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Peut-on revendiquer la propriété d’un astéroïde sans problèmes juridiques ? [Tribune #37]

Juriste, autrice du blog SignalLaw.

L’ombre de la sonde spatiale japonaise Hayabusa-2 photographiée par cette dernière sur la surface de l’astéroïde Ruygu qu’elle explore, en octobre 2018. Crédits photo : JAXA, l’agence spatiale japonaise.  

Dans son ouvrage Space Resources : Breaking the Bonds of Earth paru en 1987, le professeur John S. Lewis, co-directeur du Space Engineering Research Center à l’Université d’Arizona, a calculé la valeur marchande de (3554) Amon, astéroïde d’environ 2 km de diamètre et situé à proximité de la Terre. Il a estimé que les métaux dont il se compose, à l’instar du platine ou du palladium, lui confèrent une valeur de 6000 milliards de dollars. Si l’on y ajoute le cobalt et le nickel, la valeur totale de l’astéroïde atteindrait plus de 20 000 milliards de dollars.

Ces chiffres exorbitants traduisent une réalité : les astéroïdes et autres corps célestes constituent des sources de richesses colossales qui suscitent bien des  convoitises de  la part d’États comme d’acteurs privés. Les astéroïdes dits géocroiseurs, c’est à dire situés à une distance raisonnable, voire proches de la Terre, constituent les premières cibles. Mais, au-delà de la faisabilité scientifique, est-il possible d’exploiter ces ressources des corps célestes ? d’en clamer la propriété ? Est-il envisageable d’acheter une parcelle sur Mars ou tout autre corps céleste ? Que dit le droit en matière de d’exploration, d’utilisation et d’appropriation de l’espace extra-atmosphérique ?

            Cependant, l’espace ne demeure pas une zone de non-droit et des contraintes existent. Il convient en premier lieu rappeler que l’espace extra-atmosphérique représente une notion floue. Les textes en la matière ne le définissent pas réellement. Il faut donc s’en remettre à la coutume internationale – soit, la pratique générale et cohérente des Etats, reconnaissant cette dernière comme résultant d’une obligation juridique – qui le délimite peu ou prou par le biais d’une approche dite spatialiste. Selon elle, l’espace extra-atmosphérique débute environ à 100 kilomètres au-dessus du niveau de la mer. Quant à la notion d’astéroïde, elle recouvre tout corps céleste constitué de pierre et de métaux plus ou moins rares, en orbite autour du Soleil mais trop petit pour se voir octroyer la qualification de planète. En d’autres termes, pour l’Union astronomique internationale, un astéroïde fait partie de la catégorie de « planète mineure » en ce sens qu’il ne répond pas aux critères de définition d’une planète. On en recense trois principaux types :

  • type C (pour carbone): les plus communs, composés en grande majorité de carbone et d’eau (catégorie à laquelle appartient l’astéroïde cité dans l’exemple plus haut) ;
  • type S (pour silice) : souvent composés de matières rares comme le platine, le cobalt ;
  • type M (pour métallique): beaucoup plus rares, on les trouve vers le milieu de la région de la ceinture d’astéroïdes du Système solaire, entre les orbites de Mars et Jupiter.

Quelques principes de droit cardinaux

L’ambiguïté du principe de non-appropriation nationale dans l’espace extra-atmosphérique

Les grandes règles régissant les activités dans l’espace furent érigées au sein de l’Organisation des Nations-Unies, au cœur de la Guerre Froide. Les deux superpuissances de l’époque, Etats-Unis et URSS, souhaitaient en effet manifester leur puissance jusque dans l’espace. La première grande impulsion se produisit en 1957 avec le lancement du satellite soviétique Spoutnik. L’ONU a donc encadré autant que faire se pouvait les activités spatiales afin de contenir toute potentielle dérive.

A ce titre, le 13 décembre 1963, l’Assemblée Générale des Nations-Unies a voté la Résolution 1962 (XVIII). Ces principes finirent par irriguer tout le droit spatial international. Le troisième principe énonce en particulier : « L’espace extra-atmosphérique et les corps célestes ne peuvent faire l’objet d’appropriation nationale par proclamation de souveraineté, ni par voie d’utilisation ou d’occupation, ni par tout autre moyen ».

Quelques années plus tard, le Traité de l’Espace de 1967 s’en est très largement inspiré pour son article II, puis ce fut le tour de l’Accord sur la Lune de 1979 pour son article 11-2. Mais le principe reste flou dans son application, ce qui n’a pas échappé à certains acteurs du spatial.

L’astéroïde 243 Ida, de type S situé entre les planètes Mars et Jupiter photographié par la sonde spatiale Galileo de la NASA le 28 août 1993. Lancée en 1989, la sonde Galileo avait pour but d’étudier Jupiter et ses lunes. Sa mission s’acheva en 2003, puis la sonde se désintégra dans l’atmosphère de Jupiter le 21 septembre de la même année. Crédit photo : NASA.  

En effet, l’interdiction d’appropriation de corps célestes s’applique-t-elle lorsque ces derniers se trouvent sur Terre ? Cette situation se produit fréquemment puisque des astéroïdes s’écrasent sur la surface de notre planète. L’Accord sur la Lune de 1979 y apporte une réponse subtile. En son article 1-3, le texte précise que l’Accord ne s’applique pas aux matières extraterrestres qui atteignent la surface de la Terre par des moyens naturels. Ainsi, le principe de non-appropriation ne semble-t-il pas s’appliquer pour un astéroïde qui se serait écrasé naturellement sur Terre. Mais il en va visiblement autrement dans l’hypothèse où de la matière d’astéroïde, des échantillons, etc., arriveraient sur Terre par des technologies humaines. Tant qu’un astéroïde ou quelque objet céleste évolue dans l’espace extra-atmosphérique, il y a donc impossibilité de se l’approprier.

  • Par ailleurs, l’adjectif « nationale » donne du fil à retordre au monde de la doctrine. Faut-il y englober les Etats ainsi qu’acteurs privés, personnes physiques ou morales, ou simplement uniquement les Etats ? La doctrine semble s’accorder sur le fait que toute appropriation de corps céleste, y compris par des acteurs privés, est prohibée. En effet, l’absence de mention d’appropriation privée n’emporte pas la possibilité pour les acteurs privés de revendiquer la propriété d’un corps céleste.
  • Enfin, question sans doute la plus épineuse car elle repose sur un silence du texte : si l’appropriation nationale d’espace extra-atmosphérique et corps célestes s’avère impossible, mais qu’en est-il de l’appropriation uniquement des ressources qu’ils comportent ? Certains acteurs ont compris cette subtilité et commencent à l’exploiter (cf. infra).

Limitation de la libre exploration et d’utilisation de l’espace

La Résolution 1962(XVIII) pose un second principe repris par les conventions internationales : « L’espace extra-atmosphérique et les corps célestes peuvent être librement explorés et utilisés par tous les Etats sur la base de l’égalité et conformément au droit international ».

On le constate, le texte s’adresse explicitement aux Etats, considérés à l’époque comme les seuls à vouloir, ou du moins pouvoir, se rendre dans l’espace extra-atmosphérique et sur ses corps célestes. L’exploration et l’utilisation par des entités privées n’est donc pas abordée. Or ces Etats bénéficient d’un champ spatial représentant un nombre quasi-infini de possibilités mais doivent respecter un principe d’égalité. Celui-ci peut suppose que la conquête spatiale ne doit pas être entachée de discrimination entre les Etats qui souhaitent y participer. Enfin, le respect du droit international rappelé dans cet article entrave l’accomplissement de certains actes.

L’article III du Traité de l’espace se réfère notamment à la Charte des Nations Unies, pour œuvrer à la paix et la sécurité internationale. Son article IV explicite un cas de violation du droit international dans l’espace puisqu’il prohibe la mise sur orbite autour de la Terre d’un objet porteur d’armes nucléaires ou tout autre type d’armes de destruction massive. Il est également interdit de placer de telles armes sur des corps célestes et dans l’espace extra-atmosphérique.

Enfin, si l’exploration ne pose guère de problème de compréhension, l’utilisation ici n’est pas définie. Il s’agit d’un des principaux défauts de la Résolution et, par extension du Traité de l’espace. Le terme englobe très vraisemblablement l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, mais sans possibilité de revendication nationale, conformément à la prohibition d’appropriation.

A la conquête des ressources de corps célestes : conséquence directe du flou juridique en la matière

L’exemple le plus parlant de cette ambiguïté juridique s’exprime par le SPACE Act adopté par les Etats-Unis à la fin de l’année 2015, sous l’administration Obama. Ce texte reconnaît aux citoyens américains, personnes physiques comme morales, la possibilité de s’approprier et, à terme, d’aliéner les ressources des astéroïdes dans l’espace extra-atmosphérique. Les matières dont ils se composent, tels des minéraux rares et des possibles ressources abiotiques (i.e. non vivantes) sont concernées. En d’autres termes, les entreprises spatiales américaines peuvent extraire les ressources naturelles situées sur des corps célestes pour les utiliser ou les vendre.

Habile subtilité, le SPACE Act ne consacre pas le principe d’appropriation de corps célestes, mais exclusivement de leurs ressources, ce que semble permettre, ou plutôt tolérer par leur silence, les conventions internationales en la matière. Par ailleurs, les Etats-Unis, contraints par le Traité de l’Espace de 1967 qu’ils ont signé et ratifié, ne se sont pas lié les mains avec l’Accord régissant les activités des Etats sur la Lune de 1977. Or celui-ci établit, en son article 11-1, que les ressources naturelles célestes relèvent du patrimoine commun de l’humanité. En son article 11-3, l’Accord précise qu’elles ne peuvent devenir propriété d’Etats, organisations internationales intergouvernementales ou non gouvernementales, organisations nationales ou entités gouvernementales, ou de personnes physiques.

Les objets célestes présents dans l’espace extra-atmosphérique suscitant déjà les convoitises sur un plan scientifique, on imagine sans peine que cette loi renforcera les ambitions commerciales des acteurs du secteur spatial. Au-delà de cette considération, elle risque d’inspirer d’autres législations à l’instar de la récente démarche du Luxembourg. Le pays a voté une loi en 2017 relative à l’exploration et l’utilisation des ressources spatiales, laquelle énonce dès son premier article : « Les ressources de l’espace sont susceptibles d’appropriation ». Le pays, qui a récemment créé une agence spatiale, se voit comme un acteur spatial majeur des prochaines années.

Etats-Unis et Luxembourg ont même signé en 2019 un Memorandum of Understanding puis un communiqué commun à leurs deux agences spatiales nationales. Le Mémorandum vise à établir un cadre international de régulation d’exploration et utilisation des ressources spatiales, ouvert également aux instituts de recherche et au secteur privé. Le Communiqué ouvre quant à lui la voie à une utilisation commerciale de l’espace. On notera d’ailleurs que le Luxembourg autorise dans sa loi de 2017 les entreprises, même européennes, à exploiter les ressources spatiales si elles ont leur siège social au Luxembourg, ce que n’ont pas permis les Etats-Unis (article IV).

Quelles solutions pour contenir les ambitions d’appropriation de ressources naturelles célestes ?

Face à ces conséquences problématiques, la démarche la plus logique mais la plus complexe pourrait consister dans une refonte, à tout le moins une réécriture, des textes internationaux en la matière afin de dissiper les silences ou les interprétations hardies. Mais cela requiert un consensus des Etats parties, horizon incertain, et une force contraignante pour les Etats souhaitant s’aventurer dans l’espace. A défaut de refonte, une partie de la doctrine en la matière propose l’idée de développer un régime international qui puisse encadrer l’exploitation des ressources extra-atmosphériques.

En dépit des conséquences environnementales que peuvent causer sur les corps célestes de telles entreprises de forage, et de potentiels risques de conflits à propos des ressources, certains voient dans l’exploitation minière des astéroïdes comme un palliatif de nos ressources fossiles diminuant sur Terre.

Au-delà de ces considérations, vous saurez désormais que le lopin de terre situé sur la Lune que vous avez acheté sur Internet n’a aucune valeur juridique.