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Des malfaçons de la Revue stratégique à une Loi de programmation militaire sous tension [Livret #6]

Chef du pôle Défense nationale de L’Hétairie Enseignant à Sciences Po

Depuis 1972, l’Etat a pris pour habitude de réunir des commissions d’experts dans les domaines militaires afin de rédiger un Livre blanc, document qui établit la stratégie du pays en matière de défense.

De fait, le premier Livre blanc sur la Défense nationale avait posé les principes généraux de la politique de Défense française ainsi que les bases de la stratégie de dissuasion nucléaire. Son successeur, en 1994, s’inscrivait dans le contexte de l’après-Guerre Froide et avait conduit à la professionnalisation des armées à partir de 1996.

Le troisième Livre blanc de 2008 fut celui du Président Nicolas Sarkozy ; il a opéré un changement de paradigme majeur avec la prise en compte de la mondialisation et en tirant les enseignements d’une nouvelle rupture à la suite des attentats du 11 septembre 2001. Le document a ainsi fondé la stratégie de sécurité nationale sur cinq fonctions stratégiques : la connaissance et l’anticipation (ie le renseignement), la dissuasion, la protection et l’intervention. Il a enfin préconisé la réintégration de la France dans le commandement intégré de l’Otan.

Le dernier Livre blanc date de 2013, selon le souhait du Président François Hollande. C’est le livre de l’arc de crise en ce qu’il définit des zones prioritaires : la périphérie européenne, le bassin méditerranéen, la zone s’étendant du Sahel à l’Afrique équatoriale, le Golfe Arabo-Persique et l’océan indien.

Le bref survol de ces ruptures stratégiques successives démontre que la rédaction d’un Livre blanc est l’occasion d’un grand bouillonnement, indispensable pour réaliser un état des lieux des risques et menaces ainsi qu’une redéfinition des ambitions de la Nation et de l’exercice de sa puissance.

L’exercice doit également permettre au chef de l’Etat/chef des Armées d’asseoir sa politique de défense et de sécurité et, nécessairement, de justifier des moyens associés. Il est donc de coutume qu’un Livre blanc précède une Loi de Programmation militaire (LPM), comme ce fut le cas en 1994, 2009 et 2013. Et seule la Défense peut s’enorgueillir de cette pratique ô combien saine [1] Dans une précédente publication de L’Hétairie, Guillaume FARDE a ainsi réclamé une LPM pour le ministère de l’Intérieur tant les effets positifs de la planification sont évidents : … Continue reading.

Comme il en est désormais coutumier, Emmanuel Macron a innové sans innover : en lieu et place d’un Livre blanc, il a préféré confier au député européen Arnaud Danjean (groupe PPE auquel sont affiliés Les Républicains), spécialiste reconnu de ces sujets, le soin de conduire la première Revue stratégique de défense et de sécurité nationale (RS). L’exercice se veut plus moderne, plus rapide – sans doute trop – et plus souple que ses devanciers afin d’armer plus rapidement la trajectoire financière qui définira les capacités des Armées.

Dix-huit experts issus des Armées, du monde de la recherche ou de l’industrie se sont donc réunis pour identifier les menaces et tracer la voie des réponses de la France aux nouvelles formes de guerre et de conflictualité : terrorisme, prolifération nucléaire, compétition militaire, guerre 3.0, espaces physiques et numériques contestés… Outre le format, l’une des innovations notables réside dans l’absence de membres du Parlement au sein des collèges de cette Revue pourtant stratégique pour le destin de la Nation.

Mais, peut-être plus que d’ordinaire, la consultation pourrait presque paraître feinte a posteriori tant les conclusions étaient prévisibles :  même pour les tenants du nouveau monde, ce dernier est dangereux et les menaces, y compris les plus modernes, bien identifiées ! A titre d’exemple, pour faire face à la menace, la Revue stratégique devait reconduire la fonction Connaissance et Anticipation comme prioritaire… à l’instar de ce qu’avait déjà mis en exergue le précèdent Livre blanc.

Est-ce pour autant un simulacre auquel il faut désormais sacrifier en début de quinquennat pour garantir la sécurité des Français ? A ce sujet, Jean Baudrillard nous rappelle que « le simulacre n’est jamais ce qui cache la vérité, c’est la vérité qui cache qu’il n’y en a pas. Le simulacre est vrai [2] Jean BAUDRILLARD, Simulacres et simulation, Paris, Galilée, 1981, p. 9 ». Quoi qu’il en soit, seul le budget tranchera cette question et fera évidemment loi. Toutefois, pouvons-nous déceler des innovations dans cette Revue stratégique ? Sa lecture laisse-t-elle entrevoir les débats qui animent l’Etat sur la place des militaires dans l’exercice de la puissance : simple outil ou véritables acteurs de notre défense nationale ?

Il semblerait que, sous l’influence du désir de satisfaire tout et son contraire, sans exprimer clairement ce que sont les intérêts français, cette Revue stratégique s’est condamnée à réinventer l’eau tiède. Car Arnaud Danjean a dû se muer en alchimiste pour veiller aux alliages les plus ardus : comment faire de la « dissuasion » un enjeu majeur et en même temps instituer la « protection » de notre territoire national en nécessité primordiale ? reconnaître dans la fonction « connaissance et anticipation » une priorité et en même temps ériger l’« intervention » en obligation ? L’exécutif lui-même montre la voie d’une « autonomie stratégique » assumée mais en même temps soluble dans une dynamique de « coopération ».

Face aux nombreuses menaces, la Revue stratégique énonce, énumère, souligne, invoque ! Gouverner c’est prévoir, mais c’est aussi choisir et une Revue stratégique, plus qu’un inventaire, doit tracer une feuille de route.

Au surplus, le ver est désormais dans le fruit : trop heureuse d’être mentionnée dans la Revue stratégique, chaque administration, chaque Armée dispose d’arguments pour légitimer un financement dans la future LPM et justifier une position dure dans les négociations.

Et à cause de ce manque de choix, inhérent à la finalité de communication de cette Revue stratégique, chacun fourbit ses armes pour la prochaine vraie bataille : la LPM 2019-2025, quitte à casser des « Rotules » – nom de code de la phase d’articulation des orientations de la RS avec le futur texte de loi [3] Jean-Dominique MERCHET, « Après la revue stratégique de défense, le « processus rotule » pourrait être plus douloureux », L’Opinion, 15 octobre 2017. ! Néanmoins, face à l’incapacité d’arbitrer ensemble, les Armées se sont vu déposséder de l’exercice de planification budgétaire.

Une revue stratégique qui échoue à repenser la place des Armées dans le désir de puissance de la France

            Etablir un document programmatique s’avère parfois un exercice d’équilibrisme qui, en l’occurrence, s’est révélé mission impossible quand on sait qu’il a dû être rédigé en trois mois, au cœur de l’été, et que toutes les fonctions stratégiques devaient rester prioritaires ! Cela revient finalement à diagnostiquer une opération à cœur ouvert sans prendre le temps des examens indispensables pour une opération maîtrisée.

            De fait, les défauts de conception s’accumulent et privent le document de son caractère arbitral, pourtant indispensable préalable à la LPM.

Défaut de conception (1) : sacrifier le nécessaire temps de la réflexion stratégique au profit d’un consensus stérile

Comment s’opposer à une Revue stratégique et son travail de prospective qui, pour ne froisser personne, organise un buffet qui va nourrir tout le monde sans prise de risque gustatif. Difficile d’être contre ce qu’elle énonce, mais difficile également d’y adhérer à l’heure de choix budgétaires pourtant nécessaires.

Car le défi du passage de la Revue stratégique à la réalité budgétaire réside dans la capacité à passer du « quoi » au « comment » et ainsi de traduire le vouloir en agir. Or, pour que la planification budgétaire et opérationnelle s’impose face à un ennemi militarisé, il aurait fallu prendre le temps nécessaire à la définition des ambitions des Armées avant l’élaboration de la LPM permettant d’y répondre. D’où ce sentiment d’au moins deux rendez-vous manqués.

  • Planifier c’est accepter de prévoir ce qui ne se produira peut-être jamais. Le défi de la Revue stratégique était de penser l’improbable ; comme on l’apprend sur les bancs de l’Ecole de Guerre : « au combat, le premier mort, c’est le plan ».

            La LPM sera-t-elle un cadre propice à cette réflexion manquée ? Cela est douteux car la logique purement économique ne peut s’accommoder d’un tel risque : comment prévoir des dépenses pour répondre à un risque qui n’arrivera peut-être jamais ? Car les principes d’une assurance vie, qui s’use uniquement si on ne s’en sert pas, sont contraires à la perspective purement utilitariste du Budget de l’Etat.

  • En outre, ce nouveau format de réflexion stratégique aurait pu être une rupture propice à une analyse dynamique des menaces et des alliances à l’aune des RETEX [4] RETEX : Retour d’expérience. opérationnels récents. Mais compte tenu du temps imparti, des visions concurrentes au sein de l’appareil d’Etat et notamment sous la pression du Chef d’état-major des Armées (CEMA), la RS a refusé d’entrer dans l’articulation entre un contexte opérationnel, des moyens pour y répondre et donc un contrat opérationnel pour les Armées. Cet exercice douloureux a été lui aussi repoussé à l’arbitrage de la LPM.

Défaut de conception (2) : un chantier de l’innovation des Armées soigneusement évité

            Indubitablement, la Revue stratégique aurait pu être la rampe de lancement du débat interne aux Armées sur les différents acteurs devant assumer cette ambition numérique, clef de voûte d’une transformation qui n’a pas encore eu lieu.

            A ce titre, la nomination d’une conseillère au numérique [5] Arrêté du 28 août 2017 portant nomination au cabinet de la ministre des armées, JORF n°0207 du 5 septembre 2017. au sein du cabinet de la Ministre des Armées s’avère un signe fort d’un ministère érigeant ce sujet en priorité. La ministre, sensibilisée par son passage à la SNCF, sait la puissance de la donnée et les risques de « désintermédiation » induits par les nouveaux usages numériques. Il faut désormais acculturer les Armées dans la durée.

Or, la Revue stratégique s’est bornée à questionner les nouveaux espaces de souveraineté que sont l’espace et le numérique : « La révolution numérique en cours, stimulée par les usages publics et professionnels, devrait apporter les ruptures technologiques les plus importantes. L’hyper connectivité, les technologies du big data, l’internet des objets et la robotique sont quelques exemples d’opportunités majeures pour la défense. L’intelligence artificielle, en particulier, est amenée à jouer un rôle central dans les systèmes de défense, où elle contribuera de façon significative à la supériorité opérationnelle mais induira de nouveaux risques [6] Revue Stratégique de défense et de sécurité nationale, Octobre 2017, p. 33-34 ».   Pourtant, comme l’ont souligné les contributeurs de la Revue, la performance des Armées est conditionnée par cette « info-numérisation » ; or cette complémentarité homme-système d’information n’est pas visible et les programmes d’armement de hautes technologies nécessaires à la maîtrise de cette information (COMSAT [7] COMmunications par SATellite (COMSAT) doit succéder à SYRACUSE III (noyau dur des télécommunications spatiales)., COMCEPT [8] Besoin COMplémentaires en Communications d’Elongation de Projection et de Théâtre (COMCEPT). Ce programme permet d’augmenter le débit des communications satellitaires, en utilisant la bande … Continue reading, DESCARTES [9] DEploiement des Services de Communications et Architecture des Réseaux de TELécommunications Sécurisées (DESCARTES) ; le programme doit Succéder à SOCRATE et aux MTx. Il doit fournir … Continue reading, SI TER [10]SI TER doit faire évoluer les différents SIOC de l’armée de terre vers le niveau capacitaire NCi+ et remplacer les principaux équipements pour être en trajectoire sur SICS et SIA. Regroupés … Continue reading, SCCOA [11] Le système de commandement et de conduite des opérations aériennes (SCCOA) doit fournir l’ensemble des équipements sol assurant les fonctions de détection, identification, contrôle, veille … Continue reading,…) ne défilent pas (encore) sur les Champs-Élysées le 14 juillet.

De fait, si le numérique s’affirme comme une matière incontournable, elle est délicate à conceptualiser, ce qui en fait une priorité budgétaire in fine secondaire pour un chef d’Etat-major au moment de choisir entre investir dans une FREMM [12] FREMM = FREgate Multi-Missions. ou un SIOC [13] SIOC = Système d’Information Opérationnelle et de Commandement.. En effet, en cas de choix, il préférera augmenter le nombre de VBCI [14] VBCI = Véhicule blindé de combat d’infanterie. en sacrifiant les besoins financiers d’un système de télécommunication.

Face à de nouveaux défis, il faut agir autrement ! Les chantiers d’innovations lancés par le ministère des Armées confirment cette nécessité de revoir les façons de faire en questionnant les habitudes et les réflexes. Le défi sera de pouvoir capitaliser sur les énergies et les expériences présentes au sein du ministère des Armées. Et dans le contexte d’un paquebot budgétaire lourd à manœuvrer, le numérique devient alors un facteur porteur d’espérance au sein d’un budget qui, malgré son augmentation, est condamné à faire du neuf avec du vieux.

Au-delà de la promesse de ce nouvel horizon de la Data, le ministère aurait pu, grâce aux conclusions d’une Revue stratégique à qui l’exécutif aurait laissé plus de temps, se mettre en ordre de bataille pour faire face à la guerre 3.0 ! Et la revue stratégique doit être plus qu’un exercice imposé, car elle conditionne les investissements de l’Etat.

Si le numérique est mentionné, il était légitime d’attendre des recommandations concrètes consacrant durablement l’innovation. Dans le même sens, on aurait souhaité que le numérique soit autre chose qu’une bouée de sauvetage pour injecter du neuf, à peu de frais, dans un exercice budgétaire déjà figé par des Opérations d’Armement lancées précédemment et d’ores et déjà consommatrices de l’effort budgétaire !

Dans cette perspective, la revue aurait pu/dû éclairer l’action de l’Etat et tracer pour le numérique, l’avènement de transformations profondes pour mieux anticiper les débats des arbitrages financiers en prônant par exemple un « Commandement Numérique » et la montée en puissance du « Commandement des Programmes Inter Armées » pour investir efficacement cette nouvelle frontière digitale au service de l’efficacité opérationnelle.

            Elle aurait également pu être ambitieuse en consacrant cette « innovation », quitte à prendre le risque de devenir prescriptrice pour insuffler durablement le changement et de la transformation au sein du ministère des Armées : 

  • La direction générale des systèmes d’information de communication (DGSIC) doit disposer de ressources et de moyens plus rapidement que prévu afin d’incarner cette nouvelle « direction générale Numérique » indispensable pour porter les enjeux fondamentaux de la transformation numérique tout en laissant aux Armées la capacité d’innovation digitale. Cette DG doit orchestrer et fédérer autour d’un socle commun la transformation numérique des Armées, sans heurter les Armées.
  • Le Commandement des Programmes Interarmées, en charge de la co-conduite avec la DGA des programmes d’armement « numérique » au sein des Armées, ne devrait-il pas remonter au niveau du CEMA ou du major-général (MGA) pour devenir l’« Officier Général du Numérique » (« OG Num ») afin que les programmes soient pilotés au niveau stratégique pertinent compte tenu de leur impact  sur la façon de conduire la guerre ?
  • L’Officier Général Transformation Digitale des Armées, après avoir évangélisé les Armées, doit désormais intégrer ce commandement pour qu’innovation et nouveaux usages s’accostent aux programmes et donc à la réalité des militaires.
  • La DGA ne devrait-elle pas créer des dynamiques collectives et animer un écosystème souverain de façon souple et dynamique, sans interdit ni a priori hérités de la conduite des programmes d’armement, tout en poursuivant ses efforts de maîtrise des systèmes complexes (MASD) que le monde nous envie.
  • De même, les organismes de doctrine (CICDE [15] CICDE : Centre interarmées de Concepts de Doctrines et d’Expérimentations.), ceux en charge de l’interopérabilité (CIADIOS [16] CIADIOS : centre interarmées pour l’administration de l’interopérabilité opérationnelle des systèmes d’information et de communication.) et de la préparation de l’avenir (CATOD [17] CATOD : Centre d’analyse technico-opérationnelle de Défense.) ne devraient-il pas fusionner pour atteindre une taille critique indispensable afin d’aligner les cultures autour de l’innovation ?    

            Le ministère des Armées est contraint à une stratégie opportuniste de l’innovation pour coordonner l’ensemble des acteurs/contributeurs à cette transformation en multipliant l’implication des utilisateurs, en élargissant les usages en interministériel. Or, la Revue stratégique aurait pu être le premier vecteur d’accélération de la transformation afin que le « MinArm » soit « en marche » volontaire, et non forcée.

Défaut de conception (3) : définir une aptitude opérationnelle sans parvenir à trancher la question de la sphère d’influence

Si elle a négligé le chantier de l’innovation, la Revue a néanmoins « innové » en définissant pour la première fois les aptitudes opérationnelles des Armées, comme le traduit son annexe Une qui détaille les trente capacités opérationnelles qui sont des « dispositions particulières pour remplir une mission ». Autant d’aptitudes opérationnelles qui permettent au chef de l’Etat de disposer d’un modèle d’Armée complet et capable d’intervenir sur l’ensemble du spectre des menaces. 

Si la Revue stratégique ne tranche pas sur ce que doit être un modèle d’armée réaliste, elle énumère pour la première fois les aptitudes qui concourent à un modèle cohérent et complet. Voilà listés les « métiers » dont les Armées ont besoin pour remplir le contrat opérationnel hérité du précèdent Livre blanc et de la précédente LPM.

Ces aptitudes modulaires et complémentaires mériteraient désormais d’être confrontées au besoin militaire prévisible (BMP), ce document interne aux Armées et réalisé par la division Plan de l’EMA afin d’aligner le présent sur le futur ainsi que d’orienter les Politiques industrielles, technologiques et de coopération pilotées par la DGA. En effet, le BMP :

  • décrit le contexte opérationnel à 15 ans (ex : déni d’accès dans les espaces physiques et immatériels) ;
  • identifie les transformations des modes d’action militaire (ex : complexification des espaces de bataille et imbrication avec d’autres activités humaines) ;
  • liste les dilemmes capacitaires à trancher (ex : technicité versus robustesse…) 
  • … pour en déduire les domaines d’études à explorer (ex : emploi collaboratif des systèmes interarmées futurs).
  • Ce travail permet de choisir les orientations de l’effort capacitaire (ex: intégrer dans la manœuvre cinétique les capacités de combat cyber-électronique).

Or, aujourd’hui, les exercices de prospective sont décorrélés des réalisations techniques au service de l’équipement des Armées. A l’inverse, le BMP devrait être en relation avec la politique de « Science, recherche, technologie et innovation de défense » de la DGA [18] DGA, Document de présentation de l’orientation de la S&T, Période 2014-2019,https://www.ixarm.com/IMG/pdf/post_dga_2014_2019.pdf afin que l’exercice de prospective de la Revue stratégique ait une implication concrète, c’est-à-dire technico-opérationnelle.

Pour être complet, le cycle prospectif entamé par la Revue stratégique devrait s’articuler avec des réalisations techniques concrètes en lien avec le besoin opérationnel.

            Mais les bénéfices liés à la définition des aptitudes opérationnelles sont par la suite invalidés par des hésitations stratégiques majeures :  en définissant trop largement les intérêts français et nos zones d’influence sans jamais revoir nos ambitions, la Revue stratégique laisse hélas tous les sujets ouverts pour les débats autour de la prochaine LPM, quitte à se contredire parfois sur les zones d’influence qui doivent être les nôtres. Un exemple illustre cet état de fait.

Le cyber – et avec lui l’immatériel – émerge timidement des aptitudes opérationnelles des Armées profondément marquées par un tropisme de milieu (Air-Terre-Mer). Dès lors, les frontières géographiques sont-elles encore pertinentes pour penser le champ d’action de la France à l’heure où l’affrontement se numérise et où un « raid » cyber rend l’ennemi instantanément présent sur le territoire national ?

Malgré cela, la Revue stratégique a fait un choix : celui de la géographie physique. On peut en effet y lire : « La géographie continuera ainsi d’être un paramètre important dans la définition de nos priorités. […] Une partie des flux physiques (trafics, migrations illégales…) qui affectent notre sécurité sont eux aussi fonction de la géographie [19] Revue Stratégique de défense et de sécurité nationale, octobre 2017, p. 55. ».

La Revue stratégique débute même l’ébauche d’une priorisation à l’échelle du globe qui nous permet de déceler une zone d’intérêt prioritaire : notre voisinage. On y lit ainsi : « Dans l’espace euro-méditerranéen et en Afrique, nous sommes amenés à assumer des responsabilités politiques et militaires plus importantes, le cas échéant avec les partenaires européens les plus concernés [20] Ibid., paragraphe 167. ». Et les déplacements présidentiels confirment cette relation particulière avec le continent africain. Après de nombreux voyages en Afrique depuis son élection, Emmanuel Macron s’est rendu au Niger, auprès des troupes engagées dans l’opération Barkhane, les 22 et 23 décembre. L’Afrique semble être au cœur des relations diplomatiques de l’exécutif.

Toutefois, le « en même temps » présidentiel s’est imposé pour les rédacteurs de la Revue stratégique car, au paragraphe suivant, ils décident d’ouvrir plus largement nos zones d’influence  : « Cependant, la proximité géographique ne peut servir de critère exclusif pour deux raisons au moins : d’une part, il suffit de songer à l’impact qu’aurait sur nos intérêts une crise de grande ampleur en Asie, ou encore aux menaces dans l’espace numérique ; d’autre part la France a la volonté d’assumer ses responsabilités de manière globale, et pas uniquement dans son voisinage [21] Ibid., paragraphe 168. ».

Ne pouvons-nous pas déceler dans cette contradiction apparente, l’affrontement plus profond entre deux visions du monde qui parfois s’opposent au sein de l’appareil d’Etat, entre réalistes et transnationalistes, entre militaires et diplomates ? Même si le sujet est complexe, il semblerait que la volonté de puissance de la France, et donc son exercice, ne soient pas également perçue, que l’on soit dans un VAB [22] VAB : Véhicule de l’avant blindé au Mali ou au siège de l’ONU. Le pragmatisme impose une vision réaliste, quand les négociations diplomatiques ont besoin d’un outil militaire disséminé sur l’entier globe pour agir sur le cours du monde.

D’une manière générale, la Revue stratégique aurait pu inscrire une réflexion sur un temps plus long, en définissant l’exercice de la puissance et faire consensus entre les tenants de l’alignement et ceux de l’indépendance. L’étymologie du terme « puissance » évoque d’ailleurs une ambition, une volonté et une faculté.

  • La puissance peut être contingente et alors le territoire, la géographie devient facteur de puissance (« le territoire, c’est la puissance [23] Baron de Rio Branco, ministre brésilien des affaires étrangères, cité in Maxime LEFEBVRE Maxime, Le jeu du droit et de la puissance, Paris, P.U.F., 4ème édition, 2013. »).
  • Pour Raymond Aron, la puissance est relative ou relationnelle, c’est « une relation humaine » : « J’appelle puissance sur la scène internationale, la capacité d’une unité politique d’imposer sa volonté aux autres unités. En bref, la puissance politique n’est pas un absolu mais une relation humaine [24] Raymond ARON, Paix et guerre entre les Nations, Paris, Calmann-Lévy, 1962, p. 16-17. ».
  • Pour Susan Strange, la puissance est avant tout structurelle car elle permet de « façonner les cadres » : « La capacité d’une personne ou d’un groupe de personnes d’influencer les résultats de telle façon que leur préférence ait préséance sur les préférences des autres [25] Susan STRANGE, The Retreat of the State: The Diffusion of Power in the World Economy, Cambridge, Cambridge University Press, 1996. ».
  •  Joseph Nye introduit la notion de Soft Power et la puissance devient alors « la capacité d’atteindre le résultat espéré et d’être en mesure, si cela est nécessaire, de changer le comportement des autres afin d’y arriver [26] Joseph NYE, Le leadership américain. Quand les règles du jeu changent, Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 1992. ».

            De fait, en ne se positionnant pas, la Revue stratégique laisse ouverte la question de la place des militaires dans les enjeux de puissance de la France : outil ou acteur de la puissance de la France ? Certes, il s’agit d’un nœud gordien car il convient de trouver un délicat équilibre entre des menaces toujours plus nombreuses, un modèle d’Armée ambitieux et un contrat opérationnel réaliste et applicable.

            Face à la menace, la France a choisi de disposer d’un modèle complet d’armée, c’est-à-dire de disposer des ressources nécessaires pour répondre quotidiennement aux exigences des fonctions stratégiques introduites en 2008 dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.

            Afin d’être autonome dans les trente aptitudes opérationnelles décrites dans la Revue stratégique, il convient de promouvoir un modèle d’Armée complet ne réalisant aucune impasse capacitaire. Préserver la cohérence de ce modèle d’armée demande un effort de transformation pour adapter les capacités opérationnelles vers une plus grande agilité. Cette posture impose un effort de guerre conséquent pour remplir les trous capacitaires auxquels les Armées ont dû se résigner.

            Or, les modernisations nécessaires de la fonction stratégique « Dissuasion », pour conserver notre crédibilité à l’heure où le monde se réarme et où les contraintes budgétaires de cet été pénalisent les Armées, vont tendre les crédits de paiement et réduiront d’autant la marge de manœuvre sur les autorisations d’engagement.

Défaut de conception (4) : l’irrésolue question de la place de la France dans le concert des nations

Après une déclaration commune à vingt-trois pays membres, le 13 novembre 2017, la Coopération structurée permanente (CSP, ou PESCO en anglais) est désormais légalement établie [27]http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=uriserv:OJ.L_.2017.331.01.0057.01.FRA&toc=OJ:L:2017:331:TOC. Les États membres ont en effet décidé de mettre en place une coopération militaire plus étroite.

Chacun s’en félicite et voit dans cette coopération un outil miraculeux de réduction des coûts des programmes d’armement. Mais les intérêts nationaux sont tenaces et si la France a fait, dans la Revue stratégique, une priorité de la coopération, il semble que les dossiers éligibles sans sacrifier notre autonomie stratégique ne soient pas légion.

Au demeurant, les alliances sont aujourd’hui à géométrie variable, volatiles et rebattent les cartes de nos ambitions à la lueur de la Realpolitik. La France intervient en Afrique au sein d’une coalition de quinze pays alors qu’elle a conceptualisé depuis quarante ans son action au sein de l’OTAN aux côtés des États-Unis.

A côté de son grand frère Otanien, l’Europe de la défense se cherche un destin commun à marche forcée à travers un projet d’avion de chasse européen chimérique. Si la coopération intra-européenne doit demeurer un axe important pour créer un destin européen, il apparaît que les différentes parties prenantes sont loin de partager des intérêts communs.

Le calendrier fixé par le conseil franco-allemand du 13 juillet dernier a donné le ton : « La France et l’Allemagne conviennent de développer un système de combat aérien européen, sous la direction des deux pays, pour remplacer leurs flottes actuelles d’avions de combat sur le long terme. Les deux partenaires souhaitent mettre au point une feuille de route conjointe d’ici à mi-2018 » mais se confrontent aux réflexes protectionnistes de l’ancien monde, pourtant encore bien réel. A ce titre, le général Müllner, patron des forces aériennes allemandes, a publiquement rappelé le 8 novembre dernier sa préférence pour le F35, dernier avion de chasse de Lockheed Martin, afin de remplacer ses 85 chasseurs Tornado.

Même si la coopération est une priorité de la Revue stratégique, comment concilier concrètement la volonté d’autonomie stratégique de la France dans le cadre de la mise en œuvre de sa dissuasion nucléaire grâce à sa composante aéroportée avec l’engagement allemand de porter la dissuasion nucléaire américaine dans le cadre de l’OTAN ? Comment l’OTAN et, in fine, les Etats-Unis pourraient-ils accepter que cette mission soit assurée par un autre porteur qu’un avion américain ? Car face aux volontés d’autonomie stratégique européennes concurrentes, les États-Unis avancent leur avion F-35 et son concept de connectivité qui rend l’interopérabilité des machines cruciales pour la guerre en coalition de demain.

Comme l’a rappelé le général LANATA, chef d’état-major de l’armée de l’Air, lors d’une audition à l’Assemblée nationale le 19 juillet dernier : « le F-35 va constituer rapidement un standard de référence dans les armées de l’air mondiales, pas uniquement aux États-Unis, mais aussi chez nos principaux partenaires. Que l’on soit surclassé par les États-Unis n’est pas surprenant ; que l’on commence à l’être par des partenaires équivalents est une autre affaire [28]http://www.assemblee-nationale.fr/15/cr-cdef/16-17/c1617006.asp».     La Revue stratégique l’a perçu : la technologie et les capacités de connectivité offertes par le numérique redistribuent les cartes.

L’exemple du retard du programme de drone européen pourrait éclairer une coopération complexe entre des pays qui ne partagent ni la même culture opérationnelle, ni les mêmes intérêts industriels. Les modèles d’action sont différents entre partenaires européens, ce qui complexifie la convergence sur des spécifications techniques communes. Le débat sur la bi-motorisation du drone européen en est une des conséquences les plus criantes qui aura un impact sur la taille des pistes d’atterrissage !  Le FCAS [29] Future Combat Air System ou, en français,système de combat aérien futur (SCAF). peut être une ambition commune mais comment aligner des vues si divergentes sans sacrifier nos capacités sur l’autel de la coopération ?

La RS a eu le mérite de mettre à jour nos différents niveaux de dépendance technologique en définissant les autres cercles de notre souveraineté [30] Revue stratégique de défense et de sécurité nationale, op. cit., p. 68. même s’il apparaît complexe de sauter le pas de la « coopération avec dépendance mutuelle » à l’heure où chaque pays européen dispose d’une grille de lecture des menaces différente de son voisin. 

Le schéma ci-après [31] Réalisé par nos soins. reprend les quatre cercles des coopérations technologiques et industrielles maîtrisées listés dans la RS.

Cette grille de lecture est indispensable pour alimenter une vision prescriptrice de la volonté de la France de coopérer dans certains domaines de compétences techniques en matière d’armement. Ainsi le HK 416 F (calibre 5.56 OTAN) va-t-il remplacer le FAMAS dans les armées françaises car la production de ce type d’armement n’est pas jugée stratégique par la France.

Après une Revue stratégique platement consensuelle, une LPM conflictuelle

Comme évoqué plus haut, le ministère des Armées est celui de la planification et de l’anticipation. Il est d’ailleurs le seul à bénéficier de cette vision sur six ans à travers l’exercice de la LPM. Cela est certes inhérent à son activité, qui lui impose de programmer l’ensemble de ses moyens, mais aussi à l’importance de son budget dans celui de la Nation (cf. schéma ci-après [32] Réalisé par nos soins.).

Dans cette configuration, les Livres blancs, Revue stratégique incluse, doivent constituer la première donnée d’entrée de l’exercice budgétaire qui définit l’ambition du ministère pour les prochaines années. De leur qualité dépend l’entier dispositif budgétaire qui en découle. Car, de manière classique dans le fonctionnement de l’Etat :

  • si la LPM trace une ambition sur six ans, le budget annuel confirme ou infirme cette ambition dans la réalité ;
  • de même, le ministère des Armées, comme tous les ministères, est soumis à la programmation budgétaire triennale (par exemple le triennal 2017-2019) ;
  •  enfin, la LPM sera traduite par une loi de finances qui libèrera juridiquement les crédits nécessaires. En effet, le seul canal légal ouvrant les crédits réside dans la Loi de finances initiale (LFI) tandis que la Loi de finances annuelle (LFA) fixe la réalité des ressources des armées.

Reprenant les processus du ministère des Armées, nous avons synthétisé graphiquement l’ensemble de ces étapes dans le schéma suivant. Il permet de mettre en exergue l’importance originelle de l’exercice prospectif (ici la Revue stratégique) dont dépend la cohérence de l’ensemble de l’édifice budgétaro-programmatique. Car l’Etat a besoin de cette visibilité pour piloter et organiser son action en inscrivant l’outil de défense dans la durée.

Un des enjeux cardinaux pour le ministère des Armées est d’assurer une cohérence opérationnelle, juridique et financière entre ces exercices budgétaires aux temporalités différentes reposant sur un équilibre précaire, comme le représente le schéma suivant [33] Réalisé par nos soins. :  

Un exercice programmatique déjà abîmé par une austérité budgétaire en marche

L’enjeu de cohérence décrit plus haut est bien évidemment ébranlé quand le budget est réduit de 850 millions d’euros [34] Nous l’évoquions dans une précédente production : « Ministère des Armées: un budget sans défense », L’Hétairie, 7 novembre 2017, 35p. … Continue reading. Cette réduction budgétaire aura de lourdes conséquences sur l’ambition des premières années de la future LPM même si la Ministre a obtenu de haute lutte le dégel de 700 millions d’Euros en fin d’année dernière.

En outre, dans le cadre de la Loi de programmation des finances publiques, votée le 15 décembre dernier, Bercy a gagné une nouvelle manche face au ministère des Armées grâce à l’article 14 qui permet de fixer un objectif annuel de stabilisation des restes à payer de l’État, définis comme le montant d’autorisations d’engagement (AE) consommées non encore couvertes par la consommation des crédits de paiements (CP) correspondants.

La disposition permet « d’assurer que le pilotage budgétaire des années à venir n’ait pas pour effet d’aboutir à une augmentation des restes à payer sur les années ultérieures [35] Projet de Loi, de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022, http://www.assemblee-nationale.fr/15/projets/pl0234.asp ». En effet, cet article 14 précise que : « Le montant de restes à payer, tel que retracé annuellement dans le compte général de l’État, annexé au projet de loi de règlement, hors impact des changements de règles de comptabilisation des engagements, ne peut excéder, pour chacune des années 2018 à 2022, le niveau atteint à fin 2017 ».

Une mesure louable mais dont les sénateurs avaient souhaité à juste titre exempter le ministère des Armées compte tenu de ses investissements lourds qui s’échelonnent sur plusieurs années (commande de sous-marins, etc.). Car elle n’est pas compatible avec les cycles longs du programme 146 « Equipement des Forces », matérialisés par des contrats pluriannuels des marchés d’armement qui impliquent un décalage entre les engagements (pour les commandes) et les paiements (pour les livraisons).

En effet, une opération d’armement a besoin d’un cadre strict car l’échelle de temps est longue :

  • Un composant technique a une durée de vie de quelques mois ;
    • Une technologie est dépassée après quelques années ;
    • Un président de la République est en fonction pour cinq ans ;
    • Une LPM se programme désormais pour six ans (voire sept) ;
    • Un programme d’armement s’inscrit sur quarante ans (dix ans de conception et trente ans d’utilisation).

Or l’article 14 suppose que le ministère des Armées devra couvrir en priorité ses engagements passés encore non payés avant de procéder à de nouveaux engagements. A un moment crucial d’investissement à cause du renouvellement du matériel, il réduit la marge du ministère qui ne pourra engager que ce qui a été commandé depuis longtemps. Il permettra à Bercy de s’opposer aux investissements du ministère des Armées en arguant d’une nécessaire maîtrise du report de charges.

En outre, tout risque est facteur d’augmentation des coûts imposée par les industriels, et ce risque va bien évidemment avoir un impact sur l’équilibre qu’impose notre défense nationale. Une fois de plus, Bercy est à l’origine du trouble d’une concorde pourtant indispensable à notre défense nationale.

Tout cela met en exergue le fait que, en choisissant de ne pas choisir, la Revue stratégique a ajouté du flou sur l’incertitude car elle n’a pas permis d’isoler des priorités pourtant indispensables pour orienter l’exercice budgétaire.

Conséquences budgétaires des impensés de la RS : l’exemple de la modernisation de la dissuasion, trou noir de l’augmentation budgétaire

La lettre de mission présidentielle de la RS enchâsse les ambitions de celle-ci dans des engagements financiers contraints par la nécessaire modernisation de notre dissuasion nucléaire. Or, la RS consacre, sans plus de discussion, la dissuasion dans ses deux composantes : aérienne et océanographique.

Toutefois, la modernisation de la composante aéroportée de la dissuasion supposera dans un premier temps le remplacement d’ici 2025 des avions ravitailleurs C135 à bout de souffle par des Airbus A330 Multi Role Tanker Transport (MRTT).

La thématique ouvre également le chantier de la modernisation de la flotte d’avions de combat ainsi que de la flotte océanique, laquelle se concrétisera par la mise en service du sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE) de troisième génération, celle du missile de croisière ASMP-A et celle du successeur des missiles M-51.3.

Tous ces efforts porteront les crédits alloués à la dissuasion de 3,9 milliards d’euros en 2017 à 6 milliards d’euros en 2025. De fait, l’autonomie stratégique induit des coûts qui réduisent d’autant la valeur de l’ambition des 2% du PIB consacrés au budget des Armées. Et plus qu’une ambition politique affirmée ou une remontée en puissance assumée, ces 2% sont un investissement découlant de notre posture de puissance nucléaire.

Cette bosse d’investissement aura, à n’en pas douter, un effet d’éviction au détriment d’autres budgets pourtant eux aussi indispensables à nos armées [36] Jean GUISNEL, « Le casse-tête financier de la modernisation de la dissuasion nucléaire », Le Point, 12 mai 2015.. Elle aurait dû, par conséquent, être intégrée à la Revue stratégique pour préparer les inéluctables arbitrages qui devront être réalisés.

Conclusion 

La Revue stratégique aurait dû :

  • définir notre ambition,
  • questionner nos alliances et notre cercle d’influence
  • et sans doute faire des choix pour ne pas écarteler un modèle d’armée déjà sous tension ! 

La France veut se doter de tous les outils pour agir seule tout en ayant conscience qu’elle ne peut pas s’engager sans l’aide de ses alliés. Elle souhaite concilier l’OTAN et la PESC, l’Europe et les relations bilatérales avec l’Angleterre.

Des choix seront sans doute nécessaires au risque, une nouvelle fois, de vouloir tout et son contraire. Notre pays devra enfin faire preuve de pédagogie pour que sa détermination et sa capacité à penser sa stratégie ne soient pas perçues comme de l’arrogance.

La traduction inédite de cette Revue en allemand et en anglais n’a pas suffi à faire adhérer nos partenaires à notre vision. Le refus par nos alliés européens de voir le général de l’Armée de l’Air Mercier prendre la tête du comité militaire de l’Union européenne est une illustration de cet indispensable travail pédagogique d’accompagnement auprès de nos voisins européens, quant à notre stratégie de puissance telle qu’exprimée dans la RS.

La Revue stratégique a ouvert toutes les portes, les fenêtres et même les velux de la maison Armée, pour ne se couper d’aucun besoin opérationnel. Il conviendra à la LPM de les fermer. Une nouvelle séquence s’ouvre et les points de vue s’annoncent irréconciliables : 

  • Les Armées ont ouvert une lutte financière sans relâche et sans concessions avec Bercy car les finances publiques apparaissent comme une contrainte à leurs yeux illégitime ;
  • Pour Bercy les finances publiques sont depuis trop longtemps sous la contrainte des Armées.

Loin des légitimes attentes, la Revue stratégique n’aura permis qu’un premier tour de chauffe. Désormais, l’ensemble des intervenants se prépare à la guerre du budget. 

LPM Round 2 : Fight !

Notes

1 Dans une précédente publication de L’Hétairie, Guillaume FARDE a ainsi réclamé une LPM pour le ministère de l’Intérieur tant les effets positifs de la planification sont évidents : « Budget des forces de sécurité intérieure : à quand une loi de programmation ? », Livret n° 4 – Série « Budget de la France » (3), 11 décembre 2017, 38p.
2 Jean BAUDRILLARD, Simulacres et simulation, Paris, Galilée, 1981, p. 9
3 Jean-Dominique MERCHET, « Après la revue stratégique de défense, le « processus rotule » pourrait être plus douloureux », L’Opinion, 15 octobre 2017.
4 RETEX : Retour d’expérience.
5 Arrêté du 28 août 2017 portant nomination au cabinet de la ministre des armées, JORF n°0207 du 5 septembre 2017.
6 Revue Stratégique de défense et de sécurité nationale, Octobre 2017, p. 33-34
7 COMmunications par SATellite (COMSAT) doit succéder à SYRACUSE III (noyau dur des télécommunications spatiales).
8 Besoin COMplémentaires en Communications d’Elongation de Projection et de Théâtre (COMCEPT). Ce programme permet d’augmenter le débit des communications satellitaires, en utilisant la bande de fréquence Ka et complète ainsi, à moindre coût, les systèmes de communication par satellite militaire (SYRACUSE III), en particulier pour répondre aux besoins croissants du renseignement.
9 DEploiement des Services de Communications et Architecture des Réseaux de TELécommunications Sécurisées (DESCARTES) ; le programme doit Succéder à SOCRATE et aux MTx. Il doit fournir trois services de communications fixes au ministère de la défense (Service de Communication Unifié pour les communications standardisées du Ministère et systèmes hautement résilients au travers du Service de Communication Résilient pour le cœur stratégique et Service de Télécommunication pour le Contrôle Aérien).
10 SI TER doit faire évoluer les différents SIOC de l’armée de terre vers le niveau capacitaire NCi+ et remplacer les principaux équipements pour être en trajectoire sur SICS et SIA. Regroupés dans une même opération, il s’agit d’assurer leur cohérence et leur coordination notamment dans les domaines de l’interopérabilité et de la SSI
11 Le système de commandement et de conduite des opérations aériennes (SCCOA) doit fournir l’ensemble des équipements sol assurant les fonctions de détection, identification, contrôle, veille spatiale, entrainement, préparation et conduite des opérations aérospatiales, interopérable avec l’OTAN (Air Command and Control System).
12 FREMM = FREgate Multi-Missions.
13 SIOC = Système d’Information Opérationnelle et de Commandement.
14 VBCI = Véhicule blindé de combat d’infanterie.
15 CICDE : Centre interarmées de Concepts de Doctrines et d’Expérimentations.
16 CIADIOS : centre interarmées pour l’administration de l’interopérabilité opérationnelle des systèmes d’information et de communication.
17 CATOD : Centre d’analyse technico-opérationnelle de Défense.
18 DGA, Document de présentation de l’orientation de la S&T, Période 2014-2019,https://www.ixarm.com/IMG/pdf/post_dga_2014_2019.pdf
19 Revue Stratégique de défense et de sécurité nationale, octobre 2017, p. 55.
20 Ibid., paragraphe 167.
21 Ibid., paragraphe 168.
22 VAB : Véhicule de l’avant blindé
23 Baron de Rio Branco, ministre brésilien des affaires étrangères, cité in Maxime LEFEBVRE Maxime, Le jeu du droit et de la puissance, Paris, P.U.F., 4ème édition, 2013.
24 Raymond ARON, Paix et guerre entre les Nations, Paris, Calmann-Lévy, 1962, p. 16-17.
25 Susan STRANGE, The Retreat of the State: The Diffusion of Power in the World Economy, Cambridge, Cambridge University Press, 1996.
26 Joseph NYE, Le leadership américain. Quand les règles du jeu changent, Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 1992.
27 http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=uriserv:OJ.L_.2017.331.01.0057.01.FRA&toc=OJ:L:2017:331:TOC
28 http://www.assemblee-nationale.fr/15/cr-cdef/16-17/c1617006.asp
29 Future Combat Air System ou, en français,système de combat aérien futur (SCAF).
30 Revue stratégique de défense et de sécurité nationale, op. cit., p. 68.
31, 32, 33 Réalisé par nos soins.
34 Nous l’évoquions dans une précédente production : « Ministère des Armées: un budget sans défense », L’Hétairie, 7 novembre 2017, 35p. https://www.lhetairie.fr/single-post/budget-defense
35 Projet de Loi, de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022, http://www.assemblee-nationale.fr/15/projets/pl0234.asp
36 Jean GUISNEL, « Le casse-tête financier de la modernisation de la dissuasion nucléaire », Le Point, 12 mai 2015.