La sécurité des Français, une promesse de gauche [Note #83]
En ce qu’elle allie puissance régulatrice de l’Etat et recherche de l’égalité (devant la loi, sur les territoires, etc.), la sécurité est une valeur intrinsèquement liée à la gauche. Et la tentative d’accaparement par ceux qui confondent autorité et propos martiaux se heurte à leur bilan. Car, en ce domaine, tant Emmanuel Macron que les autres candidats de droite ont perdu toute crédibilité. Lorsque les faits parlent de manière aussi sévère, ne restent que des déclarations toujours plus excessives ou des promesses financières intenables.
Contre les mirages ou les rodomontades, pour conduire une véritable politique publique de sécurité au service de nos concitoyens, le ministère de l’Intérieur et les forces de sécurité ont un besoin urgent d’une réforme d’ampleur guidée par une ambition politique réaffirmée.
Ma politique de sécurité sera structurée autour de 7 axes pour répondre aux attentes des Français et aux réalités des territoires : une présence renforcée sur le terrain (notamment grâce à un budget sanctuarisé et ambitieux), une action déconcentrée pour s’adapter aux besoins locaux, une doctrine d’emploi qui répond aux enjeux réels de la sécurité et non à des objectifs médiatiques, une formation repensée pour s’adapter à ces nouvelles orientations, une lutte contre le terrorisme et les nouvelles menaces à la hauteur de ces défis majeurs pour notre démocratie, un contrôle des forces de sécurité repensé pour légitimer leur action et assurer le respect de la loi et de la déontologie.
Bilan d’un saccage quinquennal
Emmanuel Macron ne pourra pas critiquer le bilan de son prédécesseur pour expliquer l’incurie dont il a fait preuve ces cinq dernières années.
Alors que le quinquennat de Nicolas Sarkozy avait été marqué par la suppression de 13 720 postes (6 930 pour la police nationale et 6 790 pour la gendarmerie nationale), de 12 centres et écoles de formation de la police nationale et de 4 écoles de gendarmerie, le quinquennat de François Hollande a réhaussé les moyens des forces de sécurité intérieure en recrutant 9000 policiers et gendarmes et en accroissant les crédits hors dépenses de personnel (hors T2) de 25% ! Sous l’impulsion de Bernard Cazeneuve, alors ministre de l’Intérieur, l’équipement des forces de sécurité intérieure a été considérablement amélioré et la formation profondément réformée. Or, ces éléments d’un bilan non exhaustif, ont été consciencieusement sapés par la majorité arrivée en 2017.
Le ton était donné dès l’été 2017 avec l’annulation par Gérard Collomb de 200 millions d’euros de crédits hors dépenses de personnel (hors T2). Par la suite, les dépenses de fonctionnement et d’investissement ont connu des diminutions entre 8 et 16% pour la Police nationale et entre 12% et 24% pour la Gendarmerie nationale ! Les forces de sécurité intérieure ont continué de recruter mais des personnels moins bien équipés, moins bien logés et moins bien formés !
Il était bien temps, à la veille de l’élection présidentielle de procéder à un rattrapage qui aurait dû prendre la forme d’excuses ! Emmanuel Macron préfère parler de programmation. Mais la réalité ne trompe pas sur ce qui reste des promesses de campagne. D’autant qu’il est rare de se livrer à un exercice de programmation à la fin de son mandat et que, sur les 15 milliards annoncés, l’essentiel de l’effort porte sur l’après 2027 ! La Cour des Comptes ne s’y est pas trompée en étrillant la gestion du ministère de l’Intérieur dans un récent avis [1]Cour des Comptes, La gestion des ressources humaines au cœur des difficultés de la police nationale, 18 novembre 2021..
Face à ce bilan désastreux, je souhaite une réforme de notre politique de sécurité qui suive 7 axes forts.
Axe 1 : Un budget sanctuarisé pour une présence sur le terrain renforcée
Le ministère de l’Intérieur souffre des à-coups budgétaires qui rendent toute réforme durable impossible. Les récentes déclarations du candidat Macron à Nice sont, à ce titre, un mea culpa plus qu’un projet.
Il faut poser dès le début du quinquennat une ambition claire sous la forme d’une loi de programmation avec un effort budgétaire assumé, équilibré, et réellement soutenable pour le service public de la sécurité contrairement à ce qu’Emmanuel Macron a promis à Nice.
Dans ce cadre, il faudra naturellement prévoir des recrutements pour combler les besoins existants et remplacer les départs à la retraite. Je mettrai tout en œuvre pour accroître la présence des forces de sécurité intérieur sur le terrain : grâce aux recrutements, à des redéploiements, à la modernisation des outils et procédures, à la réforme des cycles horaires, ce seront plus de 6000 policiers et gendarmes qui pourront accomplir leur vocation première : le service à la population.
Mais plutôt que d’atteindre des plafonds d’emplois stéréotypés ou de prévoir des renforts ponctuels, je veux que les effectifs locaux de police et gendarmerie soient adaptés aux besoins tels qu’établis après diagnostic concerté par tous les acteurs de terrain, notamment les élus. Lancé dès mon élection, ce diagnostic nourrira la loi de programmation quinquennale que mon gouvernement défendra en octobre devant le Parlement.
Par ailleurs, recruter des policiers et gendarmes sans pouvoir les équiper est une hérésie à laquelle s’est livré Emmanuel Macron. Il faut donc poser une règle d’or : la dépense prévisionnelle de tout recrutement doit intégrer le budget suffisant d’équipement et en immobilier pour améliorer les conditions de vie et de travail des policiers et gendarmes.
Déployer une plus grande capacité d’action sur le terrain ne passe pas uniquement par des recrutements. Nous devons travailler à une meilleure allocation de nos moyens humains grâce à une réforme profonde des cycles horaires, concertée avec l’ensemble des forces de sécurité et leurs organisations représentatives. Elle devra tenir compte des besoins opérationnels mais également des nécessités chronobiologiques. Après cinq années d’inaction, Emmanuel Macron a annoncé cette volonté sans toutefois prévoir les conditions d’une application efficace. Pour ce faire, il faudra doter chaque échelon de sécurité d’outils modernes de gestions et d’allocation des ressources humaines, y compris pour une projection opérationnelle. On ne peut plus demander aux responsables hiérarchiques de composer leurs équipages avec un crayon et une gomme ! Il nous faut des outils modernes d’analyse de l’insécurité qui tiennent compte des spécificités locales, des faits constatés, des plaintes et signalements, des appels et des observations de terrain.
Axe 2 : Un ministère de l’Intérieur organisé pour répondre aux besoins des territoires
Le centralisme n’est jamais une méthode d’organisation efficace. En matière de sécurité, il satisfait l’appétit médiatique du Gouvernement sans répondre aux besoins des territoires. Il faut donc pouvoir appréhender les spécificités géographiques ou démographiques en s’affranchissant des modèles administratifs figés qui ne permettent pas d’adapter les moyens à un terrain d’action ou à un bassin de délinquance, les actions conduites aux attentes des citoyens, les modalités d’intervention à leurs conséquences concrètes et psychologiques. Une politique de sécurité doit avant tout répondre aux attentes des citoyens et aux réalités locales.
Pour ce faire, l’orientation stratégique de l’action de sécurité sera profondément déconcentrée pour être confiée aux responsables départementaux, policiers ou gendarmes. Eux seuls sont en mesure d’apprécier les besoins opérationnels et les attentes de la population.
Un référentiel national sera donc créé et comprendra l’ensemble des objectifs possibles, laissant ainsi le soin à l’échelon local, en concertation, d’orienter son action et de disposer des ressources nécessaires. Car, pour être effective, la déconcentration implique l’autonomie budgétaire dans le cadre d’une enveloppe préalablement définie.
S’adapter aux réalités locales suppose également de recruter en partie local. Un policier connaissant intimement le territoire et ses habitants, qui n’est pas déraciné et qui est fidélisé rendra un meilleur service à la population, sera plus en réponse aux attentes des habitants. Pour les autres recrutements, les mesures d’incitation pour s’installer dans les zones sensibles seront revalorisées et versées régulièrement.
Axe 3 : Une action et une doctrine d’emploi repensées
Je mettrai fin à la politique du chiffre au profit de la politique de l’efficacité. Car si, théoriquement, l’Indemnité de responsabilité et de performance (IRP) de la Police nationale est calculée en fonction de la seule évaluation individuelle (évaluation qualitative formulée par le chef de service), la pression du chiffre n’a pas diminué. Préférer au taux d’interpellation ou de démantèlement des points de deal un autre indicateur comme le taux de déferrement inciterait les policiers à procéder à des interpellations plus qualitatives, liées à des faits suffisamment étayés pour entraîner une réponse judiciaire efficace.
Cela suppose de porter une profonde réforme de la filière judiciaire (spécialisée et de sécurité publique) pour permettre son attractivité et la fidélisation des effectifs, notamment par une revalorisation des parcours et la multiplication des formateurs (dont le trop faible nombre rend caduques les annonces d’E. Macron en la matière). En novembre 2021, la Cour des comptes a d’ailleurs pointé l’effondrement des taux d’élucidation corrélé à la crise des vocations dont souffre la filière. Le sentiment d’insécurité des victimes et d’impunité des auteurs tient pour beaucoup à ce taux d’élucidation effondré : en 2020, 89,8% des cambriolages ne sont pas élucidés et 84,6% des vols avec violence. La Justice ne peut sanctionner que les délinquants qu’on lui présente !
Naturellement, la procédure pénale devra être repensée pour gagner en efficacité, être rationnalisée et mobiliser les nouvelles technologies. Un plan d’investissement technologique sera élaboré (bureautique, techniques d’enquête, déchiffrement, etc.). L’échec de mise en œuvre d’un logiciel de rédaction des procédures traduit à lui seul l’état de décrépitude des moyens de la police judiciaire.
La sécurité doit aussi inclure la prévention et donc rehausser de façon visible les moyens alloués et son incarnation dans les organigrammes des commissariats de police. Ce service ainsi rénové, recevra le renfort de réservistes, mènera des actions de long terme, disposera d’un budget consacré et, à sa tête d’un officier ou d’un commissaire, qui coordonnera tous les dispositifs de prévention souvent épars (PFAD, intervenants en milieu scolaire, référent sécurité routière, DCPP, etc.), de partenariat et de prévention situationnelle (référents sûreté des départements), pour y donner une plus forte cohérence. Il sera également chargé de la relation avec le public et notamment de l’évaluation de la satisfaction des citoyens. Concernant la Gendarmerie nationale, l’essence même du modèle reposant sur l’immersion totale du gendarme, il conviendra donc d’assurer le déploiement des brigades de contact pour atteindre le chiffre de 250.
Enfin, la création d’une police municipale par une collectivité ne donnera plus lieu à aucun désengagement de la police nationale mais permettra à chacune des forces de se concentrer sur ses missions prioritaires, en complémentarité et dans une logique de service public.
Par ces orientations, il ne s’agit pas de tenter une expérimentation ou d’accoler un adjectif à la police (« de proximité » ou « de sécurité du quotidien »). Il s’agit de refonder l’action de toutes les forces de sécurité intérieure.
Axe 4 : Une formation consolidée
Pour accompagner ce mouvement, il est primordial d’accroître la durée de la formation initiale des policiers et gendarmes. Or, en juin 2020, Gérald Darmanin a réduit la durée de formation des gardiens de la paix de 12 à 8 mois. A l’approche de la campagne présidentielle, le ministre de l’intérieur est revenu en arrière sans pour autant prendre les dispositions nécessaires afin d’adapter la capacité de formation. Pire, le Président de la République annonce la création d’une académie de police sans y prévoir de places supplémentaires au titre de la formation initiale pourtant en très en forte tension.
Par ailleurs, il est indispensable de sanctuariser les temps de formation continue en les adaptant aux besoins opérationnels et aux attentes de la population. A ce jour, le nombre des offres de formation continue ne permet guère de répondre à des personnels désireux de se perfectionner.
Mal formés à la mesure des impacts de leurs actions sur la population, les policiers et gendarmes peuvent, par exemple, recourir plus que nécessaire à des contrôles d’identité dont de nombreux sociologues ont établi à quel point ils altéraient le rapport police-population. Il convient donc de développer des formations continues en ce sens afin d’irriguer l’action quotidienne des forces de l’ordre.
Cette volonté suppose évidemment de renouveler l’appareil statistique du ministère de l’Intérieur qui, bien que réformé en 2016, n’est pas encore aux standards de ce qui est souhaitable pour une grande démocratie et, surtout, pour la conduite de politiques publiques complexes. Cette volonté suppose enfin de revenir sur la suppression de l’INHESJ (Institut national des hautes études de sécurité et de justice) dont l’absence, notamment sur la capacité de structurer les communautés épistémiques et porter des regards décentrés sur l’action du ministère, n’a guère été compensée
Axe 5 : Faire face au terrorisme
Parce que notre pays continue de vivre sous la menace terroriste, il nous faudra poursuivre l’adaptation de notre dispositif de prévention et de répression. Les services de renseignement verront leurs moyens confortés, d’un point de vue tant humain que technologique. Ces efforts concerneront également le versant judiciaire de la lutte contre le terrorisme (moyens humains et technologiques de la police judiciaire) mais également des instances judiciaires spécialisées.
Axe 6 : Faire face aux nouvelles menaces
Afin de mettre les forces de sécurité en mesure de lutter contre la montée en puissance des organisations criminelles, de la grande délinquance financière mais aussi des cybermenaces, les services de renseignement seront mobilisés. Une planification opérationnelle et budgétaire sera établie et donnera lieu à un suivi confié au coordonnateur national du renseignement, sous mon autorité.
Axe 7 : Contrôler les forces de sécurité intérieure pour asseoir leur légitimité
En complément et au-delà des corps de contrôle interne, le contrôle de l’action des forces de sécurité sera confié à une autorité indépendante spécialisée qui, sans a priori et au quotidien, pourra participer à la légitimation de l’action de nos forces de sécurité intérieure. Car celles-ci manquent aujourd’hui d’un contrôle de légalité et de déontologie qui intervienne, non lorsqu’un problème existe ou en cas de saisine, mais en appui de l’activité quotidienne des policiers et gendarmes.
Cette instance, composée de magistrats du conseil d’Etat et de la Cour de cassation (auxquels pourraient s’adjoindre des parlementaires) assistés par des policiers, gendarmes et magistrats détachés, aurait pour mission un contrôle a posteriori de certaines activités des FSI (contrôle d’identité, d’usage de la force (en maintien de l’ordre ou en intervention), d’accueil du public (recueil des plaintes, conditions de garde à vue, etc.)) afin de délivrer des avis consultatifs ou, le cas échéant, de réaliser un signalement administratif. Le ministre de l’Intérieur, serait tenu de lui apporter une réponse dans les 15 jours. A l’issue de ce délai, les avis et signalements ainsi que la réponse du ministre (et les éventuelles actions correctives) seraient rendus publics.
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Notre sécurité est un bien trop précieux pour la laisser en proie aux caricatures et punchlines. Je propose une refondation de la politique publique de sécurité, en concertation avec tous les acteurs concernés (fonctionnaires, organisations syndicales, élus, citoyens) et avec les moyens de la conduire. L’ambition est avant tout une réalité qui se crée.
Notes
↑1 | Cour des Comptes, La gestion des ressources humaines au cœur des difficultés de la police nationale, 18 novembre 2021. |