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Hongrie : la gauche résiste face à la poussée autoritaire. [Tribune #39]

Chef du pôle Europe/International de L’Hétairie Secrétaire fédéral aux enjeux européens et internationaux PS Seine-Maritime.

Entrevue avec Zita Gurmai Présidente du PSE Femmes, membre de la Diète hongroise, vice-présidente du groupe socialiste MSZP

Alexandre Riou (AR) : Nous avons pu observer que Viktor Orbán a utilisé la période de confinement pour durcir le régime. Pourriez-vous nous en dire plus sur ce qui s’est concrètement produit en Hongrie ?

Zita Gurmai (ZG) : Je voudrais en premier lieu rappeler que le Gouvernement Orbán a sous-estimé la gravité de la crise du coronavirus ; pas autant que dans un certain pays outre-Atlantique, mais tout de même… Prenons l’exemple de la fermeture des écoles, sujet dont on a longuement parlé en France au début de la crise et même après la fin du confinement : un vendredi matin, Orbán a réalisé des « interviews » (il s’agit en réalité de déclarations mises en scène avec le « journaliste » de la première chaîne de la radio publique) au cours desquelles il a annoncé qu’il n’y aurait pas de fermeture des écoles. Mais, sous la pression des parents et, j’imagine, de sondages qui n’ont pas été rendus publics, il a décidé le soir même d’introduire le télé-enseignement, donc la fermeture des écoles. En moins de 12 heures, il a changé d’avis du tout au tout. Cela en dit long sur sa capacité d’anticipation politique.

            En ce qui concerne la loi sur la situation d’urgence sanitaire : nous n’étions pas opposés sur le principe même d’une telle loi, mais nous ne pouvions accepter une application pour une durée indéterminée ! Tous les partis politiques d’opposition souhaitaient en restreindre la portée à 60 ou 90 jours maximum, renouvelables. Le Gouvernement aurait pu faire un geste. Mais Viktor Orbán a estimé que pareille « concession » à l’opposition n’était pas envisageable. Avec sa majorité des 2/3 au Parlement, il a fait adopter cette loi sans durée déterminée. Autant que je sache, il n’y a pas beaucoup de pays au sein de l’Union européenne qui ont voté des textes semblables. En parallèle, il nous a accusés d’être « provirus ». Vous imaginez ?! C’est encore pire et plus stupide que d’être traités d’ « agents de l’étranger ! ». Cela nous montre la vraie nature du régime de Viktor Orbán ! D’ailleurs, les nervis d’Orbán parmi les plus « extrémistes » ont longtemps voulu présenter M. Soros comme la personne à l’origine de la crise de coronavirus.

Mais, fondamentalement, Orbán n’avait pas besoin de cette loi : il aurait pu gérer la crise du coronavirus sans difficultés avec sa majorité parlementaire et en utilisant la loi de 1997 relative à l’état d’urgence sanitaire. Toutefois, cela ne lui aurait pas permis de faire adopter des dispositions qui n’ont strictement rien à voir avec la crise. Un exemple criant : à peine deux jours après l’adoption de cette loi, l’adjoint d’Orbán, le vice Premier Ministre Semjén, a présenté un projet de loi « omnibus » visant à modifier, d’un seul coup, 50 lois en vigueur ! Je vous cite des exemples, vous pouvez en juger vous-même :

  • la loi de 1992 sur l’enregistrement des informations et adresses personnelles des citoyens ;
  • modification de la loi I de 2010 sur la procédure d’enregistrement, Interdiction du changement de sexe (cette loi a déjà été adoptée et promulguée.) ;
  • la loi 2013 sur la rénovation et l’aménagement du parc de la ville afin d’annuler des décisions du Maire de Budapest, appartenant à l’opposition;
  • une autre modification a conféré gratuitement des immeubles de grande valeur à  une amie du Premier Ministre ! 

Plus grave encore, le Gouvernement a envoyé des officiers de l’armée dans les hôpitaux en qualité de « commandants de l’établissement », de manière tout à fait incompréhensible et inexplicable. Cela indique le penchant d’Orbán  pour le virilisme  militaire ou para militaire dans un pays calme et sans troubles publics.

De même, une autre loi a rendu possible de « réglementer/contrôler » la presse au motif de « propagation de fausse nouvelle ». Je pense que le cas des deux paisibles citoyens « ramassés » par la police à l’aube pour leurs « posts » sur Facebook a fait le tour du monde. 

Je vous ai cité seulement quelques exemples. Je pourrais aussi mentionner les cas des amis d’Orbán, les oligarques hongrois, qui n’ont jamais eu autant de « commandes étatiques » depuis 2010. Je signale que, de manière fréquente, il s’agit d’argent venant de Bruxelles, donc de vos impôts aussi!

Diffusant une véritable propagande du régime, Orban affirmait qu’il « rendrait » les pouvoirs exceptionnels dont il a été investi au Parlement, le 20 juin. Ses seconds couteaux ont commencé à répéter comme un perroquet que les Occidentaux qui osaient critiquer Orbán pour cette loi « devront faire la queue pour s’excuser » auprès du gouvernement hongrois. Quel culot !

D’autant que si le parlement hongrois a formellement voté la fin de l’état d’urgence et qu’Orbán a « rendu » les pouvoirs dont il s’était investi, il faut savoir que, concomitamment, deux projets de loi ont été adoptés : l’un sur la levée de l’urgence, l’autre sur les règles de la période de transition. En somme, tout en mettant un terme « officiel » aux pleins pouvoirs du Premier Ministre, le Gouvernement, avec les règles dites transitoires, a créé un nouvel ordre juridique semi-extraordinaire. Ce projet de loi a été adopté par le Parlement avec 135 voix pour, 54 contre et 3 abstentions.

Ils ont également changé la loi sur la protection en cas de catastrophe. Elle précise désormais qu’en cas d’épidémie se propageant massivement et mettant en danger la sécurité des personnes et des biens, afin de garantir la stabilité de l’économie nationale, le Gouvernement peut suspendre l’application de certaines lois, déroger aux dispositions légales et prendre d’autres mesures extraordinaires. 

 Des ONG ont donc légitimement souligné que la révocation de l’urgence n’était que de la poudre aux yeux. 

Enfin, la tenue de « consultations nationales » annoncée par Orbán a bel et bien débuté.  Le Fidesz soumet aux Hongrois des questions fantoches. Le Gouvernement a envoyé plusieurs millions de lettres par la poste, mais cela sert à renforcer son propre camp électoral, aux frais du contribuable.

AR : Avec la Pologne, la Hongrie est aujourd’hui le second pays au sein de l’Union européenne qui est réellement menacé par une dérive autoritaire. Les institutions européennes (Commission et Parlement) disposent d’un mécanisme légal « L’Etat de Droit » (article 7 du TFUE) qui offre la possibilité de sanctionner un Etat-membre, si celui-ci tourne le dos aux valeurs démocratiques. Pensez-vous que des pressions sur cette base pourraient changer les orientations politiques de Viktor Orbán ?

ZG : Malheureusement, la Commission européenne et le Parlement européen ne peuvent pas faire grand chose selon les règles actuelles. Ils peuvent attirer l’attention sur ce qui se passe chez nous, mais nous sommes loin de décisions qui porteraient un coup d’arrêt au gouvernement Orbán. D’autant qu’au Conseil Européen, Orbán dispose d’un allié puissant : la Pologne qui pourrait utiliser son droit de veto, comme déjà évoqué publiquement par ses dirigeants. Des rapports et des débats sont utiles, mais je ne suis pas naïve. Et je le dis en sachant qu’une certaine partie du PPE pense la même chose d’Orbán que nous. 

Orbán ne comprend que le langage de la force, le rapport de force. Et le vecteur idoine, c’est l’argent venant de Bruxelles. Mais je ne veux surtout pas que les Hongrois, mes compatriotes, soient « punis » pour la politique d’Orbán et de ses amis politiques.

AR : A l’intérieur de la Hongrie, la contestation pourrait déboucher sur des poursuites. En qualité de Députée de la Diète hongroise, comment pouvez-vous exercer votre rôle d’opposition sans risquer quoi que ce soit ?

ZG : J’espère que nous n’en sommes pas encore là ! Si le Parlement travaille, je n’ai pas d’illusions : les 2/3 du Fidesz obéissent au Gouvernement. Nous essayons de formuler des propositions, des ébauches de programmes, de les présenter et de les défendre pendant les séances de questions-réponses au Parlement, mais sans couverture médiatique tout cela a une portée très limitée. Et comme vous le savez, nous sommes interdits de médias « publics », qu’il faut en réalité appeler médias gouvernementaux.

AR : Dans ce contexte, comment la gauche hongroise (MSZP, MSZDP) peut-elle appréhender l’avenir ? A la fin de l’année 2019, le Fidesz a perdu les élections locales, notamment à Budapest. Pourrions-nous interpréter cela comme le début du déclin de l’influence de la politique de Viktor Orbán au sein de la société hongroise ?

ZG : Je pense que les élections municipales d’octobre 2019 ont vraiment signifié le début d’un changement. Viktor Orbán s’est affaibli dans les grandes villes, là où l’on produit 60 % du PIB de la Hongrie. Dans les communes de province, où nous n’avons pas de présence médiatique, le Fidesz reste toujours fort. Mais je ne pense pas que les difficultés et le chômage de masse puissent aider Orbán.

Notre parti a fait des propositions concrètes pendant la crise et pour l’après-crise, et le Gouvernement en a adopté plusieurs, sans en dire un mot ! Cela ne nous gêne pas vraiment, parce que cela prouve que nous sommes sur le bon chemin, que nous sommes capables d’émettre des propositions visant à aider les plus faibles, les plus démunis.

Je suis convaincue qu’avec notre programme nous pourrons récupérer nos anciens électeurs, et que l’opposition -tous les partis compris-, sera capable de l’emporter aux élections parlementaires de 2022. Nous devons mettre l’accent sur la coopération et l’union de toutes les composantes de l’opposition ; j’insiste : de toutes les composantes.