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Les budgets ne sont pas que des chiffres : plaidoyer pour une nouvelle politique budgétaire [Livret #3]

Pseudonyme, haut fonctionnaire spécialiste des questions budgétaires.

            Dans une formule passée à la postérité, Pierre Mendès France indiquait en 1953 : « Gouverner c’est choisir ». Mais lorsque ces choix s’égrènent tout au long de l’année, sans que l’on saisisse le schéma d’ensemble, ou lorsqu’ils sont exprimés de manière différente par des responsables politiques multiples, alors ils perdent de leur signification et de leur cohérence. Et trop souvent, l’action politique s’est abîmée sur cet impressionnisme qui donne un sentiment d’amateurisme.

A l’inverse, s’il est un objet politique qui condense et résume les choix d’un Gouvernement, qui devrait mettre en exergue une cohérence, c’est sans conteste le budget de l’Etat.

En ce domaine, le champ des besoins est infini tandis que les ressources sont limitées. Certes, personne ne sait jusqu’où un État peut s’endetter : les fameux critères de Maastricht sont des références plus politiques que techniques et les taux d’intérêt se situent à des niveaux si bas qu’ils offrent d’inespérées marges de manœuvre budgétaires[1] Car pour une même charge de la dette, l’État peut s’endetter plus.. Mais les arbres ne poussent pas jusqu’au ciel et, gouverner, c’est choisir les actions politiques qui bénéficieront de l’appui de ressources plus ou moins conséquentes.

Néanmoins, il ne s’agit pas d’instituer les questions budgétaires en alpha et oméga de l’action politique, et cela pour au moins deux raisons.

D’abord parce qu’une politique publique est aussi constituée de normes et d’actions, que les textes inscrits à l’agenda du Parlement marquent des priorités déterminantes et qu’un ministre impliqué dans la gestion de son administration peut en réorienter l’activité et obtenir d’importants résultats sans moyens supplémentaires.

            Ensuite parce que, depuis plus de vingt ans, cette lecture de l’action politique par le budget a été considérablement brouillée par deux maux qui touchent nos finances publiques de manière toujours plus prégnante :

  • Le décalage entre ce qui est voté et exécuté en gestion,
  • La diminution des ressources sans réforme associée.

            Il faut donc promouvoir une nouvelle manière de conduire une politique budgétaire, qui rompe avec les traditionnelles astuces destinées à un débat politique et médiatique tronqué. Dans cet esprit, à la suite des premières décisions budgétaires du gouvernement Philippe (annulations de l’été, projet de loi de finances pour 2018 (PLF 2018), « Action publique 2022 »), peut-on voir se dessiner une évolution ou sommes-nous toujours dans les « vieux schémas » ? Les expédients budgétaires traditionnels (prévisions économiques particulièrement volontaristes, sous-budgétisation, gels de crédits) sont-ils enfin évités ? Et l’exécution budgétaire s’avère-t-elle cohérente avec le budget programmé ? Une démarche est-elle engagée vers une politique de réforme qui aide à mettre en œuvre la diminution des dépenses publiques sans se limiter à des baisses de crédits forfaitaires ?

            Au-delà de ces questionnements, des changements radicaux doivent être introduits dans l’approche du contrôle de la politique budgétaire mais également dans la conduite de la réforme de l’Etat.

Plaidoyer pour un budget sincère

            Un budget sincère suppose une estimation raisonnable des recettes et des dépenses, mais aussi un contrôle parlementaire qui s’assure de l’objectivité de la démarche conduite par le Gouvernement. Il en va de la crédibilité de la parole publique et, d’une manière générale, de toute réforme entreprise.

Pour une estimation raisonnable des recettes

            Longtemps, les débats autour des prévisions de croissance ont laissé aux observateurs et aux citoyens l’étrange impression d’accommodements – souvent déraisonnables – avec la réalité économique. Ces derniers permettaient de construire un budget sur des bases insincères et de céder à la facilité d’effets d’annonce déçus par les faits.

            En réaction, la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques a procédé à la création du Haut Conseil des finances publiques (HCFP). Ce dernier est chargé de se prononcer à la fois sur les prévisions du Gouvernement et sur la cohérence des objectifs annuels présentés dans les différents textes financiers[2] Projets de loi de finances, projets de loi de finances rectificatives… avec les objectifs pluriannuels de finances publiques.

            Présidé par le Premier président de la Cour des comptes, le HCFP se compose du directeur général de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), de quatre magistrats de la Cour et de cinq personnalités qualifiées (2 désignées par l’Assemblée nationale, 2 par le Sénat et 1 par le Conseil économique, social et environnemental). Pareille composition est supposée le placer à l’abri de pressions trop importantes de la part du Gouvernement.

            Toutefois, sa création n’a pas éradiqué les débats et les critiques, tant il est certain qu’en la matière rien n’est certain. Ainsi, à l’occasion de son avis sur le PLF 2017, le HCFP estimait-il que l’hypothèse de croissance retenue par Michel Sapin à 1,5 % s’avérait « un peu élevée au regard des informations connues à ce jour [et qu’]elle [était] supérieure à la plupart des prévisions publiées récemment[3]Avis n°2016-3 relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour l’année 2017, 28 septembre 2016, p. 5 ». Dans le même esprit, en juin 2017, le Premier ministre Edouard Philippe ne croyait pas, à l’instar de la Banque de France, à ces chiffres, pour finir aujourd’hui par retenir une prévision à 1,7% pour 2017 comme pour 2018. Quant au HCFP, dans son avis sur le PLF 2018, il considère désormais « que le scénario macroéconomique du projet de loi de finances (prévisions de croissance, d’inflation, d’emploi et de masse salariale) est prudent pour 2017 [tandis qu’il pourrait être meilleur] pour 2018[4]Avis n° HCFP-2017-4 relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour l’année 2018, 27 septembre 2017, p. 1  ».

            Face cette science de la prévision bien incertaine, une règle de comportement pourrait être adoptée, consistant à retenir non l’hypothèse moyenne – qui fait consensus – ou la fourchette haute – toujours sujette à débats -, mais la fourchette basse [Proposition n°1]. Force est de constater que tel n’est pas le choix opéré ces dernières années ou par le Gouvernement pour le PLF 2018.

            Enfin, cette démarche d’objectivation pourrait s’amplifier en promouvant, dans le débat politique et médiatique, la notion de solde structurel [Proposition n°2]. Ce concept, de prime abord obscur, est surtout utilisé actuellement dans le dialogue entre le Gouvernement et la Commission européenne. Il caractérise le solde budgétaire qui serait obtenu si la croissance atteignait son PIB potentiel, hors impact de la conjoncture[5] La notion vise à neutraliser, entre autres, les effets d’une croissance atone qui induit pourtant une augmentation des dépenses publiques (par exemple celles liées au chômage) et une … Continue reading. Il est censé représenter l’effort fourni par la politique gouvernementale, son efficacité, pour redresser les finances publiques, en dehors de tout effet de l’environnement, positif comme négatif. De fait, une plus grande utilisation de ce concept pourrait permettre d’isoler l’impact de l’action des décideurs publics dans l’évolution de la situation des finances publiques, de distinguer ce qui lui est imputable de ce qui ressort de l’environnement.

En finir avec la sous-évaluation des dépenses

            Si l’on peut raisonnablement penser que la partie « recettes » du budget est désormais surveillée de manière satisfaisante pour éviter de trop significatives surévaluations dans sa construction, la sous-évaluation des dépenses reste hélas trop courante.

            Pour s’en convaincre il suffit de se référer au décret d’avance n°2017-1183 du 20 juillet 2017[6] Cette pratique repose sur l’article 13 de la Loi organique relative à la loi de Finances (LOLF), lequel indique : « En cas d’urgence, des décrets d’avance pris sur avis du … Continue reading. Celui-ci comporte, pour ne retenir que les plus importantes, des ouvertures de crédits pour :

  • Le plan de formation prioritaire à hauteur de 259 M€ qui viennent s’ajouter au redéploiement de près de 200 M€ au sein du budget de l’emploi, soit un débordement de 459 M€ par rapport à la loi de finances initiale (LFI) 2017 ;
  • Des dépenses d’intervention du ministère de l’Intérieur relatives à l’allocation pour demandeurs d’asile à hauteur de 206 M€ ;
  • Le parc d’hébergement d’urgence, compte tenu des flux migratoires, à hauteur de 120 M€ ;
  • L’acquisition d’un nouvel immeuble à Montrouge pour y reloger les services centraux de l’Insee, à hauteur de 165 M€ ;
  • Le financement des opérations extérieures et intérieures du ministère des Armées à hauteur de 643 M€, par rapport à une LFI 2017 dotée de 450 M€.

            Ces montants et leur nature, rapportés à l’absence d’évènement exceptionnel au cours du premier semestre (crise économique majeure, catastrophe naturelle, déploiement militaire non prévu etc.), supposent que les insuffisances constatées en juillet proviennent d’une budgétisation des crédits initiaux très inférieure aux besoins qui pouvaient raisonnablement être estimés[7] A l’exception notable de l‘ouverture de 101 M€ au profit du ministère de l’Agriculture pour financer différentes mesures sanitaires. Il s’agissait principalement de répondre à … Continue reading. A titre d’exemple, aucun nouveau conflit armé n’est survenu au point de devoir, en cours d’exécution, plus que doubler le budget des opérations extérieures.

            Cette tradition de sous-budgétisation des dépenses de l’Etat est d’ailleurs critiquée dans le rapport de la Cour des comptes commandé par le Gouvernement dès son arrivée, selon une habitude désormais récurrente lors des changements de majorité. Sur ce point, la précédente majorité s’est coulée dans les mauvaises pratiques de ses devancières.

            Qu’en est-il pour le PLF 2018 du Gouvernement Philippe ? Dans un récent avis, le HCFP note à son propos : « L’objectif inclut un effort visant une budgétisation plus réaliste de certaines dépenses (allocation aux adultes handicapés, prime d’activité, hébergement d’urgence, aide médicale d’État …). Des sous-budgétisations demeurent toutefois pour certaines dépenses (opérations extérieures, en dépit d’une augmentation de 200 M€ par rapport à la LFI 2017, apurements communautaires…).[8] Avis n° HCFP-2017-4, loc. cit., p. 11. »

            Le PLF 2018 serait donc plus rigoureux, mais la question de la sincérité de la budgétisation des OPEX reste toujours à construire, ce qui génèrera encore des difficultés dans le courant de l’année 2018. Or, afficher une politique, la soumettre au vote de la Représentation nationale sans inscrire les moyens afférents, c’est faire peu de cas de l’autorisation parlementaire. Il faut donc remédier à la faiblesse structurelle du Parlement dans ces débats.

Armer le Parlement pour lui permettre d’apprécier la budgétisation

            Le HCFP est le seul acteur indépendant à donner un éclairage sur la sincérité des budgétisations opérées par le Gouvernement. Certes, la Cour des comptes intervient également pour vérifier la bonne exécution des lois de finances de l’État et des lois de financement de la Sécurité sociale ; mais son rapport annuel transmis au Parlement ne concerne que l’année révolue (n –1) et ne fournit donc aucune aide aux parlementaires qui discutent du budget de l’année suivante (n +1). Autrement dit, les représentants de la Nation reçoivent un rapport consacré à l’année 2016 lorsqu’ils discutent le budget pour 2018 ! C’est pourtant à cette étape qu’un contrôle de la juste budgétisation serait utile, pour éclairer pleinement le Parlement avant son vote [Proposition n°3]. La Cour des comptes serait tout à fait dans le rôle d’assistance du Parlement dans le contrôle de l’action du Gouvernement que lui octroie l’article 47-2 de la Constitution introduit par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.

            Il est vrai que, la Constitution empêchant le Parlement – même bien éclairé – d’accroître les dépenses, celui-ci serait bien en peine de contrebalancer une dépense sous-budgétée. Il pourrait néanmoins, lors des débats, pousser le Gouvernement dans ses retranchements, l’enjoindre de justifier l’inscription budgétaire proposée, voire de la corriger en tant que de besoin.

            Au-delà, il est donc temps de permettre au Parlement d’exercer pleinement sa mission de regard critique et constructif sur le budget présenté par le Gouvernement, de lui conférer les moyens nécessaires à cette action. La réforme constitutionnelle se devrait d’envisager cette nécessité impérieuse pour la qualité du débat démocratique [Proposition n°4].

Plaidoyer pour une exécution budgétaire sincère : en finir avec les excès de la mise en réserve de précaution

            Il est toujours difficile pour un chef de Gouvernement ou un Président de la République d’expliquer à un ministre, aux élus, à des syndicats, à des associations ou à des usagers qu’une politique publique ne sera pas prioritaire.

            Selon les philosophes antiques, le sentiment d’injustice procède soit du non-respect d’une règle préétablie, soit d’une inégalité de traitement. Or, s’il faut abattre le budget de quelques centaines de millions d’euros pour des raisons d’orthodoxie, le Gouvernement, fort de cette maxime, préférera recourir à l’égalité de traitement et s’affranchir de la règle préétablie : plutôt que de cibler des ministères dont les crédits seraient minorés, un taux d’abattement est alors calculé pour reprendre le même pourcentage de crédits à chacun. Personne ne peut se plaindre, chacun a été ponctionné du même pourcentage de crédits que les autres. Culture, Emploi, Défense, Sports, mis sur le même plan. C’est choisir de ne pas choisir.

            Ce procédé est appelé, tant par la presse que par les fonctionnaires du budget, la « technique du rabot ». On comprend bien l’image : comme le menuisier retire une même épaisseur de matière d’une pièce de bois, le Premier ministre retranche une même proportion de crédits à tous les budgets sans distinction.

            La pratique est systématique depuis dix ans :

  • Soit pour boucler un projet de loi de finances, lorsqu’en juillet le Premier ministre réalise que le compteur de ses arbitrages l’emmène au-delà du cadre budgétaire qu’il a lui-même arrêté ;
  • Soit en gestion, comme évoqué précédemment, lorsqu’il doit faire face à des impasses budgétaires ;
  • Soit encore au Parlement, lorsqu’il faut gager les ouvertures de crédits négociés avec les députés ou les sénateurs, tout en ne dégradant pas le solde du PLF.

            Lorsqu’un Premier ministre « rabote » ses propres arbitrages, la pratique est regrettable pour ses ministres et en dit long sur son incapacité à jouir d’une vision d’ensemble de l’impact budgétaire de ses choix et à prioriser. Elle s’apparente toutefois à un acte préparatoire interne au Gouvernement, symptomatique d’un mauvais fonctionnement mais à l’impact limité.

            Lorsque ce rabot est réalisé pendant la procédure parlementaire, il reste soumis au vote, même s’il s’opère avec une certaine opacité, dans le cadre des amendements de coordination en fin de procédure.

            En revanche, les coups de rabot pratiqués en cours de gestion, après le vote des crédits, sont beaucoup plus critiquables en ce qu’ils sont par essence anti-démocratiques et organisent la paralysie des services publics. Ils se sont pourtant systématisés au travers de la mise en place d’une réserve de précaution.

Une pratique insincère en dehors de tout contrôle parlementaire

            Chaque début d’année, 0,5% des crédits de masse salariale ainsi qu’entre 3 et 8% des autres crédits sont bloqués dans tous les ministères afin de constituer une réserve de précaution[9] Si le premier taux est stable depuis la mise en place de la LOLF en 2002, le second n’a cessé d’augmenter jusqu’à récemment (cf. infra).. Ces crédits sont indisponibles pour les ministères dans le système d’information de dépense de l’État (Chorus). Cette mise en réserve est appelée « gel » de crédits ; elle sert de variable d’ajustement pour piloter l’exécution budgétaire.

            Le principal problème réside dans ce que, à tout moment, le Gouvernement peut décider d’annuler ces crédits en prenant un décret après une simple consultation des commissions des finances des assemblées[10] Cette pratique repose sur l’article 14 de la LOLF : « Afin de prévenir une détérioration de l’équilibre budgétaire défini par la dernière loi de finances afférente à … Continue reading.

            Alors que pendant trois mois les ministres défilent devant le Parlement pour justifier le vote de leurs crédits, que les documents budgétaires évoquent une « justification au premier euro », plusieurs milliards peuvent donc être annulés sans autre formalisme que cette consultation. A ce titre, 10 milliards d’euros ont été gelés en 2016 et 2017, hors reports.

            Quelle confiance accorder à un ministre qui, lors de la présentation de son budget, souligne avec force l’augmentation de ses crédits d’investissements et de fonctionnement de 2%, si, à peine voté, son budget est stérilisé à hauteur de 8%, voire que cette stérilisation passe de 6% à 8% comme en 2016, consommant ainsi totalement la progression obtenue ? Le budget participe alors puissamment à cet exercice d’affichage qui, trop souvent, tient lieu d’action politique. La mise en réserve décrédibilise la parole politique et produit un effet anti-démocratique, notamment parce qu’elle se joue très largement en dehors de tout processus parlementaire.

            Pis, le taux de mise en réserve est défini sans concertation avec le Parlement ; c’est à peine si, depuis 2005, le Gouvernement doit l’informer du « taux de mise en réserve prévu pour les crédits ouverts sur le titre des dépenses de personnel et celui prévu pour les crédits ouverts sur les autres titres » [11] En application de l’article 51-4 bis la LOLF modifiée. Le Gouvernement s’y conforme généralement dans son rapport de présentation du PLF.

            La seule limite posée concerne les annulations finales, lesquelles ne peuvent dépasser 1,5% des crédits ouverts par les lois de finances afférentes à l’année en cours[12] En application de l’article 14 précité.. Si l’on considère les plus de 380 milliards d’euros du budget de l‘Etat, cela ouvre la possibilité à plusieurs milliards d’annulations potentielles.

            Au demeurant, dans la mesure où il n’existe pas de limite temporelle à la mise en réserve, des crédits votés peuvent demeurer gelés, sans être annulés, pendant tout l’exercice budgétaire. Lors de la clôture des comptes, ils seront constatés comme non consommés, et pour cause…

            En réaction, instaurer une règle de dégel automatique de tous les crédits non annulés, au moment du collectif budgétaire de fin d’année, permettrait au Parlement de voter en décembre une loi de finances rectificatives plus sincère quant à la réalité de l’exécution budgétaire attendue [Proposition n°5].

            Mais la situation peut se révéler pire encore puisque, ces dernières années, sont apparues les pratiques de « surgel » et de gel des crédits reportés.

            En effet, la pratique d’un gel complémentaire, le « surgel », a par exemple eu cours en 2016 ou 2017. Les services des administrations doivent alors rendre des crédits sur lesquels ils pensaient pouvoir compter, même en ayant anticipé le gel.

            De la même façon, ces deux dernières années, s’est développée la pratique du gel des reports de crédits, ces crédits non consommés l’année de leur ouverture et qui, selon l’esprit de la LOLF, devaient être rendus disponibles l’exercice suivant.

            Un arrêté a ainsi été pris pour reporter, par exemple, les crédits 2016 non consommés sur 2017, afin d’éviter, en fin d’année, les phénomènes de surconsommation des crédits qui seraient perdus s’ils n’étaient pas dépensés. Désormais, le ministère du budget prend les arrêtés de report, puis rend instantanément indisponibles les ressources libérées, vidant totalement de son sens le mécanisme des reports.

            Tout ceci se pratique sur simple information du Parlement[13] En application de l’article 14 III de la LOLF : « Tout acte, quelle qu’en soit la nature, ayant pour objet ou pour effet de rendre des crédits indisponibles, est communiqué aux … Continue reading, (article 14 III de la LOLF). De surcroît, le contrôle de constitutionnalité, s’agissant d’actes réglementaires, ne peut être sollicité, même s’il s’agit pourtant de mesures remettant en cause l’autorisation parlementaire et la sincérité des lois d finances. A titre d’exemple, en 2016, l’opposition avait tenté un recours auprès du Conseil d’État en attaquant, en vain, un décret d’avance pour absence d’urgence.

            Il existe là peut-être une piste pour limiter la régulation budgétaire, même si la loi organique donne de toute façon une grande latitude au Gouvernement. Là encore, qu’il s’agisse du Conseil d’État, quand des actes règlementaires sont en cause, ou de la Cour des comptes qui serait peut-être plus à même de contrôler la matière budgétaire, en lien avec le Parlement, autorité de contrôle politique, il apparaît nécessaire que le Gouvernement ne dispose pas d’un pouvoir sans bornes dans sa gestion budgétaire [Proposition n°6]. La révision constitutionnelle pourrait être l’occasion de poser ces questions si l’on souhaite réellement restaurer le Parlement dans une fonction de contrôle efficace.

Une gestion administrative rendue incohérente

            Dans la mesure où cette mise en réserve est effectuée avant même la mise en place des crédits dans les administrations, ces dernières en tiennent compte dans la programmation annuelle des moyens.

            Si les crédits gelés ne sont pas dégelés, elles devront tout de même conduire leur action, même si beaucoup d’entre elles attendent avec angoisse l’automne pour savoir si elles pourront compter sur un dégel et faire face à leurs éventuelles impasses de gestion.

            Cette incertitude sur l’hypothétique disponibilité d’un complément de crédits n’aide pas à gérer correctement les crédits. Ce constat est accru lorsque des crédits sont dégelés et doivent être dépensés en moins de deux mois sous peine d’être annulés. La gabegie est alors encouragée.

            De la même manière qu’existe l’insécurité juridique, les administrations conduisent leur action publique dans une véritable insécurité budgétaire. Des expédients budgétaires, des « astuces de garçon de bains » pour reprendre l’expression lâchée un jour par un ancien directeur du Budget, sont alors mises en place : on bloque la machine à dépenser pour qu’elle tourne moins vite, soit moins efficace, sans prise en compte des effets que cela aura sur les services publics alors touchés.

            Confrontés aux résultats de ce qui procède d’arbitrages politiques, les responsables politiques ou les ministères mettent trop souvent en accusation les services du budget qui organisent ces mesures (« Bercy »). Pourtant, ces derniers se contentent de traduire une injonction contradictoire des décideurs politiques qui souhaitent tenir une trajectoire budgétaire sans prendre les décisions qui le permettent. Les techniciens de Bercy occupent alors le vide créé par l’irrésolution ou le manque de courage politique.

Le « nouveau monde » dans les faits : quelle régulation budgétaire pour Gouvernement Philippe ?

            Pour déterminer si le nouvel exécutif rompt avec les pratiques délétères précédemment décrites, il convient en premier lieu d’examiner les annulations de crédits de juillet (le pendant des ouvertures précédemment évoquées) et l’annonce réalisée dans le PLF concernant le nouveau taux de mise en réserve.

            Un décret du 20 juillet a annulé 275 M€ sur le budget de l’État et un décret du 21 juillet[14] Décrets 2017-1182 et 2017-1182., dit décret d’avance, a annulé et ouvert en même temps 3.042 M€. Ils ont fait suite à l’audit de la Cour des comptes sur la situation des finances publiques réalisé à la demande du Premier ministre.

            Il faut en premier lieu considérer que les annulations de crédit ont majoritairement porté sur la réserve de précaution décidée par l’ancien Gouvernement. Elles concernent donc des crédits non disponibles pour les services, même si leur dégel aurait été bénéfique, notamment au regard du taux de gel de 8% appliqué en 2017. Néanmoins, les administrations avaient programmé leur gestion en tenant compte de cette situation.

            On notera toutefois que des masses budgétaires conséquentes ont été annulées (en crédits de paiement[15] Les crédits de paiement (CP)sont les limites supérieures des dépenses pouvant être payées pendant l’exercice, quand les autorisations d’engagement (AE) sont le plafond des dépenses … Continue reading), au-delà de la réserve de précaution :

  • 37 M€ sur le programme « Sécurité civile », prévus pour l’achat d’un avion multi-rôles ;
  • 76 M€ sur le programme « Urbanisme, territoires et amélioration de l’habitat » ;
  • 17 M€ sur le programme « Impulsion et coordination de la politique d’aménagement du territoire » ;
  • 29 M€ sur le programme « Politique de la ville » ;
  • 10 M€ en CP sur le programme « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins » ;
  • 34 M€ en CP sur le programme « Conduite et soutien des politiques sanitaires, sociales, du sport, de la jeunesse et de la vie associative » ;
  • 36 M€ sur le programme « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture ».

            On constate ainsi que le ministère de la Cohésion des territoires et celui des Affaires sociales et de la santé sont particulièrement pénalisés, de même que le ministère de la Culture. Cependant, la situation aurait pu être plus grave encore si les opérations extérieures (643 M€) n’avaient été autofinancées par le budget de la Défense.

            Sur ce dernier point, il paraît difficile d’adhérer à la position du nouveau chef d’état-major des armées, François Lecointre, nommé après la démission du général Pierre de Villiers, lorsqu’il indique : « le principe d’un collectif budgétaire qui prévoit une solidarité interministérielle sur l’engagement des armées est extrêmement important. La mise à contribution des armées, qui financent cette année l’intégralité du surcoût des OPEX du fait des fameux 850 millions d’euros coupés par Bercy, doit donc rester une exception[16] Lors d’une intervention à l’occasion des universités de la Défense, le 5 septembre dernier à Toulon. ».

            En effet, pourquoi l’ensemble des ministères financeraient-ils plus les OPEX, que la politique de l’emploi ? Pourquoi la Défense ne financerait-elle pas ses OPEX ? Parce qu’elles n’ont pas été correctement budgétées et que cela oblige à des redéploiements douloureux au détriment des matériels ? La réponse se situe alors dans une meilleure budgétisation des OPEX et non dans la pratique traditionnellement utilisée par tous les Gouvernements de taxation des ministères.

            A cet égard, l’idée d’une réserve de précaution utilisée comme mécanisme d’auto-assurance, à la condition d’une budgétisation initiale correcte, pourrait s’avérer responsabilisant [Proposition n°7]. Chaque ministère aurait à gérer ses risques et, en cas de défaut, redéployerait ses ressources. Le principe est souvent mis en avant par le ministère du Budget, mais au final peu pratiqué.

            Cependant, l’exaspération de la Défense est fondée lorsque l’on constate que l’annulation s’est élevée à 850 M€ sur le programme 146 « Equipement des forces » et non à 643 M€. Cela signifie que le ministère des Armées a contribué, au-delà de la question des OPEX, à l’équilibre du schéma global d’ouvertures et d’annulations mis en œuvre par les décrets précités. Au moins, l’annulation n’a-t-elle touché que des crédits mis en réserve, contrairement aux autres programmes susmentionnés.

            Certes, le Gouvernement Philippe peut arguer du fait qu’il a dû financer des impasses qui ne lui échoient pas. Mais il aurait pu n’annuler que des crédits gelés, d’autant que le gel appliqué était massif, et non aller bien au-delà. Il aurait également pu favoriser l’auto-assurance [17] On rétorquera que le Gouvernement n’aurait peut-être pas été en mesure de financer l’augmentation de capital de New Areva holding SA (1.500 M€), puisqu’il a considéré que les … Continue reading.

            Le recours à une loi de finances rectificative, même limitée, aurait alors eu du sens : lorsque les équilibres de la LFI sont remis en cause de façon significative, il n’est pas anormal de repasser devant le Parlement, choix écarté par le Gouvernement Philippe.

            En définitive, et sur ces points, le Gouvernement Philippe ne rompt pas avec les mauvaises habitudes de ceux qui l’ont précédé.

            S’agissant du PLF 2018, on notera positivement l’ambition affichée : « Pour la gestion 2018, le Gouvernement a décidé de rendre à la réserve de précaution sa vocation première qui est de faire face aux seuls aléas de gestion. En conséquence, si le taux de mise en réserve est maintenu à un niveau égal à 0,5 % des AE et des CP ouverts sur le titre 2 : « Dépenses de personnel », ce taux est ramené à 3 % (contre 8 % en 2017) sur les AE et CP ouverts sur les autres titres en moyenne sur l’ensemble des programmes doté de crédits limitatifs, avec une possibilité de modulation en fonction de la nature des dépenses[18] Exposé des motifs, p. 25. ».

            Peut-on aller plus loin et imaginer qu’une réserve de précaution interministérielle, qui ne ponctionne pas les crédits des ministères, soit votée dans la LFI elle-même ? [Proposition n°8] Et que soient également votées des mises en réserve ministérielles pour auto-assurance avec prédétermination des conséquences des éventuelles annulations ? Les budgets ministériels disposeraient ainsi d’une sorte de tranche ferme et d’une optionnelle en fonction de la qualité de leur gestion.

            Car, si le Parlement est éclairé lors du dépôt du PLF sur la façon dont économies et mesures nouvelles vont influer sur l’action du Gouvernement, il ne dispose d’aucune indication sur les éventuels effets de la régulation budgétaire appliquée après son vote, phénomène aujourd’hui institutionnalisé par la LOLF comme évoqué précédemment.

            Quant à la pratique des reports de crédits gelés, qui n’a aucun fondement et symbolise une régulation budgétaire aux abois, elle n’a plus lieu d’être [Proposition n°9]. Si les crédits non consommés ’ont plus d’objet, ils n’ont pas à être reportés, sinon ils doivent être libres d’emploi. Le nouveau Gouvernement s’honorerait à renoncer à ce type de mesures qui ne servent qu’à handicaper la dépense pour la ralentir, au lieu de réformer les politiques portées par ces dépenses.

            On relèvera encore, cet autre concept, sans aucun fondement juridique, dit du « schéma d’emploi ». Il vise à contraindre les recrutements des ministères à un volume prédéterminé alors même que leurs effectifs sont en deçà du plafond d’emploi et des crédits votés par le Parlement, et qui sont les deux seuls critères reconnus par la LOLF. Il faut donc y mettre un terme [Proposition n°10].

            Mais, pour mettre fin au hiatus entre budget affiché et budget réalisé, encore faudrait-il que le budget réalisé, ou exécuté, fasse effectivement l’objet d’un examen politique, à commencer par un contrôle parlementaire approfondi.

Agir pour une nouvelle politique budgétaire (I) : inverser la priorité politique entre projet de budget et budget exécuté

            La procédure budgétaire parlementaire, et plus largement la communication politique budgétaire, sont aujourd’hui très fortement concentrées sur le projet de budget, et très peu sur l’exécution budgétaire elle-même, c’est-à-dire sur la façon dont les engagements budgétaires pris ont été ou non réalisés. Comme si en politique, seules les intentions comptaient, et non la réalité de ce qui est accompli.

            Pourtant, si l’article 14 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789[19]« Les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et … Continue reading évoque le nécessaire consentement à l’impôt, lequel justifie que la Représentation nationale consacre du temps à l’examen du budget, il mentionne tout autant le fait que « les citoyens ont le droit […] d’en suivre l’emploi ».

            Sur ce point, on pourra comparer les semaines passées par le Parlement sur le projet de budget 2017 cet automne aux quelques jours passés sur le projet de loi de règlement[20] Texte qui arrête le montant définitif des recettes et des dépenses du budget auquel elles se rapportent et le résultat budgétaire qui en découle. en juillet : déposé le 29 juin, le projet de loi de règlement, après un examen devant la seule commission des finances le 12 juillet [21] L’examen d’un projet de loi de règlement ne mobilise généralement que la commission des finances ; il est hélas rare qu’une autre commission s’en saisisse pour avis., est voté en un après-midi le 18 juillet par l’Assemblée nationale, puis de façon conforme le 20 juillet par le Sénat après les questions d’actualité au Gouvernement, soit moins de 3 semaines après le dépôt du projet.

            Les milliers de pages de rapports financiers, de « rapport annuel de performance » (RAP), les 64 « notes d’exécution budgétaire » de la Cour des comptes (les NEB) n’ont pas eu une grande utilité. Le rapporteur général de la commission des finances, Joël Giraud, semblait même submergé par toutes ces informations à examiner en si peu de temps.

            La seule communication politique réalisée concerne le niveau du déficit. La France a-t-elle tenu ses engagements ? Il ne sera rien dit, même si les informations peuvent être trouvées dans la somme des documents susmentionnés, de la pertinence des simulations qui ont appuyé le vote de nouvelles dispositions fiscales, sur la réalisation des investissements militaires attendus, les places de prison réalisées, le nombre de policiers recrutés, le financement des opérations extérieures de la Défense, etc…

            A rebours des entreprises, ou même des collectivités locales, qui consacrent l’essentiel de leur temps budgétaire à analyser leur compte financier ou leur compte administratif, pour examiner ce qui a pu être fait et leur niveau de performance, l’État priorise le budget, comme si sa parole était nécessairement performatrice, sans se préoccuper des actions réellement menées.

            Certes, des progrès ont été réalisés en 2001 avec la LOLF. Le projet de loi de règlement de l’exercice budgétaire n-1 doit être déposé avant le 1er juin de l’année n (article 46), et le PLF ne peut être mis en discussion devant une assemblée avant le vote en première lecture du projet de loi de règlement (article 41) afin que le Parlement puisse être éclairé dans son vote sur le PLF par la dernière exécution budgétaire.

            Mais cela n’empêche pas l’exercice d’être formel, alors même que le pouvoir budgétaire du Parlement est historiquement le premier de ses pouvoirs et que c’est par la loi de règlement (la « loi des Comptes » créée en 1818) qu’il a pour la première fois disposé de l’occasion de porter un jugement sur la politique du Gouvernement.

            En dépit de ces faits têtus, tout le monde veut consacrer plus de place à l’examen de la loi de règlement, les parlementaires comme le Gouvernement qui indique dans son PLF 2018 : « En 2018, le ouvernement s’engage ainsi à rénover les usages pour que ce texte financier soit davantage exploité ». Et M. Darmanin d’indiquer, lors de son audition du 12 juillet : « Nous allons proposer au Premier ministre un changement d’organisation – j’en parlerai aux présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat – afin de passer plus de temps sur la loi de règlement, et peut-être un peu moins sur le budget. […] Les parlementaires doivent pouvoir vérifier, ministère par ministère et secteur par secteur, l’exécution du budget. »

            Toutefois, un simple « changement d’organisation » sera d’une portée limitée pour faire de l’exécution du budget le temps fort des finances publiques. A moins qu’il ne soit l’occasion d’expérimenter une nouvelle procédure, comme le fut le débat d’orientation budgétaire avant d’être inscrit dans la LOLF.

            Dans l’attente, il serait utile, à tout le moins, que chacun des ministres puisse rendre compte devant chaque commission thématique de l’usage qu’il a fait des crédits accordés l’année précédente et, au-delà, rendre compte de l’atteinte, ou pas, des objectifs politiques afférents à ces ressources [Proposition n°11].

            De manière plus générale, seule une révision de la loi organique, voire de la Constitution (selon le niveau d’ambition), permettrait de changer de paradigme et de faire de l’examen de la réalité des ressources budgétaires le moment clef du contrôle de l’action du Gouvernement, notamment en redistribuant le temps parlementaire entre examen du PLF et de la loi de règlement [Proposition n°12].

Agir pour une nouvelle politique budgétaire (II) : la réforme de l’action publique, seul chemin pour une maîtrise des finances publiques

            Conduire une politique budgétaire ne revient pas à raboter indistinctement – il n’est d’ailleurs nul besoin d’une classe politique pour cela, un tableur y pourvoit seul – ou à multiplier les procédures budgétaires qui entravent le fonctionnement des services publics, et enfin à rendre compte devant la représentation nationale. Au contraire, il faut aussi réformer les politiques publiques et les administrations qui les portent.

            Longtemps, le ministère du Budget a considéré que si les ministères ne formulaient pas de propositions d’économies, malgré les injonctions du Gouvernement, il suffisait de restreindre leurs ressources et qu’ils finiraient par se réorganiser, s’autoréguler pour adapter leur activité et leur façon de travailler à leur nouveau niveau de crédits. À l’expérience, cela n’a absolument pas été le cas : mises sous contrainte budgétaire, les administrations ont commencé par :

  • Retarder leurs investissements puis par y renoncer ;
  • Rationner les subventions reversées au titre de leurs politiques d’intervention ;
  • Retarder le paiement de leurs fournisseurs ;
  • Rogner sur les dépenses de fonctionnement courant.

            Au terme de ce processus de paupérisation, il ne restera bientôt plus dans les services publics que des agents publics impuissants, sans aucun moyen pour réaliser leurs missions. D’ailleurs, les exemples de mauvais état du patrimoine publics (les établissements pénitentiaires, les locaux des administrations), de paupérisation des conditions de fonctionnement (les voitures surannées dans la police ou de la gendarmerie), abondent.

            Conscient de cette nécessité de piloter la baisse de la dépense publique par des réformes structurelles, l’Etat a multiplié les initiatives depuis 2007, à commencer par la fameuse « revue générale des politiques publiques » (RGPP).

            Or, un rapport des trois inspections interministérielles (IGA, IGF et IGAS) a démontré que la RGPP a correspondu à une démarche brutale, sans concertation avec les acteurs politiques, les agents publics, les organisations syndicales ou les usagers. La conduite du changement a été défaillante, et l’absence d’accompagnement des réformes par une gestion adaptée des ressources humaines a fortement limité la conduite de réformes de fond.

            En outre, la démarche a recherché des économies budgétaires rapides et a institué la règle du non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux en alpha et oméga de la réforme. Enfin, l’approche a été limitée à l’Etat, sans analyse des politiques partagées avec les collectivités territoriales et les organismes de protection sociale.

            Mais rien n’est venu succéder à la RGPP. Les différentes tentatives conduites entre 2012 et 2017 pour la « modernisation l’action publique » (la « MAP ») n’ont rien donné, en tout cas en matière d’économies budgétaires. Manifestation de cet état de fait, le SGMAP, qui a succédé à la direction générale de la modernisation de l’État (la DGME), a fini par se concentrer sur les questions de simplification. Ses évaluations de politiques publiques n’ont pas débouché sur des réformes d’envergure et ses revues de dépenses ont eu un effet très limité.

            On peut comprendre que l’impact très négatif laissé par la RGPP ait retenu la majorité socialiste sur le chemin des réformes dont la finalité est nécessairement de baisser la dépense publique, même si cela n’est pas incompatible avec une amélioration du service public.

            Au final, après cinq années de « MAP », le 22 mai 2017, le Conseil de l’UE, dans ses recommandations sur le programme de stabilité de la France pour 2017 présenté par le précédent gouvernement, estimait : « La France a suivi une stratégie d’assainissement axée sur les dépenses qui a principalement reposé sur la baisse des taux d’intérêt et sur des coupes dans les investissements publics. Il est peu probable que l’environnement de taux bas perdure à moyen terme, tandis que les coupes dans les investissements productifs pourraient nuire au potentiel économique futur ».

            Cette question de la réforme/transformation des services publics est cruciale, au moment où le gouvernement Philippe s’astreint dans son projet de loi de programmation des finances publiques (LPFP) pour les années 2018 à 2020 (déposé en même temps que le PLF 2018) à d’ambitieux objectifs.

            Dans l’exposé des motifs de ce projet de loi, il postule : « [La LPFP] favorisera l’activité économique et permettra une transformation de l’action publique en prévoyant une baisse de plus de trois points de PIB de la dépense publique à horizon 2022 et une diminution d’un point du taux de prélèvements obligatoires. A terme, cette trajectoire de finances publiques doit déboucher sur un infléchissement substantiel de la dette publique. »

            Plusieurs facteurs conduisent à douter de la soutenabilité de ce projet :

  • En premier lieu, dans le PLF 2018, le Gouvernement fait reposer la réalisation de ses objectifs pour l’an prochain sur des économies très concentrées, en particulier sur les aides au logement (mission Cohésion des territoires, – 1,7 Md€ entre 2017 et 2018) et sur les contrats aidés (mission Travail emploi – 1,5 Md€ entre 2017 et 2018). Que des mouvements sociaux viennent à mettre en péril ces deux mesures et c’est tout l’équilibre du PLF 2018 qui sera remis en cause. Ou pour le dire comme le HCFP dans son avis sur le PLF 2018 : « des risques significatifs existent sur la réalisation des économies prévues dans le champ des administrations publiques[22] Avis n° HCFP-2017-4, loc. cit., p. 12. ».
  • Au surplus, pour les exercices postérieurs à 2018, la LPFP fixe une trajectoire et s’en remet à l’exercice « Action publique 2022 » lancé par la circulaire du Premier ministre du 28 septembre destinée à nourrir un programme de réforme qui permettrait cette forte baisse des dépenses publiques.

            Mais, sachant que les budgets triennaux sont déjà rarement respectés, on peut s’interroger sur cet horizon de cinq ans. A titre d’exemple, le précédent Gouvernement avait ainsi fait voter le 31 décembre 2012 une loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017, avant de faire voter le 29 décembre 2014 une loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019. Une exécution programmatique raisonnable ne s’étend pas au-delà de trois années [Proposition n°13].

  Les objectifs de finances publiques prédéfinis ne sont aucunement documentés et tout reste à faire pour construire les services publics qui vont correspondre au cadrage budgétaire. Appréhender le sujet de la réforme selon cette logique est discutable, même si le souci de l’efficacité peut assurément être évoqué pour justifier cet ordre des facteurs. Mais en se fixant ainsi une obligation de résultats, sans cadrage politique préétabli autre que budgétaire, il risque d’être dépassé par l’ampleur des missions à abandonner, des restructurations administratives à faire.

  • En outre, on s’étonnera de ce que les gains des réformes, qui n’existent pas encore, soient déjà engrangés dans la trajectoire de la LPFP, alors que la RGPP a montré que les gains associés aux réformes, quand ils existent, mettent plusieurs années à se concrétiser, et qu’à vouloir les capitaliser trop vite la réforme peut échouer. Les risques de sous-budgétisation sont importants.
  • Quant à la dimension « ressources humaines » du sujet, indiquer que 120.000 postes de fonctionnaires vont être supprimés sur les 500.000 départs attendus pendant le quinquennat, sans donner aucun sens à ces suppressions d’emplois, n’est certainement pas la meilleure façon de s’assurer de la parfaite implication des agents publics, alors même que sans leur adhésion aucune réforme ne peut s’accomplir pleinement.

            L’objectif quantitatif peut d’ailleurs être discuté. Il est souvent mis en avant qu’avec un taux de 22% d’emplois publics la France est le pays, après la Finlande, où l’emploi public est le plus présent parmi les Etats développés. Mais, appréhender ainsi la question des réformes revient hélas à réduire les agents publics à des facteurs de coût. Dans cette configuration, les moyens deviennent une fin. La question n’est pas de savoir si le service public est efficient (recherche de la satisfaction des usagers au meilleur coût), mais comment réduire de trois points la dépense publique. Pourquoi trois points ? Parce que c’est un objectif équilibré entre réalisme et volontarisme.

            Au demeurant, nul ne se demande pourquoi réduire la dépense publique ? Cela est vécu comme un objectif en soi car elle est – à tort – considérée improductive, génératrice d’une fiscalité qui entrave l’activité économique. Rien n’est dit sur les services publics qui en découlent, leur apport, le modèle de société qu’ils sous-tendent. C’est le triomphe d’une vision totalement libérale des services publics.

            Pour l’aider dans sa démarche, le Gouvernement a souhaité l’instauration d’un comité de revue des missions et des dépenses publiques, le Comité Action publique 2022 (CAP 22)[23] Le Premier ministre a installé « CAP 22 » le 13 octobre. Celui-ci est constitué de 34 membres, issus principalement de la haute fonction publique, du monde politique et économique. Un … Continue reading. Ce dernier est chargé de proposer des pistes de réformes : réorganisations administratives, mais aussi transferts entre collectivités publiques, transfert au secteur privé voire des abandons de mission. Le secrétariat est assuré par le SGMAP, dont la refonte, tout comme la nomination d’un délégué à la transformation publique, parfois évoquées, ne sont pas ici confirmées.

            L’économiste Philippe Aghion, nommé parmi les personnalités du « Comité d’action publique 22 », résume le mieux l’approche du Gouvernement : « l’enjeu central, c’est que l’Etat dépense mieux et moins, afin de mettre plus de ressources sur les secteurs porteurs d’emploi et de croissance durable, tout en limitant la pression fiscale[24]« L’exécutif lance le chantier de la réforme de l’Etat », Le Monde, 14 septembre 2017. ».

            « CAP 22 » devra remettre sa copie au Président de la République et au Premier ministre fin mars 2018. Ce suivi de la réforme de l’État au plus haut niveau est nécessaire pour faire avancer le sujet, mais n’est pas nouveau et ne garantit pas le succès. La RGPP était déjà directement pilotée par l’Élysée et les décisions prises par le cabinet du Président, souvent contre la volonté des ministres, n’ont pas toujours été assumées par ceux-ci. Le développement depuis 2007 d’une structuration plus forte des ministères en matière de modernisation devrait néanmoins aider à alimenter les propositions des ministres.

            Plus originale est la mise en place d’un fonds dédié de 700 M€ sur cinq ans pour financer les projets de réforme via des appels à projet. On peut toutefois craindre que ce montant soit insuffisant pour l’ensemble du champ de transformation concerné, étant entendu que le Président de la République a déjà affirmé sa volonté d’offrir aux Français 100% de services dématérialisés d’ici 2022. De surcroît, l’articulation entre l’action du ministre de l’Action et des Comptes publics et celui du Numérique pour l’utilisation de ce fonds comme pour les projets de transformation eux-mêmes reste à préciser.

            Un projet de plan de transformation pour chaque ministère sera arbitré et présenté en conseil des ministres d’ici l’été 2018. Il s’agit là d’un délai très volontariste pour identifier des mesures d’économies susceptibles de faire baisser les dépenses de 1 % par an en volume à partir de 2020 (contre +0,6 % en 2018 et –0,4 % en 2019).

            Ce grand chantier de réforme, ou de transformation, sera à suivre attentivement, même si en faisant voter une LPFP pour 2018 à 2022 le Gouvernement se donne pour l’instant une obligation de résultat. En effet, par le passé, d’autres gouvernements ont pu expliquer combien la survenance de puissants facteurs exogènes ont conduit, contre leur gré, à réviser les ambitions initiales.

            L’art de la réforme est avant tout un art de la manœuvre. Pour réussir les ministres, leurs directeurs d’administration centrale et tout le management de celles-ci, devront être pleinement engagés dans ce processus d’économies, ce qui n’est pas nécessairement naturel.

Synthèse des propositions pour une nouvelle politique budgétaire

Proposition n°1 : Retenir les hypothèses basses de croissance pour bâtir un budget.

Proposition n°2 : Promouvoir dans le débat politique et médiatique la notion de solde structurel afin d’isoler la part de l’action gouvernementale dans l’évolution des finances publiques.

Proposition n°3 : Appuyer le Parlement par l’expertise de la Cour des Comptes pour lui permettre d’apprécier la soutenabilité de la budgétisation du PLF.

Proposition n°4 : Doter le Parlement des moyens juridiques et humains nécessaires pour exercer pleinement sa mission de regard critique et constructif sur le budget présenté par le Gouvernement.

Proposition n°5 : Instaurer une règle de dégel automatique de tous les crédits non annulés, au moment du collectif budgétaire de fin d’année.

Proposition n°6 : Limiter la marge de manœuvre du Gouvernement dans sa régulation budgétaire en permettant notamment le contrôle des actes réglementaires pris dans ce cadre.

Proposition n°7 : Instaurer des réserves de précaution ministérielles utilisées comme mécanisme d’auto-assurance pour chaque ministère.

Proposition n°8 : Envisager une réserve de précaution interministérielle votée dans la LFI qui ne prenne pas dans les crédits des ministères.

Proposition n°9 : Interdire le report de crédits gelés.

Proposition n°10 : Bannir le recours au concept de « schéma d’emploi ».

Proposition n°11 : Créer l’obligation pour les ministres, au moment de la loi de règlement, de rendre compte devant chaque commission parlementaire compétente de l’usage des crédits accordés l’année précédente et, plus généralement, des objectifs politiques afférents à ces ressources.

Proposition n°12 : Réviser la loi organique, voire la Constitution pour instituer l’examen de la réalité de la consommation des ressources budgétaires en moment clef du contrôle de l’action du Gouvernement, et redistribuer le temps parlementaire entre examen du PLF et de la loi de règlement.

Proposition n°13 : Ne pas dépasser la dimension triennale dans la programmation budgétaire.

Notes

1 Car pour une même charge de la dette, l’État peut s’endetter plus.
2 Projets de loi de finances, projets de loi de finances rectificatives…
3 Avis n°2016-3 relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour l’année 2017, 28 septembre 2016, p. 5
4 Avis n° HCFP-2017-4 relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour l’année 2018, 27 septembre 2017, p. 1 
5 La notion vise à neutraliser, entre autres, les effets d’une croissance atone qui induit pourtant une augmentation des dépenses publiques (par exemple celles liées au chômage) et une diminution des recettes (par exemple l’impôt sur les sociétés). Sans la prise en compte de ces variations conjoncturelles, il est donc possible d’évaluer la situation structurelle des finances publiques : un déficit structurel signifie alors qu’il existe une tendance durable à ce que les recettes soient inférieures aux dépenses publiques.
6 Cette pratique repose sur l’article 13 de la Loi organique relative à la loi de Finances (LOLF), lequel indique : « En cas d’urgence, des décrets d’avance pris sur avis du Conseil d’Etat et après avis des commissions de l’Assemblée nationale et du Sénat chargées des finances peuvent ouvrir des crédits supplémentaires sans affecter l’équilibre budgétaire ».
7 A l’exception notable de l‘ouverture de 101 M€ au profit du ministère de l’Agriculture pour financer différentes mesures sanitaires. Il s’agissait principalement de répondre à l’influenza aviaire qui a nécessité la mise en place de mesures d’abattage d’animaux, de nettoyage et de désinfection des exploitations au sein desquelles un foyer s’était déclaré.
8 Avis n° HCFP-2017-4, loc. cit., p. 11.
9 Si le premier taux est stable depuis la mise en place de la LOLF en 2002, le second n’a cessé d’augmenter jusqu’à récemment (cf. infra).
10 Cette pratique repose sur l’article 14 de la LOLF : « Afin de prévenir une détérioration de l’équilibre budgétaire défini par la dernière loi de finances afférente à l’année concernée, un crédit peut être annulé par décret pris sur le rapport du ministre chargé des finances. Un crédit devenu sans objet peut être annulé par un décret pris dans les mêmes conditions. Avant sa publication, tout décret d’annulation est transmis pour information aux commissions de l’Assemblée nationale et du Sénat chargées des finances et aux autres commissions concernées ».
11 En application de l’article 51-4 bis la LOLF modifiée. Le Gouvernement s’y conforme généralement dans son rapport de présentation du PLF
12 En application de l’article 14 précité.
13 En application de l’article 14 III de la LOLF : « Tout acte, quelle qu’en soit la nature, ayant pour objet ou pour effet de rendre des crédits indisponibles, est communiqué aux commissions de l’Assemblée nationale et du Sénat chargées des finances ».
14 Décrets 2017-1182 et 2017-1182.
15 Les crédits de paiement (CP)sont les limites supérieures des dépenses pouvant être payées pendant l’exercice, quand les autorisations d’engagement (AE) sont le plafond des dépenses pouvant être engagées sur l’exercice, les paiements pouvant donner lieu à des paiements sur un ou plusieurs exercices (ex. en matière immobilière).
16 Lors d’une intervention à l’occasion des universités de la Défense, le 5 septembre dernier à Toulon.
17 On rétorquera que le Gouvernement n’aurait peut-être pas été en mesure de financer l’augmentation de capital de New Areva holding SA (1.500 M€), puisqu’il a considéré que les conditions de marché ne permettaient pas de procéder à des cessions de participations qui auraient apporté les ressources nécessaires pour cette recapitalisation. Pourtant, il aurait pu gager l’ouverture au profit d’Areva par la vente de participations détenues dans Engie dans la mesure où il a vendu, début septembre, 4,5 % du capital d’Engie, récupérant ainsi 1,53 milliard d’euros, soit exactement le montant recherché deux mois auparavant.
18 Exposé des motifs, p. 25.
19 « Les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée. »
20 Texte qui arrête le montant définitif des recettes et des dépenses du budget auquel elles se rapportent et le résultat budgétaire qui en découle.
21 L’examen d’un projet de loi de règlement ne mobilise généralement que la commission des finances ; il est hélas rare qu’une autre commission s’en saisisse pour avis.
22 Avis n° HCFP-2017-4, loc. cit., p. 12.
23 Le Premier ministre a installé « CAP 22 » le 13 octobre. Celui-ci est constitué de 34 membres, issus principalement de la haute fonction publique, du monde politique et économique. Un « triumvirat », pour reprendre l’expression du Premier ministre, en pilotera les travaux : Frédéric Mion, directeur de Sciences Po Paris, Ross McInnes, président du conseil l’administration de Safran, et Véronique Bédague-Hamilius, l’actuelle secrétaire générale de Nexity et ancienne directrice de cabinet de Manuel Valls à Matignon.
24 « L’exécutif lance le chantier de la réforme de l’Etat », Le Monde, 14 septembre 2017.