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Journée internationale des droits des femmes : la contribution de Catherine COUTELLE [Tribune #5]

Ancienne députée et ancienne présidente de la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale

Depuis le milieu du XXème siècle, grâce aux luttes des féministes, nous avons acquis les droits civiques, les droits sexuels et reproductifs ainsi que les droits économiques (droit de travailler ou d’ouvrir un compte en banque sans l’autorisation du conjoint).

Ces droits doivent aujourd’hui devenir « effectifs » et, si nous voulons atteindre l’égalité, les discriminations ou les freins ne peuvent se combattre que simultanément, comme le relevait en novembre dernier l’excellente note du pôle égalité femmes/hommes de L’Hétairie signée par Violaine Godet, Camille Carton et Jérôme Picaud[1]« Egalité femmes/hommes: prouver l’engagement et choisir l’efficience », Livret n°1, L’Hétairie, 2 novembre … Continue reading.

            Cette simultanéité, c’est la difficulté du combat, son ampleur, et aussi sa beauté : une femme victime de violences conjugales, sans ressources ou autonomie financières, ne quittera que difficilement son conjoint violent ; une mère célibataire sans formation suffisante occupera un emploi peu rémunérateur et, la garde des enfants ainsi que les déplacements coûtant plus cher que l’apport du salaire, aura la tentation de prendre un temps partiel… avec la précarité induite et, en fin de carrière, une petite retraite.

            De fait, les retraites des femmes, encore très inégales (40 % de moins que les hommes en moyenne), sont liées à ces carrières courtes, hachées, peu rémunératrices mais aussi aux faibles possibilités de garde des enfants.

            L’égalité femmes/hommes repose sur l’autonomie des femmes. J’aurais tendance à penser que, parmi les inégalités « systémiques », le combat inlassable pour l’égalité professionnelle est l’un des enjeux les plus importants. Car cette autonomie sociale et financière leur permet d’avoir leur propre existence. 

Mais, quand on dit « égalité professionnelle », que veut-on concrètement ?

1 – Une orientation non sexuée et que, à l’école, les filles réussissant mieux que les garçons ne se cantonnent plus à quelques filières (19 sur 80) dites « féminines », mais s’orientent aussi vers des métiers valorisants ;

2 – Un salaire égal lors de la première embauche : à compétences et postes identiques, rien ne justifie que le premier salaire soit inférieur ou que, toute sa vie, une femme gagne 10% de moins. Plus en détails, tous salaires confondus, les femmes sont payées 27% de moins que les hommes ; et en comparant les salarié.e.s à temps plein, la différence est de 19% tandis qu’à poste et compétences égales, le différentiel – inexplicable – est de 9%.

3 – Un égal accès à la formation professionnelle et aux évolutions de carrière. Pour cela, il faut créer les conditions : accessibilité, hébergement, et partage des tâches. Si toute la vie familiale n’est assurée que par la mère, elle ne pourra pas prendre le temps de sa formation à l’extérieur, accepter des promotions ou des évolutions de carrières ;

4 – Des partenaires sociaux qui s’emparent des outils de négociations annuelles qui sont obligatoires en termes de temps de travail, de rémunération, de partage de la valeur ajoutée, d’égalité professionnelle et de qualité de vie au travail. Cela suppose notamment des plans de rattrapage des salaires effectifs.   En ce domaine, l’application des récentes ordonnances sur la réforme du travail comporte le risque d’affaiblir ces obligations : sans pression, l’égalité professionnelle passe toujours en dernier.

5 – Une réduction, voire même la suppression, des « coupures » de carrière non choisies : au deuxième, voire au troisième enfant, la carrière du père connaît souvent une accélération tandis que celle de la mère patine…

Comment actionner les leviers de l’égalité ?

            Il faut en premier lieu faire prendre conscience de cette injustice permanente : car, en dépit de toutes les études et enquêtes (Dares, Insee, Ined), elle est encore mise en doute par certains. 

            C’est pourquoi je pense salutaire l’initiative lancée par les Glorieuses en 2017 : à partir du 3 novembre, à 11h44, c’est comme si les femmes salariées travaillaient sans être payées jusqu’à la fin de l’année en raison des écarts de salaires qui demeurent avec les hommes.

            Mais le levier indispensable, c’est la loi qui est utile quand elle :

  • rend obligatoire et encadre les négociations salariales ;
  • encadre les temps partiels à 24h ;
  • abaisse le seuil à 150 h pour gagner un trimestre de retraite.

Utile également pour :

  • exiger la parité chez les partenaires sociaux ;
  • obliger à nommer des femmes à des postes de responsabilité dans la fonction publique ainsi que contraindre les ministères et les collectivités à présenter un rapport annuel de situation comparée des femmes et des hommes ;
  • faire évoluer le quotient conjugal et donner leur autonomie « fiscale » aux femmes mariées ou pacsées.
  • faire évoluer le congé parental et le partage des responsabilités familiales.

            Mais si la loi est utile, elle n’est pas suffisante.

            Il faut en effet une volonté politique forte et toujours renouvelée à tous les niveaux (local et national). Sur ce point, j’ai le regret de n’avoir pas pu introduire la compétence d’égalité femmes/hommes comme obligatoire pour les régions. 

            Il faut accepter de passer par les contrôles, la contrainte et les sanctions – comme pour la parité – ; sinon rien ne bouge.

            Il est possible de taxer à hauteur de 1% de sa masse salariale une entreprise défaillante en termes de rattrapage des salaires entre les femmes et les hommes. A quand le premier exemple ? 

            Il faut aussi des leviers dans la société et lutter contre les freins. Ainsi pour l’orientation, il faut lutter contre les stéréotypes sexués chez les parents, les enseignants, les formateurs et chez les filles et garçons aussi.

            Il faut rendre visible les femmes dans les métiers dit masculins : l’accès très récent au métier de sous-marinière doit permettre d’affirmer que plus aucun métier n’est désormais fermé aux femmes en France. 

            Pour les rendre visibles il faut aussi accepter de féminiser les titres : comment une fille peut-elle se projeter dans un rôle, une fonction, qu’on ne nomme jamais ?

            Actuellement la parole des femmes se libère contre les violences, le harcèlement, le sexismeMais il y a aussi de la violence, du sexisme de la discrimination dans le fait de ne pas donner le même salaire à une femme et un homme, de refuser à cette dernière une promotion ou un poste sous prétexte qu’elle est susceptible de s’arrêter pour une maternité, de l’orienter contre son gré vers des métiers dit féminins, bref : de ne pas ouvrir tous les champs du possible aux filles comme aux garçons.

            L’impératif de justice et de progrès social devrait suffire pour agir mais ajoutons que c’est aussi un enjeu majeur sur le plan économique : dans un rapport de septembre 2016, France stratégie a calculé que, si les femmes bénéficiaient d’un taux d’emploi et d’un salaire égal à celui des hommes, le PIB de la France augmenterait de 6,9% – soit 150 milliards d’euros – et les recettes publiques de 2 %[2]« Le coût économique des discriminations », France Stratégie, septembre 2016. http://www.strategie.gouv.fr/publications/cout-economique-discriminations .

En conclusion 

            Si les femmes connaissent de grandes inégalités entre elles, il est indéniable que toutes les femmes affrontent des inégalités dans l’accès aux postes de responsabilité, face aux violences, au sexisme et dans le monde professionnel.

            On constate, alors que la parole se libère, qu’il ne faut jamais baisser la garde, qu’il est nécessaire de rester vigilant.e.s.

            Face à l’ampleur des inégalités et discriminations dans la société et le monde, celles concernant les femmes – l’autre moitié de l’humanité – apparaissent rarement comme prioritaires.

            Or, tout au long de mes combats, et particulièrement pendant les dix ans où j’ai été parlementaire, j’ai pu constater qu’en France, c’est sous la gauche d’Yvette Roudy, de Lionel Lionel Jospin et de 2012 à 2017, que les progrès ont été les plus significatifs. 

            Au moment où cette présidence fait de l’égalité femmes/hommes une « grande cause nationale », « elle devrait s’ancrer sur un passé utile pour solidifier l’avenir, et opter pour une créativité, parfois difficile mais courageuse[3]« Egalité femmes/hommes: prouver l’engagement et choisir l’efficience », op. cit., p. 44. ». L’évaluation portera sur les actes et les avancées, non sur les discours.

Notes

1 « Egalité femmes/hommes: prouver l’engagement et choisir l’efficience », Livret n°1, L’Hétairie, 2 novembre 2017.https://www.lhetairie.fr/single-post/2017/11/02/Egalit%C3%A9-femmeshommes-prouver-lengagement-et-choisir-lefficience
2 « Le coût économique des discriminations », France Stratégie, septembre 2016. http://www.strategie.gouv.fr/publications/cout-economique-discriminations
3 « Egalité femmes/hommes: prouver l’engagement et choisir l’efficience », op. cit., p. 44.