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Budget 2020 du ministère de l’Intérieur : quand l’exercice de communication ne cache plus la disette [Tribune #35]

Docteur en sciences de gestion, Chef du pôle sécurité intérieure de L’Hétairie et Conseiller scientifique de la spécialité sécurité-défense de l'Ecole d'Affaires publiques de Sciences Po.

Le 2 octobre 2019 dernier, « la marche de la colère » réunissait 22 000 policiers à l’appel des organisations syndicales représentatives de tous les corps (gradés et gardiens, officiers et commissaires). Remarquable tant par le nombre de manifestants que par son caractère unitaire, ce mouvement social marquait une défiance forte envers le ministre de l’Intérieur dont les orientations budgétaires pour 2020 ne sont définitivement pas à la hauteur des enjeux. Depuis, l’opposition à la réforme des retraites semble avoir temporairement éclipsé cet enjeu qui va se rappeler avec une cruelle brutalité dans les mois à venir.

Déjà, les premiers actes posés dans les premiers mois d’exercice du pouvoir avaient déçu[1] https://www.lhetairie.fr/single-post/PSQ les espérances qu’avait fait éclore la mise en place d’une police de sécurité du quotidien. En effet, cette « police de proximité » rénovée, principale mesure du programme Sécurité du candidat Macron lors de la campagne présidentielle de 2017, devait bénéficier de plus d’effectifs, mieux répartis et  mieux  formés. Les  mois  qui ont suivi n’ont hélas pas inversé cette impression. 

Le 24 octobre 2019 dernier, auditionné[2]http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/actualites-accueil-hub/plf-2020-audition-de-christophe-castaner dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2020 par la Commission des Lois de l’Assemblée Nationale, le ministre de l’Intérieur se voulait rassurant et rappelait que son administration allait recruter 2 000 policiers et gendarmes supplémentaires en 2020 pour organiser la montée en puissance des quartiers dits de « reconquête républicaine » (les Zones de sécurité prioritaire rénovées) dont le nombre total devrait être porté à 60.

            Pour réaliser ce double objectif, le budget de la Police nationale augmentera de 1% en 2020 et celui de la Gendarmerie nationale de 3%. Mais le ministre aurait tort de s’en satisfaire pour deux raisons :

            1) D’abord parce que cette augmentation est inférieure à l’augmentation tendancielle du budget du ministère (+4%) ce qui induit de facto une baisse du budget de 3% !

            2) Ensuite parce que tout l’effort budgétaire repose sur les recrutements, ce qui appauvrit plus encore les forces de sécurité intérieure ou les personnels des préfectures.

            Depuis 2017, la devise du Gouvernement semble inchangée : pour embaucher plus, équipons moins et investissons encore moins. La situation aggrave plus encore[3]https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/10/11/sous-gerard-collomb-le-ministere-de-l-interieur-aura-amorce-bien-peu-de-reformes_5367756_3232.html le ratio entre les dépenses de personnel et les dépenses de fonctionnement/investissement : le poids des dépenses de personnel dans la Police nationale s’élèvera désormais à 90% des dépenses totales (79% pour la Gendarmerie nationale) tandis que

  • pour le programme 176 (Police nationale), les dépenses de fonctionnement (titre 3) baissent de 16% en 2020,  et celles d’investissement (titre 5) chutent de 24 % (à lui seul, l’immobilier perd 10%). Concrètement, ce sont des commissariats insalubres qui ne seront pas rénovés et des véhicules hors d’âge qui ne seront pas remplacés.
  • Côté programme 152 (Gendarmerie nationale), les dépenses d’investissement (titre 5) baissent de 17,6%. De quoi compromettre le renouvellement des Véhicules blindés à roue de la Gendarmerie et les 936 Iris bus (véhicules servant au transport des gendarmes mobiles), deux parcs vieillissants et pourtant indispensables aux opérations de maintien de l’ordre public.
  • Pour les préfectures, le budget de fonctionnement diminue de 16%, mettant à mal la promesse gouvernementale de déconcentrer davantage pour rapprocher l’État des territoires.

            Au demeurant, les recrutements ne bénéficient guère à l’ensemble du ministère : mettre en avant la hausse des recrutements (+1400 équivalents temps plein dans la Police nationale, +527 dans la Gendarmerie) cache ainsi la suppression de 471 ETP dans les préfectures. L’ambition initiale du Plan Préfecture Nouvelle Génération (PPNG), qui entendait recentrer les agents sur le « cœur de métier » des préfectures, se trouve sabrée par un nouveau coup de rabot dans les effectifs d’une administration déjà exsangue.

            Quant à l’ambition d’une Police de sécurité du quotidien (PSQ), présente pour les Français dans les territoires, elle semble, elle-aussi, battue en brèche par les choix budgétaires du Ministre : les hausses de personnels ne sont plus du tout fléchées vers la sécurité publique. L’action budgétaire « Sécurité et paix publiques » du Programme 176 n’augmente que de 2%, contre +13,5% pour l’action « Ordre public et souveraineté ». Côté gendarmerie, le budget de la réserve opérationnelle baisse de 30%, malgré l’ambition de faire monter en puissance la Garde Nationale.

Créditons toutefois le Ministre de bénéficier d’une augmentation de l’investissement dans la sécurité civile (+34%, soit 322M€) et des dépenses de fonctionnement de la Gendarmerie nationale (+6% en 2020) en vue, notamment, de l’achat de 1 600 véhicules neufs. Si cet effort est louable, il est cependant très insuffisant. Rappelons que, dans son rapport de septembre 2018[4]http://www.senat.fr/rap/r17-717/r17-717_mono.html , la commission des finances du Sénat, appuyée par la Cour des Comptes, déplorait que l’âge moyen des véhicules légers de la Gendarmerie soit passé de 7 ans et 4 mois à 8 ans et 2 mois. Le Parlement a souligné à de multiples reprises que le besoin minimal de renouvellement annuel est de l’ordre de 3 000 véhicules. Avec les gels de crédits décidés par Bercy, les crédits disponibles en début d’année ne permettent d’acheter que 1200 véhicules. Encore une fois, la politique gouvernementale est contredite par les besoins du terrain.

 Face à l’hypertrophie des dépenses de personnel et à l’injustice qui consiste à faire reposer les efforts budgétaires sur les budgets de fonctionnement et d’investissement, le ministre doit faire preuve de courage politique. Il devient urgent :

  • de marquer une pause dans les recrutements de personnels pour reventiler les crédits ainsi libérés vers les équipements ; il en va de la continuité du service public de la sécurité.
  • de mettre un terme à cette gestion par à-coups dont les policiers et gendarmes sont les premières victimes. A cette fin, disposer d’une loi de programmation budgétaire s’avère impératif. Pour ce faire, il convient de définir les orientations des politiques publiques de sécurité que le Gouvernement entend conduire, de désigner les acteurs à qui ces missions seront confiées, d’en déterminer les modalités de conduite et, enfin, d’y associer des moyens, notamment budgétaires.

            Annoncée par Gérard Collomb dans sa feuille de route de l’automne 2017, cette loi de programmation n’a pas été traduite dans les faits au point d’être réannoncée en janvier 2019. Cette fois, des groupes de travail ont été lancés pour la remise d’un Livre blanc prévue en mars. Mais on peut légitimement douter de leurs débouchés. En effet :

  • En 2020, l’agenda parlementaire ne semble pas favorable à son inscription à l’ordre du jour des assemblées avant l’automne 2020, au mieux.
  • Plus grave, la Loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a fait naître des doutes sérieux quant à la propension du Gouvernement à respecter les trajectoires budgétaires qu’il se fixe lui-même : pour 2020, l’augmentation budgétaire de la place Vendôme ne s’élève qu’à 200 millions d’euros (AE) contre les 400 millions d’euros programmés, tandis que les effectifs n’augmenteront que de 1 200 ETP contre les 1 600 programmés. Il s’agit d’un bien mauvais signal adressé à ceux qui, au ministère de l’Intérieur, se raccrochent à l’idée d’une LOPSI III.

L’état d’urgence budgétaire du ministère de l’Intérieur n’appelle aucun triomphalisme. S’en dire heureux et satisfait ne dure que le temps du pacte faustien ; à la fin, seule reste la réalité crue de chiffres que l’on croyait être parvenu à faire oublier.