigé par quelques technocrates en chambre, sans véritable articulation avec le suivi des conclusions du Ségur de la Santé.
  • Il a été publié alors qu’avait débuté l’audition du Gouvernement par la commission des affaires sociales de l’assemblée nationale.
  • Il n’a guère permis de débat parlementaire sur les enjeux de moyen et long terme du système de santé tant il est accaparé par la gestion de la crise. Pourtant, la LFSS devrait s’imposer comme un véritable outil d’anticipation et de planification concerté afin de devenir un véritable levier d’amélioration de la gestion du système de santé. Le Parlement pourrait par exemple participer à l’évaluation des conventions entre les professionnels de ville et l’Assurance maladie.

Proposition n°1 : Renforcer le débat démocratique sur la politique de santé, notamment à travers une implication accrue du Parlement. Un délai minimum, par exemple de 15 jours incompressibles, pourrait être respecté (de manière coutumière ou en l’introduisant dans la constitution et les lois organiques) entre le dépôt du PLFSS et le début de l’examen parlementaire.

De surcroît, le PLFSS ne répond pas à l’enjeu du reste à charge subi par certains patients pour les soins liés à la Covid-19. Un patient qui n’a pas de mutuelle et de couverture par le régime des ALD connaît alors une triple peine : aux effets de la crise économique, s’ajoutent la maladie elle-même qui nécessite parfois une hospitalisation prolongée de plusieurs semaines, puis le paiement du ticket modérateur qui s’élève rapidement à plusieurs milliers d’euros pour un séjour prolongé.

Proposition n°2 : Prendre en charge à 100% les frais d’hospitalisation liés à la Covid-19 pour les patients sans complémentaire santé ayant subi un séjour prolongé. Cette prise en charge pourrait passer par la création d’un fonds d’aide couvrant le coût du ticket modérateur pour les séjours prolongés, après analyse du dossier par la CPAM.

De nouvelles mesures d’économies pour les hôpitaux en dépit des financements exceptionnels en lien avec la covid-19

            Alors que le système de santé fait face à la deuxième vague de la pandémie de la Covid-19, le PLFSS 2021 prévoit de nouvelles mesures d’économies pour les établissements de santé. Or :

  • L’ONDAM[1] L’Objectif National des Dépenses d’Assurance Maladie fixe chaque année un objectif de dépenses estimatives à ne pas dépasser en matière de soins de ville et d’hospitalisation. est fixé à 224,6 Milliards d’euros en 2021, soit une progression de 3,5 % (en intégrant 9 milliards de surcoûts COVID) par rapport aux dépenses effectives de 2020. Compte tenu des dépenses exceptionnelles générées par les accords du Ségur et la Covid-19, une progression à 3,5% obligera les établissements à de nouvelles mesures d’économies. Les représentants des établissements avaient d’ailleurs proposé un taux d’évolution de 9 à 10 %.
  • L’article 25 du PLFSS introduit 13 milliards d’euros d’aide aux investissements sur 10 ans. La mesure de reprise d’un tiers de la dette des hôpitaux publics, annoncée à l’automne 2019, redonnera des marges en trésorerie et pour l’investissement courant. Les investissements plus structurants nécessitent l’activation des crédits du plan de relance ; on peut noter que l’enveloppe complémentaire de 2,5 milliards, annoncée lors des conclusions du Ségur, ne représente que la moitié du plan Hôpital 2012 (5 Mds €) qui avait été mis en œuvre à la fin des années 2000. En outre, le versement des aides est subordonné au respect d’un contrat signé entre l’établissement et l’Etat sur la base d’indicateurs financiers. En cas de non-respect, le projet de loi prévoit des pénalités pour les établissements au travers d’une reprise directe sur son budget (produits de titre 1). La mesure proposée se place ainsi dans la continuité du COPERMO[2] Créé en 2012, le Comité interministériel de la Performance et de la Modernisation de l’offre de soins hospitaliers demandait aux hôpitaux publics en difficulté financière ou ayant un … Continue reading pourtant supprimé dans le cadre du Ségur de la santé, en conditionnant les aides attribuées à l’établissement à des mesures d’amélioration de sa situation financière. Quel contraste avec les annonces ayant suivi le Ségur de la santé !

On relèvera toutefois que la latitude laissée aux ARS pour répartir les aides entre les établissements (80% des aides) va dans le bon sens, en renforçant leur rôle dans la régulation de l’offre de soins à l’échelle régionale.

Proposition n°3 : Attribuer les aides en investissement, non plus sur la base d’indicateurs financiers, mais au regard des besoins de santé de la population en partant des projets médico-soignants des groupements hospitaliers de territoire.

Pas d’urgence pour les urgences ?

            Le Forfait Patients urgences (FPU), visant à simplifier les démarches de facturation, représente une vraie menace pour l’accès aux soins dans un contexte où le nombre de passages dans les services d’urgences augmente de façon continue dans tous les pays du monde. Cette hausse traduit l’attente de la population pour des soins 24h/24 et 365j/an, dans une structure dotée d’un plateau technique complet. Si la mise en place d’un tel forfait ne saurait à elle seule inverser cette tendance de fond, elle risque cependant de dissuader certaines populations, jusqu’à maintenant prises en charge à 100%, de se faire soigner en l’absence d’offre de ville suffisante.

Proposition n°4 : Exonérer de FPU tous les assurés sociaux pris en charge à 100% (régime des ALD, femmes enceintes…).

            Par ailleurs, les expérimentations en cours pour une meilleure articulation avec la médecine de ville (ex. : forfait de réorientation) devront passer par des évaluations.

            Plus généralement, les mesures financières incitatives déployées ces dernières années pour une meilleure répartition des médecins sur le territoire ont eu des résultats limités en dépit d’un coût élevé. Il s’agit désormais de développer de manière plus égalitaire et volontariste l’offre d’une médecine de ville dont l’ONDAM reste sous-consommé. Pour cela, nous proposons de renforcer le rôle des ARS. Celles-ci se voient en effet aujourd’hui confier la mission de réduire les inégalités de santé, sans jouir de tous les leviers pour obtenir de réels résultats.

Proposition n°5 : Réguler l’installation des médecins libéraux en limitant le conventionnement avec l’assurance-maladie dans les territoires déjà suffisamment dotés, comme c’est déjà le cas pour d’autres professions de santé (infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes…). Dans les territoires suffisamment dotés, tout projet d’installation doit faire l’objet d’une autorisation de l’ARS pour que le praticien puisse conventionner avec l’assurance-maladie.

Une réforme de l’autonomie qui se fait attendre

            Depuis la canicule de 2003 et dans un contexte général de vieillissement de la population, il existe un débat sur la création d’une branche autonomie de la sécurité sociale qui se fait attendre.

  • Malgré les ajustements opérés par les Gouvernements successifs, le reste à charge pour les familles demeure trop élevé et trop inégalitaire selon les territoires.
  • Les soins et les prestations hôtelières ne sont pas à la hauteur des attentes de la société pour la prise en charge de nos aînés.
  • Si le PLFSS 2021 consacre enfin la création d’une telle branche, les dispositifs envisagés s’avèrent décevants. En effet, il s’agit avant tout d’une réforme technique. Le texte ne prévoit pas de ressources supplémentaires conséquentes et ambitieuses permettant de faire face aux enjeux du secteur.  Le Gouvernement ne saurait faire passer ce pétard mouillé pour la réforme de l’autonomie que la société attend depuis vingt ans.

            En outre, la double tutelle ARS-conseil départemental ne permet pas une gestion pertinente des ressources du secteur.

Proposition n°6 : Accroître le financement par la collectivité de la prise en charge de l’autonomie grâce à l’affectation d’une cotisation sociale ou d’une fraction de la CSG. 

Proposition n°7 : Instaurer un pilotage clair des enjeux d’autonomie via des « agences régionales de santé et de l’autonomie » aux compétences renforcées, dont la gouvernance s’ouvrirait davantage aux élus locaux.

Notes

1 L’Objectif National des Dépenses d’Assurance Maladie fixe chaque année un objectif de dépenses estimatives à ne pas dépasser en matière de soins de ville et d’hospitalisation.
2 Créé en 2012, le Comité interministériel de la Performance et de la Modernisation de l’offre de soins hospitaliers demandait aux hôpitaux publics en difficulté financière ou ayant un projet d’investissement majeur d’appliquer des plans d’efficience, en contrepartie des aides en trésorerie ou en investissement qu’il attribuait.