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Egalité femmes/hommes : prouver l’engagement et choisir l’efficience [Livret #1]

            S’il existe une thématique d’action publique pour laquelle les alternances politiques peuvent légitimement faire craindre des reculs, c’est bien celle de l’égalité entre les femmes et les hommes, tant cette bataille nécessite un engagement plein et entier de celles et ceux qui ont en charge le gouvernement du pays.

            En l’espèce, la parole gouvernementale doit être particulièrement forte pour peser. Cependant, l’occupation du terrain médiatique et les annonces sectorielles ne sauraient suffire, surtout si ces dernières donnent le sentiment que l’on navigue à vue. Car c’est par l’alliage entre la continuité des politiques publiques, la consolidation budgétaire, l’engagement politique attesté et le Verbe haut que les droits des femmes resteront dans la dynamique d’un long travail de solidification, au bénéfice des femmes mais aussi de toute la société.

            Yvette Roudy, ministre des droits des femmes de 1981 à 1986, le relevait avec acuité : « quand les droits des femmes n’avancent pas, ils ne font pas du sur place, ils reculent ». Or ces reculs redoutés semblent aujourd’hui se matérialiser au travers d’une action gouvernementale guidée par un supposé post-féminisme teinté de libéralisme. En effet, elle repose sur un double postulat implicite et préoccupant :

  • D’une part, les combats politiques des féministes de ces dernières décennies seraient « dépassés », renvoyés à « l’ancien monde » (celui du clivage droite-gauche) ;
  • d’autre part et concomitamment, la société aurait à ce point intégré l’égalité femmes/hommes dans son quotidien que l’on pourrait s’en remettre au libre arbitre des femmes, au post-féminisme généralisé des hommes, et donc à une certaine autorégulation qui permettrait à l’Etat de refluer, notamment au plan budgétaire.

            Mais cette posture ne profite qu’à celles et ceux qui sont le moins exposé.e.s ; elle nuira considérablement aux femmes précaires, à divers titres, alors même qu’elles sont en droit d’attendre de l’Etat qu’il se donne les moyens de garantir et de faire réellement avancer l’égalité entre les femmes et les hommes. Il reste encore à briser tous les plafonds de verre ; pourtant, si l’Etat stratège et régulateur se désengage de cette mère des batailles aux fronts multiples, l’égalité femmes/hommes tendra à décliner dans toutes les sphères de la société.

            De fait, l’action publique gouvernementale en matière d’égalité femmes/hommes ne peut se contenter de slogans (une « grande cause nationale »), d’engagements en trompe l’œil (un budget qui stagne) ou d’une logique d’empilement de mesures sectorielles pour prétendre à l’efficacité.

            Si elle doit naturellement reconnaître des droits nouveaux en réponse à des sujets tels que la nécessité de légaliser la PMA pour toutes les femmes ou la possibilité de verbaliser le harcèlement de rue, elle ne doit toutefois pas omettre – ou feindre d’ignorer – que la responsabilité de la puissance publique, consiste avant tout et surtout à assurer l’effectivité de ce que la loi a bâti, en l’occurrence au travers d’un patient travail législatif au cours des dernières décennies.

            En effet, une politique efficace de lutte contre les inégalités femmes/hommes ne peut se concevoir qu’en agissant globalement, sur tous les fronts et à la racine des inégalités, qu’elles soient politiques, sociales, économiques ou culturelles : lutte contre le chômage et la pénibilité au travail, recul de toutes les formes de violences, accès à la santé, à l’éducation et à une orientation professionnelle non sexuée, investissement dans les territoires et les infrastructures de proximité, plan ambitieux en faveur de l’environnement. Des variables qui ont un impact direct sur les droits des femmes.

            Dans cette perspective, et parce que l’on peut légitimement s’inquiéter des approches du gouvernement d’Edouard Philippe et de la Secrétaire d’Etat Marlène Schiappa, le Gouvernement doit prouver son engagement et choisir l’efficience. Ce qui appelle :

  • Une approche globale, dans la continuité de ce qui fut initié par Najat Vallaud-Belkacem, garantirait la pérennité et l’optimisation des politiques publiques de l’Etat en faveur de l’égalité femmes/hommes.

            Sur ce point, les positions idéologiques implicites de la Secrétaire d’Etat, ses choix de communication focalisant sur des mesures sectorielles sans mise en perspective qui donnerait un sens global aux actions, mais également le sentiment de naviguer à vue au cours de ses premiers mois d’exercice, fragilisent l’indispensable approche intégrée de l’égalité et la nécessité de l’atteindre dans les sphères politiques et professionnelles.

  • Des axes d’intervention forts et sans ambiguïté : la clarification des buts et des moyens, notamment ceux de la « Grande cause nationale », s’impose. L’opération sera-t-elle pérenne ? Quelles en seront les priorités stratégiques ? Ses moyens seront-ils croisés avec les politiques publiques et les budgets de l’Etat pour en renforcer la portée et l’efficacité ? Son annonce, non dénuée d’impact, ayant été suivie d’un renvoi au 8 mars prochain, soulève inopportunément de nombreuses questions qui auraient dû trouver réponse sans maintenir un flou de six mois.
  • Une articulation sérieuse des objectifs et moyens des politiques portées par le Secrétariat d’Etat avec ceux de la Grande cause nationale. Cette articulation devrait en premier lieu s’opérer autour des questions d’éducation à l’égalité entre les filles et les garçons, entre les femmes et les hommes, et par ailleurs, autour des questions d’égalité professionnelle et salariale, dans un contexte où les dépenses allouées à ces dernières décroissent de 10% environ dans le budget pour 2018.

            Sur ce sujet crucial, on sera aussi en droit d’exiger la mise en cohérence des discours et des actes : dans le contexte des ordonnances sur la réforme du travail, la modernité consisterait à ce qu’un Etat régulateur renforce l’Inspection du travail plutôt que d’élever le « name and shame » au rang de politique publique, choix discutable tant du point de vue philosophique que de l’efficacité et de l’esprit de responsabilité gouvernementaux.

            Enfin, il faudra œuvrer à la nécessaire complémentarité renforcée entre les actions menées par les services déconcentrés de l’Etat et celles des collectivités territoriales et associations, tant l’effet levier des crédits affectés au réseau du Service des droits des femmes et de l’égalité est optimisé quand il est combiné aux initiatives et expériences nombreuses menées sur le terrain.L’égalité femmes/hommes : un marqueur de(s) gauche(s) qui se heurte au libéralisme d’Emmanuel Macron

L’égalité femmes/homme : un combat et un marqueur de(s) gauche(s)

            Indubitablement, la gauche se caractérise par une passion pour l’égalité des droits, une bataille perpétuelle pour l’égalité réelle, et donc une passion pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Avec l’école, ce combat constitue même l’un des marqueurs pérennes de gauche ; un combat invariablement d’actualité parce qu’il incarne l’un des piliers d’une émancipation républicaine à réhabiliter.

            Dans cet esprit, en 2012, Najat Vallaud-Belkacem affirmait avec raison : « L’égalité entre les femmes et les hommes est aujourd’hui une valeur et une promesse de la République, en même temps qu’un objectif fondamental de l’institution scolaire ».

            En effet, les combats féministes ont toujours fait partie de l’identité de(s) gauche(s) :

  • Pour garantir la liberté des femmes à disposer de leur corps, la Loi Veil a été adoptée par le Parlement en 1974 grâce aux voix de la gauche ; la loi Roudy a permis son remboursement en 1982, et la loi Aubry a allongé en 2001 le délai légal de recours à 12 semaines.
  • Les premières dispositions pour l’égalité professionnelle ont elles aussi été portées par les forces de gauche (Loi Roudy en 1983 sur l’égalité professionnelle, Loi Genisson en 2001 qui vise à développer le dialogue social sur ce sujet et à lutter contre les discriminations à l’emploi).
  • La première loi pour la parité en politique a été adoptée en 2000. La loi Aubry s’est ensuite engagée pour l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives.
  • Enfin en 2012, François Hollande nomme le premier gouvernement paritaire de la Cinquième République.

            D’ailleurs, le retour de la gauche au pouvoir en 2012 a permis de poursuivre le renforcement des droits des femmes, notamment grâce à :

  • L’adoption de la loi relative au harcèlement sexuel du 6 août 2012 ;
  • La première loi cadre du 4 août 2014 relative à l’égalité réelle entre les femmes et les hommes qui vise à combattre les inégalités dans les sphères privée, professionnelle et publique ;
  • Ou encore par la loi du 13 avril 2016 visant à lutter contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées.

Un combat largement inachevé

            Pourtant, sans verser dans un quelconque catastrophisme, force est de constater que l’égalité réelle n’est pas advenue. Prétendre le contraire reviendrait soit à s’aveugler, soit à assumer un postulat résolument libéral qui considérerait que la puissance publique aurait d’ores et déjà achevé son devoir envers la société et que, l’existence d’un ample corpus législatif suffisant pour garantir l’égalité en droit, seule la responsabilité individuelle pourrait désormais faire reculer les inégalités.

            Or, ni l’égalité en droits, ni l’égalité réelle ne sont véritablement instaurées : et les seuls propos entendus dans les hémicycles de l’Assemblée nationale et du Sénat, à l’occasion de l’examen de la proposition de loi Coutelle sur l’extension du délit d’entrave à l’IVG[1]La proposition de loi visait à étendre le délit d’entrave à l’IVG, créé en 1993, à l’encontre de ceux qui perturbent l’accès aux établissements ou exercent des menaces … Continue reading, fin 2016/début 2017, devraient permettre de s’en convaincre, plus de quarante ans après la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse.

            Dans un contexte français et européen pollué par des campagnes « anti-choix » conduites par des groupements réactionnaires, les droits des femmes ont plus que jamais besoin d’être réaffirmés comme un combat politique pour contrer les conservatismes et offrir des avancées nouvelles, certes réactualisées, mais s’inscrivant également dans une indispensable continuité.

            Car, depuis la mobilisation en opposition au mariage pour tous, ces groupements réactionnaires ont poursuivi une efficace stratégie de lobbying dont l’un des pans, outre un renforcement organisationnel et financier, a consisté à élargir leur influence au sein de la droite traditionnelle, jusqu’à en investir les organigrammes des instances politiques.

            De fait, nul ne saurait ignorer le poids de cette désormais force politique qui saura sans aucun doute exploiter l’action publique hésitante d’une « nouvelle manière de faire », laquelle pourrait aussi bien prôner le ménagement des sensibilités qu’une forme de laisser-faire intrinsèquement libéral, a fortiori sur les sujets résolument politisés que sont le droit des femmes à disposer de leur corps ou l’éducation à l’égalité et à la sexualité.

            Comme déjà évoqué, les aspirations à l’égalité femmes/hommes restent donc vives et clivantes. Malgré plus de quarante années de politiques d’égalité femmes-hommes, malgré les politiques volontaristes visant à remédier aux inégalités, beaucoup de « plaies » restent à vif.

            C’est le cas, très visible, en matière de parité pour laquelle il reste encore et toujours à faire. En dépit des mesures prises par l’ancienne majorité pour la généraliser dans tous les secteurs de la vie sociale, nombreuses sont celles qui pâtissent encore et toujours au quotidien de l’épaisseur de ce plafond de verre.

            Si l’Assemblée nationale progresse avec 38,8% de femmes à l’issue des dernières élections législatives, seules 3 femmes sur 17 sont présidentes de région tandis que 16% des maires sont des femmes. Quant aux EPCI, qualifiés de « zones de non-droit de la parité »[2]Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes, « Quel partage du pouvoir entre les femmes et les hommes élu.e.s au niveau local ? », État des lieux de la parité aux niveaux … Continue reading par le Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes (HCEfh), les hommes continuent d’y monopoliser les postes exécutifs à une écrasante majorité : 92,3 % d’entre eux sont présidés par des hommes. Comme cela est désormais admis en matière de probité, comment appliquer et étendre le droit si les responsables politiques ne donnent pas l’exemple ?

            Dans la sphère professionnelle, les inégalités sont elles aussi des plus visibles et s’imbriquent : 82% des salarié.e.s à temps partiel sont des femmes alors même que 82% des parents de familles monoparentales sont également des femmes. Conséquence des inégalités accumulées au cours de carrières professionnelles précaires et hachées, tous régimes de retraite confondus, les femmes perçoivent des pensions de retraite très sensiblement inférieures à celles des hommes : 993 € par mois contre 1642€ en 2013, selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) [3]La DREES est une direction de l’administration centrale des ministères sociaux – soit 40% de moins.

            C’est aussi l’urgence de protéger les femmes face au fléau des violences sexuelles et sexistes :

  • Une femme sur huit a subi au moins un viol ou une tentative de viol au cours de sa vie ; 83.000 femmes sont ainsi concernées chaque année. 10% des victimes de viol portent plainte et 10% des plaintes aboutissent à la condamnation de l’agresseur.
  • Tous les 2,7 jours, une femme décède, victime de son conjoint.
  • Chaque année, 220.000 femmes déclarent être victimes de violences physiques ou sexuelles de la part de leurs conjoints ou ex-conjoints.

            Sur cet enjeu majeur, il reste tant à faire. Pour libérer et mieux recueillir la parole des femmes et qu’enfin la honte change de camp. Pour appliquer efficacement les lois, consolidées ces dernières années à travers le renforcement de l’ordonnance de protection, l’éviction du conjoint violent, la mise en place des téléphones grand danger, ou encore l’exigence d’impunité en cas de féminicides désormais considérés comme circonstance aggravante des crimes et délits. Pour, encore et toujours, renforcer la législation, mieux protéger les femmes et les filles, afin qu’aucun auteur ne reste impuni. Le projet de loi sur les violences sexuelles annoncé par le Gouvernement, outre les dispositions qu’il affiche et qu’on ne peut que saluer, devra le permettre au-delà de l’affichage, sans quoi il passera à côté des attentes et des enjeux réels.

            Enfin, les stéréotypes ont la vie dure, et les médias restent sur ce point des bastions. Les femmes représentent 36% du temps d’antenne à la télévision ; et les femmes dites expertes ne sont que 20% à être invitées pour commenter les actualités dans les médias.

            Cause ou conséquence, il n’en reste pas moins que cette réalité ne contribue pas à déverrouiller les stéréotypes sexistes qui imprègnent notre société, là où les produits télévisuels, en particulier de service public, devraient contribuer à mieux diffuser encore dans la société une véritable culture de l’égalité.

            Pour toutes ces raisons, l’égalité réelle entre les femmes et les hommes fait figure d’enjeu majeur de justice sociale et constitue, de facto,un marqueur qui justifie la permanence d’un clivage droite – gauche. Car son dépassement, en ce domaine comme en d’autres, consacre en réalité une vision libérale et conservatrice ; elle fait donc perdre du terrain aux droits des femmes.

            Et les premiers pas du Gouvernement Philippe confirment ce raisonnement.

L’inquiétude des débuts : la preuve par les faits

            Alors que le combat féministe nécessite des prises de position solides, on peut légitimement s’inquiéter de ce que le féminisme affiché par le candidat Macron à l’occasion de la dernière journée du 8 mars et, désormais par Marlène Schiappa, est empreint de libéralisme politiqu. Au demeurant, il se teinte de plus de conceptions essentialistes.

            Selon cette pensée, les femmes seraient collectivement caractérisables par des déterminants (sociaux, professionnels, etc… ) qui seraient inhérents à leur « nature de femme » : si par exemple on analyse le raisonnement que tint Marlène Schiappa en juillet dernier devant la Délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale, on retiendra que, par une confusion malheureuse entre caractéristique biologique des femmes et aptitude à l’éducation des enfants, la Secrétaire d’Etat proposait que les mères peu diplômées et en recherche d’emploi puissent être encouragées par l’Etat à passer un CAP Petite enfance pour trouver du travail.

            Cette vision contredit catégoriquement l’universalisme, pensée établissant que, dans la République, toute personne est caractérisée par les droits et les devoirs qui lui sont inhérents et qui ne sont relativisés par aucune distinction, notamment de sexe.

            Hors de cette conception éminemment de gauche, résolument républicaine et profondément démocratique, toute politique publique d’égalité entre les femmes et les hommes ne serait conceptuellement que « charité faite aux femmes », discrimination positive paternaliste et consentie, plutôt que volonté concrétisée en politiques publiques d’émanciper les individus sur la base du principe d’égalité. Or l’égalité femmes-hommes suppose une affirmation constante de ce principe et seule une approche universaliste peut servir de pierre angulaire à l’émancipation réelle des femmes.

            A cette aune, les premiers actes du nouveau Président ont été éloquents : au lieu d’un ministère de plein exercice promis pendant la campagne électorale, le Gouvernement Philippe a créé un Secrétariat d’Etat aux droits des femmes. Celui-ci a été certes placé auprès du Premier ministre, ce qui semblerait à première vue garantir son impact interministériel. Mais pareille décision pourrait également être lue comme attestant qu’il n’en faut désormais pas plus pour garantir l’égalité femmes/hommes. De fait, un Secrétaire d’Etat disposera toujours d’une voix plus faible et d’un moindre poids par rapport à un.e Ministre qui siège au Conseil des Ministres. C’est aussi, du point de vue budgétaire, une difficulté à affronter le « verrou de Bercy » ou à peser réellement lors des arbitrages interministériels.

            Une crainte parfaitement fondée s’est donc emparée des associations féministes, tant elles connaissent la fragilité des engagements gouvernementaux pour les droits des femmes.

            De même, le choix de nommer Marlène Schiappa en qualité de Secrétaire d’Etat n’a pas manqué de susciter un certain étonnement que ses prises de parole n’ont pas permis de dissiper pour faciliter son entrée en fonction ou crédibiliser son féminisme.

            Ecrivaine, fondatrice du réseau Maman Travaille, ses positions ont été parasitées non seulement par des cafouillages excusables si elle ne savait combien la parole de celle qui incarne les droits des femmes au Gouvernement compte.

            Sont également venues s’ajouter des révélations sur la publication, en 2010, d’un livre intitulé Osez l’amour des rondes et dont le propos semble pour le moins éloigné du féminisme politique[4]Dans cet ouvrage, Marlène Schiappa, cède à l’affirmation de stéréotypes sexistes sur les comportements et la sexualité des femmes « rondes ». , ou encore ses liens avec l’association « SOS Papa » et ses positions très lourdement masculinistes[5]Créée en 1990, l’association SOS PAPA est connue pour sa récente opposition à la loi relative au « mariage pour tous », ses prises de position pour la garde alternée obligatoire des enfants … Continue reading.

            Mais si des errements et maladresses ont fragilisé les débuts de ses responsabilités de Secrétaire d’Etat aux droits des femmes, ce sont surtout les annonces réalisées qui ont renforcé l’inquiétude de nombreuses associations féministes. L’annonce d’une réflexion avec le ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer sur la création d’une certification de type « CAP petite enfance » a déjà été évoquée. Ce fut également la mise en œuvre du principe du « name and shame » pour les entreprises ne respectant pas l’égalité professionnelle (cf. infra). Ce dispositif, dont l’efficacité reste douteuse, ne peut en aucun cas pallier le contrôle administratif, seule garantie véritable, notamment car procédant matériellement de la puissance et de la responsabilité publiques.

Un budget péniblement maintenu, loin de la progression annoncée

            Un décret paru au Journal officiel du vendredi 21 juillet[6]Décret n° 2017-1182 du 20 juillet 2017 portant ouverture et annulation de crédits à titre d’avance, JORF du 21 juillet 2017 a confirmé une coupe budgétaire de 7,5 millions d’euros sur les 30 dont le Secrétariat d’État dispose pour l’exercice 2017.

            Après des explications plus ou moins claires sur les conséquences de ces coupes budgétaires dans le plus petit budget de l’Etat (0,0066% du budget de la France), notamment au détriment des associations, Marlène Schiappa rétropédale début septembre et annonce une augmentation de celui-ci dans le cadre du PLF 2018, pour atteindre 29,8 millions, parlant alors du budget, « le plus élevé jamais atteint ».

            Une première analyse permet toutefois de constater une chute de 10% des crédits consacrés aux dépenses « actions et expérimentations pour la culture de l’égalité et en faveur de l’égalité professionnelle, politique et sociale »[7]Programme 137, action 11 : de 5.423.900 euros à 4.899.426 euros d’autorisations d’engagement.. Conséquence concrète ? L’amplification annoncée de reculs préjudiciables à l’image de ceux induits par la suppression de la subvention attribuée au réseau Mage (marché du travail et genre), premier réseau de recherche en France concentrant ses études sur les inégalités entre les femmes et les hommes dans le monde du travail.

            Au total, entre fausses annonces, vrais rétropédalages et vraies suppressions non commentées, il est facile de s’y perdre et la stratégie des écrans de fumée – si c’en est bien une – tend malheureusement à fonctionner.

            Il est toutefois utile de rappeler qu’entre 2012 et 2017, les crédits du « programme 137 » relatif à l’égalité entre les femmes au sein des projets de loi de finances (PLF) ont augmenté de 50 % : en 2012, la loi de finances initiale prévoyait 20 millions d’euros de crédits tandis qu’en 2017, ce sont presque 30 millions d’euros qui étaient budgétés.

            Et alors même qu’un appel à la rigueur budgétaire était imposé aux autres ministères, les Gouvernements Ayrault et Valls choisissaient de préserver le budget des droits des femmes. Autre majorité, autres choix politiques.

Grande cause nationale : une bonne idée pour l’instant sans consistance

            Diffuser la culture de l’égalité femmes/hommes au sein de chaque politique publique doit indéniablement constituer l’un des objectifs premiers. En ce sens, la consécration de l’égalité femmes/hommes comme grande cause nationale pourrait apparaître comme une décision heureuse.

            Que va permettre concrètement cette « consécration » ? Comme l’indique le Portail du Gouvernement, « ce label, attribué par le Premier ministre, permet à des organismes à but non lucratif, qui souhaitent organiser des campagnes de communication faisant appel à la générosité publique, d’obtenir des diffusions gratuites auprès des sociétés publiques de radio et de télévision. »

            A cette lecture, ce dispositif soulève plusieurs questions : quels organismes pourraient être labellisés ? Sur quel(s) thème(s) ? Selon quelle stratégie d’ensemble ? Mais aussi : combien coûte la gratuité, et qui la paie ?

            Au-delà de questions qui devront trouver des réponses dont la portée et l’enjeu ne seront pas anodins, retenons qu’il s’agira donc de sensibiliser les Français.es à une ou des causes relevant du champ de l’égalité femmes/hommes. La diffusion publicitaire doit pouvoir en effet contribuer à faire avancer une culture de l’égalité par le truchement de ces grandes campagnes nationales répétées sur plusieurs années. Indispensable ? Certainement. Mais suffisant ?

            Pour une approche globale efficiente, pour que les moyens de communication de la Grande cause nationale soient mis au service de buts précis, il faudra surtout veiller à :

  • La complémentarité avec le renforcement de l’arsenal législatif pour les droits des femmes ;
  • La collaboration nécessaire avec l’ensemble des acteurs institutionnels en faveur des droits des femmes (HCE, CSEP, MIPROF, délégations parlementaires[8]Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes, (HCE) Conseil Supérieur de l’Egalité professionnelle (CSEP), Mission interministérielle de protection des femmes contre les violences … Continue reading ) et avec le tissu associatif ;
  • La densification des politiques publiques centrales et déconcentrées.

            Seule cette alliance portera vraiment des fruits. Pour le dire autrement : il faudra que le Gouvernement ne cède pas à l’idée selon laquelle la probable amplification budgétaire liée aux moyens de la « Grande cause nationale » soit compensée par une baisse des crédits consacrés aux politiques publiques, à terme ou par paliers. Il faudra tout au contraire et à tout le moins les sanctuariser.

            Un engagement pour une croissance soutenue de quelques points par an pour ces politiques devrait même être pris avec d’autant plus de facilité qu’il ne mettrait aucunement en péril le rétablissement des comptes de la Nation. A titre de comparaison, 1% de budget annuel du Secrétariat d’Etat représente moins de 300.000 euros quand l’ancien produit annuel des seuls 100 premiers contributeurs à l’ISF s’élevait à 126 millions d’euros. On peut donc penser qu’un effort de 5% sur cinq ans, pour peu qu’on le veuille, ne poserait guère de problème tandis que son utilité se passe de démonstration.

            Nombreux sont les besoins qui justifieraient cette courbe budgétaire ascendante :

  • Des études d’impact renforcées au sein de chaque projet de loi relatif aux conséquences sur les droits des femmes et l’égalité.
  • Des référent.e.s mieux identifié.e.s au sein de chaque ministère.
  • Des moyens pour généraliser les budgets genrés afin d’analyser la finalité des dépenses publiques et l’impact de leur attribution sur les inégalités.
  • Des moyens humains renforcés en fonctionnaires pour contrôler prioritairement la bonne application des politiques d’égalité professionnelle, surtout dans un paysage bouleversé par la réforme du travail par ordonnances dont la philosophie générale est d’apporter plus de flexibilité à l’entreprise. Or, cette flexibilité touche en premier lieu les salarié.e.s en situation précaire et donc les femmes qui cumulent souvent les emplois à temps partiels, sous-qualifiés, aux horaires atypiques, et qui portent pourtant la majorité des responsabilités familiales.

            Comment ignorer qu’un Etat régulateur n’est vraiment dans son rôle que s’il se donne les moyens d’appliquer de façon sincère, effective et crédible les lois dont le législateur l’a doté ?

  • Renforcer les moyens de contrôle dans les médias. En effet, sensibiliser à l’égalité, consiste aussi à savoir dire le droit face aux errances de la société du spectacle. En application de la loi du 4 août 2014, le CSA a vu, de façon heureuse et opportune, ses compétences renforcées pour veiller au respect des droits des femmes et à la juste représentation des femmes dans les médias. Face à une attente grandissante du public, le renforcement des moyens de contrôle en l’espèce est aujourd’hui aussi un objectif phare, qui contribuera fortement à faire évoluer les mentalités.

            De surcroît, en matière d’efficacité, pour ne pas tomber dans le piège de l’éparpillement ou les travers d’actions de communication peu efficaces, il serait opportun de choisir seulement un ou deux thèmes pour concentrer les moyens, donc les messages, qui seront offerts par la dotation médiatique de la Grande cause nationale. De ce point de vue, il apparaît que les deux sujets majeurs devraient être l’égalité filles/garçons et, en complémentarité, l’égalité professionnelle et salariale.

L’indispensable primat de l’éducation, y compris à la sexualité

            Pour que l’Ecole puisse jouer pleinement son rôle, et alors que la République se doit de « rappeler à la loi », notamment sous un angle préventif afin d’éviter les régressions conservatrices en matière d’égalité femmes/hommes, il serait pertinent et utile à plus d’un titre de se servir des moyens de la grande cause nationale pour instituer en priorité l’éducation à l’égalité mais aussi à la sexualité.

            Parce que l’égalité est une valeur fondatrice de la République, elle doit avant tout être portée par l’Ecole, au-delà des efforts réalisés dans les espaces politiques, législatifs, administratifs et médiatiques.

            Comme le rappelle la loi du 8 juillet 2013 pour la refondation de l’École : « La transmission de la valeur d’égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes, se fait dès l’école primaire ». Or, après la controverse sur les « ABCD de l’égalité » et le plan d’action pour l’égalité entre les filles et les garçons à l’école, lancé le 25 novembre 2014[9]Ce plan, élargi à tous les écoles, collèges et lycées publics, est composé d’outils pédagogiques pour l’égalité et d’un plan de formation de tous les professeurs., comment garantir une réelle éducation à l’égalité et à la sexualité au sein des écoles ?

            Face aux disparités des établissements, le rapport du Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes intitulé « Formation à l’égalité filles/garçons : faire des personnels enseignants et d’éducation les moteurs de l’apprentissage et de l’expérience de l’égalité »,publié en février 2017, dresse une liste de recommandations qu’il serait opportun de mettre en pratique :

  • Renforcer et généraliser l’éducation à l’égalité filles-garçons dans la formation initiale des personnels enseignants et d’éducation ;
  • Conforter la présence de personnes ressources sur l’égalité femmes/hommes dans chaque établissement ;
  • Faire de l’égalité filles-garçons une connaissance requise pour l’obtention des diplômes d’enseignant.e.s ;
  • Développer et garantir une offre de formation continue sur l’égalité des sexes.

            Dans un contexte où l’on demande déjà beaucoup à l’Ecole de la République, renforcer ses prérogatives et ses missions de transmission des valeurs de l’égalité doit nécessairement s’accompagner d’une meilleure formation continue des personnels et d’une meilleure reconnaissance de leur statut.

            Cette ambition doit également passer par un meilleur contrôle de l’application de la circulaire n°2003-027 sur l’éducation à la sexualité dans les écoles, les collèges et les lycées tant l’on connaît les disparités de mise en œuvre en fonction des établissements[10]La circulaire n°2003-027 détaille les objectifs de l’éducation à la sexualité, les modalités de mise en œuvre au sein des établissements en termes de contenus et d’horaires, et les … Continue reading. Il faudra notamment interroger la responsabilité des coordinateurs académiques qui devraient être mis en place pour suivre son application, comme le précise la circulaire.

            C’est aussi la nécessité de renforcer encore et toujours le contenu du programme éducatif, au-delà des activités et ressources déjà proposées par l’Education nationale, afin de sensibiliser les élèves aux réalités des inégalités et des stéréotypes, et offrir des clés pour les combattre, notamment par des supports pédagogiques adaptés et des manuels scolaires non sexués.

            Mais faire de l’école un des lieux d’apprentissage de l’égalité filles-garçons, ne revient pas à minimiser la responsabilité de la sphère familiale dans l’apprentissage du respect de l’autre ; il s’agit plutôt de considérer qu’il est du devoir des pouvoirs publics de s’emparer de ces inégalités pour les combattre, et d’apprendre à chaque élève l’exigence de l’égalité et de la mixité, le respect de chacun, et le sens du mot « consentement ».

            Agir dès l’étape de l’école, c’est refuser que les stéréotypes se construisent dès le plus jeune âge, dès la cour d’école, dès les choix d’orientation scolaire. C’est agir à la racine des inégalités pour permettre une égalité des possibles entre les filles et les garçons.

Promouvoir l’égalité professionnelle et salariale

            En prolongement et en cohérence, pour produire un message global impactant, la Grande cause nationale devrait également mettre l’accent sur l’égalité salariale et professionnelle. Or, dans le contexte de la réforme du travail, l’égalité femmes/hommes est perdante.

            Les craintes portent notamment sur la souplesse octroyée aux entreprises pour négocier les accords de mobilité, les modifications du temps de travail, l’extension du travail de nuit, ou encore la négociation des droits familiaux, dont la flexibilité croissante risque de fragiliser l’équilibre déjà précaire de beaucoup de femmes en entreprise. 

            Autre sujet de fortes inquiétudes : l’avenir de la base de données économiques et sociales (BDES), d’ores et déjà réformée par la loi Rebsamen de 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, puis par la loi El Khomri de 2016. Elle contient aujourd’hui des informations et critères d’analyse et de comparaison sur l’égalité femmes/hommes, indispensables à la négociation, et remplace ce qui était auparavant contenu au sein du Rapport de situation comparée (RSC).

            Or, les ordonnances récemment adoptées permettent de modifier par accord d’entreprise les critères contenus dans la BDES. Sans éléments obligatoires sur l’égalité femmes/hommes, éléments sur lesquels étaient basés les plans pour l’égalité professionnelle, il est à parier que les représentants du personnel se trouveront désarmés pour lutter contre les inégalités professionnelles, a fortiori quand on sait que les droits des femmes ne sont malheureusement pas la priorité des syndicats lors des négociations professionnelles.

            Ce débat pose d’ailleurs la question de la place des femmes au sein des syndicats représentatifs en France et de la féminisation de leurs instances. Un Etat arbitre, régulateur, c’est un Etat qui doit savoir garantir l’effectivité de la loi. Comme déjà évoqué, réformer et renforcer les moyens de l’Inspection du travail en lui assignant des missions précises en matière d’égalité professionnelle, constituerait une avancée budgétairement viable et salutaire pour les femmes au travail. C’est un des points d’exigence pour l’effectivité d’une égalité salariale et professionnelle qui accomplisse un vrai bond en avant vers l’égalité réelle.

            Favoriser des environnements de travail non sexués, encourager la mixité, revoir les classifications professionnelles pour valoriser les emplois dits féminins, mettre en place une communication sans stéréotypes de sexe, former les salarié.e.s sur leurs droits et modalités d’action en cas de discrimination, notamment en développant le recours aux actions de groupe autorisé par la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle : tels sont aussi les enjeux relatifs à l’égalité professionnelle auxquels nous sommes confrontés.

            Or sur cet aspect, une fois encore, les premières annonces ne sont pas à la hauteur des attentes. Le 12 septembre dernier, à l’occasion de la « journée de sensibilisation à l’égalité professionnelle », la Secrétaire d’Etat réunissait les entreprises mauvaises élèves de l’égalité professionnelle et salariale. L’occasion de mettre en œuvre un engagement de campagne, peu appliqué dans la culture française, le « name and shame ». Ce mécanisme qui consiste à rendre public les noms des entreprises récalcitrantes pour atteindre leur réputation et croit-on, par effet boule de neige, leur chiffre d’affaires. C’est chose faite depuis mi-septembre. Les deux entreprises[11]La compagnie pétrolière Maurel et Prom, et le fournisseur de services pour l’industrie biopharmaceutique, Sartorius Stedim Biotech. ayant refusé de se joindre à la formation gratuite proposée par le Gouvernement, ont vu leurs noms affichés sur la porte du Secrétariat d’Etat, situé rue Saint-Dominique, à Paris.

            Une méthode dont nous verrons les retombées à plus long terme mais dont on peut d’ores et déjà questionner l’impact immédiat sur les inégalités professionnelles en France alors que :

  • L’écart de salaire net moyen entre les femmes et les hommes, dans le secteur privé et les entreprises publiques, en équivalent temps plein, est encore de 19% ;
  • Tous temps de travail confondus (temps partiels et complets rassemblés), l’écart entre les salaires est de 26% ;
  • Près de la moitié des femmes en emploi se concentrent dans seulement 12 des 87 familles professionnelles, nécessitant d’agir pour la mixité des métiers et sur l’orientation des jeunes.

            Sur cette même thématique, la Secrétaire d’Etat annonçait fin août la création d’un système de prélèvement direct des amendes dans les entreprises ne respectant pas l’égalité salariale, afin d’en réinjecter le produit dans le budget de l’Etat. De nouveau, l’objectif est louable.

            Pourtant, la loi – aujourd’hui malheureusement peu appliquée faute de moyens alloués – existe déjà. Sans véritable instance de contrôle, dont la mise en place nécessiterait des engagements humains et financiers pérennes, ces intentions resteront vaines. Il s’agit d’ailleurs d’une des revendications du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle (CSEP), qui réclame depuis plusieurs années la création d’un véritable acteur de contrôle, mission que l’on ne peut entièrement déléguer au Défenseur des droits, surtout si on ne lui alloue pas de moyens supplémentaires tant ses missions sont d’ores et déjà étendues, mais aussi parce qu’il s’agirait là, idéologiquement et institutionnellement, de consacrer la vision libérale déjà dénoncée plus haut.

            En effet, confier à une autorité administrative indépendante le soin de dire si le droit est respecté, c’est préjuger que le droit en question serait déjà suffisamment inscrit dans les mentalités et habitudes pour qu’on s’en remette à l’arbitrage au cas par cas plutôt qu’à la complétude du droit, à la vertu des tribunaux concernés, à la jurisprudence.

Ce serait aussi ignorer, une fois encore, que ce mécanisme risquerait de dérouter celles qui, individuellement, ne se sentiraient pas de taille à se frotter aux méandres procéduraux et administratifs, et n’être de fait favorable qu’à celles qui bénéficient déjà de situations avantageuses dans la société.

Faire vivre l’égalité dans les territoires, au quotidien

            Pour éviter les prismes exclusivement « parisiens » et « d’administrations centrales » s’impose de plus, et en corollaire des deux points développés précédemment, la nécessité de conforter un réseau départemental et régional des services des droits des femmes, indispensable pour relayer l’action de l’Etat[12]Le service des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes (SDFE) se compose d’une administration centrale et d’un réseau déconcentré : DRDFE et DDDFE (Directions … Continue reading. En effet, ce réseau, en dépit de moyens budgétaires très contraints, crée un effet démultiplicateur qui a toujours été malmené.

            Comment dès lors lui permettre de porter ses fruits ? En cessant les restructurations fonctionnelles qui ont été multiples et en rattachant les délégué.e.s directement aux préfets. Si la Secrétaire d’Etat bénéficie d’une position interministérielle privilégiée auprès du Premier ministre, n’y aurait-il pas de la cohérence et de la ressource en efficacité à ce que les délégué.e.s soient hiérarchiquement placé.e.s là où ils ou elles pourraient structurellement le mieux agir en déconcentré ? Cela contribuerait notamment à renforcer leur visibilité et leur autonomie opérationnelle pour appuyer les initiatives locales.

            Or c’est aussi et évidemment à l’échelon local que se joue concrètement la question de l’appropriation de l’espace public par les femmes, sujet dont les recherches féministes et sociologiques s’emparent de plus en plus aujourd’hui. Leurs apports sont riches en de nombreux domaines. On pourrait ainsi penser aux travaux pour une ville plus inclusive qui réduise les fractures sociales et territoriales, et promeuve une culture de l’égalité au sein des quartiers ; ou encore aux études s’intéressant à comment l’espace public pourrait être un espace de sécurité pour tou.te.s, à travers des politiques d’aménagement du territoire ambitieuses et des politiques temporelles qui encouragent une conciliation des temps de vie.

            Nombreuses sont les initiatives locales qui tentent d’intégrer cette dimension de l’égalité. C’est le cas notamment des villes engagées au sein de l’association « Tempo territorial », à l’instar de Paris, Poitiers ou Rennes, et dont l’objectif est d’interroger l’efficacité des politiques publiques ainsi que de favoriser une meilleure maîtrise des temps individuels et collectifs.

            Quelques exemples méritent d’être mis en exergue :

  • La ville de Rennes a été pionnière dans la mise en œuvre de la Charte européenne pour l’égalité des femmes et des hommes dans la vie locale, et dans la lutte contre les discriminations de genre, notamment dans l’espace public.
  • La ville de Paris a quant à elle lancé en 2010 les « Etats Généraux de la nuit » et mis en place le « ménage en journée » au sein de ses services municipaux pour limiter les emplois aux horaires atypiques.
  • L’agglomération nantaise a développé une offre de bus de nuit s’arrêtant à la demande entre deux arrêts.
  • La Maison des femmes de Bordeaux, créée en 2001, a lancé une étude sur la mise en circulation du tramway afin d’améliorer la mobilité des femmes et leur visibilité dans la cité bordelaise.
  • À l’étranger aussi, des expériences émergent, comme l’opération « Happy Women, Happy Seoul » lancée en 2007 par la capitale sud-coréenne et qui vise à lutter contre les discriminations touchant les femmes dans l’espace urbain.

            Ces exemples prouvent que c’est bien souvent localement que les meilleures expérimentations naissent, et que l’Etat pourrait être, dans les territoires, un agrégateur de bonnes idées à essaimer, si les conditions évoquées plus haut sont réunies.

            Sans malheureusement pouvoir explorer plus le sujet, sauf à mobiliser une collection d’exemples éloquents, on devra reconnaître que cette « émulation déconcentrée » appelle des politiques de proximité qui vont bien au-delà des récentes annonces absolument bienvenues mais exclusivement répressives en matière de « verbalisation » du harcèlement de rue. S’il ne s’agit évidemment pas d’en contester l’objectif, il sera utile d‘en contrôler la mise en œuvre effective. En outre, tout le monde conviendra aisément que ce dispositif s’avèrera insuffisant pour répondre aux attentes en matière d’égalité face à l’espace public, et donc de liberté effective pour tou.te.s sur les territoires de la République.

Conclusion

            Les droits des femmes progressent uniquement si l’on s’en occupe, en l’occurrence uniquement si le Gouvernement, les collectivités, les entreprises, le milieu associatif et les représentants de la société civile s’en occupent collectivement.

            A l’inverse, ils ne sauraient être confiés à la responsabilité individuelle, avec pour arrière-plan un corpus idéologique libéral revêtu des habits d’une modernité post-féminisme, corollaire du dépassement de la gauche et de la droite. Les cautères sur les jambes de bois, aussi impressionnants et/ou d’actualité qu’ils paraissent, ne suffiront jamais.

            Plus qu’en tout autre domaine, la passion de l’égalité n’est pas vaine en matière d’égalité femmes/hommes : elle en est une pierre angulaire non négociable tant elle ne peut s’accorder de mesures cosmétiques ou sectorielles.

            Elle devrait s’ancrer sur un passé utile pour solidifier l’avenir, et opter pour une créativité, parfois difficile mais courageuse, plutôt que de céder aux sirènes d’un ministère du Verbe démuni d’engagements forts et clairs ou, pire, à la tentation d’une communication supposément palliative.

Notes

1 La proposition de loi visait à étendre le délit d’entrave à l’IVG, créé en 1993, à l’encontre de ceux qui perturbent l’accès aux établissements ou exercent des menaces sur le personnel ou les femmes concernées, mais aussi des sites internet diffusant de fausses informations. Il est puni de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende.
2 Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes, « Quel partage du pouvoir entre les femmes et les hommes élu.e.s au niveau local ? », État des lieux de la parité aux niveaux communal, intercommunal, départemental et régional, rapport n°2017-01-27-PAR-026, publié le 02 février 2017.
3 La DREES est une direction de l’administration centrale des ministères sociaux
4 Dans cet ouvrage, Marlène Schiappa, cède à l’affirmation de stéréotypes sexistes sur les comportements et la sexualité des femmes « rondes ».
5 Créée en 1990, l’association SOS PAPA est connue pour sa récente opposition à la loi relative au « mariage pour tous », ses prises de position pour la garde alternée obligatoire des enfants en cas de séparation, même en cas de violences conjugales, et ses discours répétés dans la presse à l’encontre des associations féministes.
6 Décret n° 2017-1182 du 20 juillet 2017 portant ouverture et annulation de crédits à titre d’avance, JORF du 21 juillet 2017
7 Programme 137, action 11 : de 5.423.900 euros à 4.899.426 euros d’autorisations d’engagement.
8 Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes, (HCE) Conseil Supérieur de l’Egalité professionnelle (CSEP), Mission interministérielle de protection des femmes contre les violences et de lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF), Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les femmes et les hommes de l’Assemblée nationale, Délégation aux droits des femmes du Sénat. Pendant le quinquennat 2012 – 2017, la coopération avancée entre ces différents organismes ou instances et le Gouvernement, dans le respect de leurs prérogatives respectives et de la séparation des pouvoirs, a contribué à l’efficience du législateur et des politiques publiques en faveur de l’égalité femmes – hommes.
9 Ce plan, élargi à tous les écoles, collèges et lycées publics, est composé d’outils pédagogiques pour l’égalité et d’un plan de formation de tous les professeurs.
10 La circulaire n°2003-027 détaille les objectifs de l’éducation à la sexualité, les modalités de mise en œuvre au sein des établissements en termes de contenus et d’horaires, et les dispositifs de pilotage au niveau académique et en termes de formation des personnels.
11 La compagnie pétrolière Maurel et Prom, et le fournisseur de services pour l’industrie biopharmaceutique, Sartorius Stedim Biotech.
12 Le service des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes (SDFE) se compose d’une administration centrale et d’un réseau déconcentré : DRDFE et DDDFE (Directions régionales/délégué.e.s départementales aux droits des femmes et à l’égalité)