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Projet de loi de Finances 2020 : l’introuvable acte 2 du Gouvernement [Tribune #32]

Chef du pôle Économie de L’Hétairie Secrétaire national du Parti socialiste.

Rendez-vous majeur de l’actualité politique, la présentation du projet de loi de finances (PLF) signe l’orientation de la politique menée par un Gouvernement pour l’année à venir. En ce qu’il dévoile les arbitrages budgétaires réalisés par l’exécutif, le document marque les priorités politiques.

En ce sens, le PLF 2020 s’inscrit dans la même veine que ses devanciers depuis l’élection d’Emmanuel Macron : il illustre la poursuite d’une politique économique néolibérale qui creuse les inégalités sociales et remet en cause le modèle social hérité du Conseil national de la Résistance, pourtant objet d’un consensus républicain transpartisan.

Ce PLF n’incarne non pas un quelconque acte 2 du quinquennat, mais bien la poursuite – et même l’aggravation – de la politique menée par Emmanuel Macron et Édouard Philippe depuis 2017.

Des cadeaux fiscaux à quelques-uns

Si la suppression de quelques taxes à faible rendement va dans le sens d’une plus grande lisibilité de notre système fiscal, elle ne remplace toutefois pas une grande réforme fiscale qui semblait pourtant s’imposer depuis la crise des « gilets jaunes ». Celle-ci permettrait d’améliorer à la fois le consentement à l’impôt et la justice fiscale, encore mise à mal par les mesures incluses dans ce PLF.

Sur le plan de la simplification administrative, il est cocasse que le Gouvernement actuel se félicite de la réussite – incontestable – du prélèvement à la source, mesure approuvée sous le quinquennat précédent qu’il a lui-même reportée d’un an avant d’envisager très sérieusement d’y surseoir. La seule mesure de justice fiscale du quinquennat n’est donc pas le fait de ce Gouvernement.

En effet, nombre d’éléments de communication du Gouvernement ne profiteront en réalité qu’à quelques-uns : 

  • Il en va ainsi de la baisse d’impôts promise aux ménages et estimée à 9 milliards d’euros. Au-delà des effets de communication, rappelons que 21,3 millions de foyers fiscaux n’y sont pas assujettis même s’ils participent à la solidarité nationale (CSG, TVA, prélèvements divers) pour des montants qui représentent une part de leur revenu supérieure à celle de foyers plus aisés. Car les foyers modestes et moyens participent davantage, en proportion de leurs revenus, au financement par l’impôt de la solidarité nationale que les ménages les plus aisés.
  • Un problème analogue se pose avec la suppression progressive de la taxe d’habitation. Car le bénéfice en sera d’autant plus grand que le foyer concerné bénéficie d’un revenu confortable. En effet, si cette mesure n’a évidemment aucun impact sur les 5 millions de foyers aux revenus modestes et qui par conséquent ne s’en acquittent pas, elle rapportera en revanche plus de 1.000€ aux 20 % de foyers les plus aisés, soit deux fois plus que pour les 80% restants.

En définitive, les allègements consentis enrichissent les plus aisés des contribuables sans apporter un quelconque bénéfice aux plus modestes d’entre eux. Pire encore,

  • la revalorisation des prestations sociales, comme le RSA ou la prime d’activité, se limite à 0,3 % l’an prochain, alors même que l’inflation atteindra 1%. Cela signifie une perte nette de pouvoir d’achat pour des ménages modestes.
  • De même, les promesses fiscales du Gouvernement sont financées par les citoyens les moins aisés, puisqu’elles reposent en partie sur la diminution des aides au logement (pour 1 milliard d’euros) et par la baisse globale des allocations chômage induites par la réforme récente de l’assurance chômage.

Alors qu’un comité d’évaluation confirmait très récemment que la suppression de l’ISF et son remplacement par un IFI très modeste a coûté près de 3 milliards d’euros aux caisses de l’État, ce projet de loi de Finances 2020 prend aux pauvres pour donner aux riches !


Travail et pouvoir d’achat : le compte n’y est pas

Le PLF pour 2020 prétend également « encourager le travail », reprenant ainsi l’antienne éculée de la droite libérale et conservatrice selon laquelle le chômage de masse tient au comportement des chômeurs, toujours suspectés de ne pas réellement vouloir travailler ou d’avoir un intérêt financier à préférer le chômage au travail. Pourtant, aucune étude sérieuse n’est en mesure de le démontrer.

Et, hormis sur le plan statistique, il semble peu probable que la récente réforme de l’Assurance chômage, qui doit entrer en vigueur à partir du 1er novembre 2019 – et le 1er avril 2020 pour les règles d’indemnisation – change la donne sur le front de l’emploi :

  • Son unique objectif consiste à réaliser des économies budgétaires en privant de nombreux demandeurs d’emplois de la possibilité d’ouvrir des droits – environ 700.000 personnes concernées dès la première année d’après les évaluations menées par l’Unedic.
  • De nombreux autres demandeurs d’emploi seront eux privés d’une partie de l’indemnisation à laquelle ils auraient eu droit selon la convention actuelle, soit en en réduisant la durée, soit en en réduisant le montant après l’entrée en vigueur des nouvelles règles de calcul. Plus 850.000 chômeurs par an pourraient souffrir de ces mesures.
  • Pour les cadres, la réforme introduit même une dégressivité des allocations dont toutes les études économiques démontrent qu’elle est inefficace. Rappelons que les allocations chômage ne sont aucunement le produit d’une aide sociale mais d’une assurance, un salaire différé provenant des cotisations versées par les employeurs et les salariés contre le risque professionnel de la perte d’emploi.

Faute de politique volontariste de lutte contre le chômage, le Gouvernement résume sa politique de l’emploi au recyclage de la mesure sarkozyste de l’exonération des heures supplémentaires, ici renforcée puisqu’elle porte à la fois sur les cotisations sociales et sur l’imposition sur le revenu. Cette mesure est pourtant néfaste dans une période de chômage élevé et de croissance économique faible, en ce sens qu’elle ne permet pas de répartir la charge de travail globale sur un nombre plus élevé de travailleurs.

Au-delà du problème du chômage, la question de la capacité du travail à faire vivre ceux qui l’exercent se pose avec une acuité renforcée depuis la crise des « gilets jaunes ». Pour répondre à cette crise du pouvoir d’achat, le Gouvernement n’a usé que de deux leviers annoncées par le président de la République le 10 décembre 2018 :

  • Le premier consiste en une hausse de la prime pour l’emploi, dispositif social qui ne saurait se confondre avec une hausse des salaires. Bien au contraire, s’agissant d’un salaire différé provenant des cotisations versées par les salariés, ces derniers subventionnent en réalité leur propre accompagnement et sont perdants sur le long terme.
  • Par ailleurs, le Gouvernement entend reconduire le dispositif d’exonération totale de cotisations et d’impôts en cas de versement par l’entreprise d’une prime exceptionnelle pouvant aller jusqu’à 1.000 € pour les salariés percevant un salaire brut mensuel inférieur à 3 SMIC. Or, la réduction des mesures en faveur du pouvoir d’achat à des dispositifs incitatifs est politiquement problématique : elle fait du partage de la valeur ajoutée une option facultative ! Il aurait été à ce titre plus efficace d’introduire dans la loi des dispositions réglementaires permettant de réorienter une partie des dividendes colossaux versés aux actionnaires vers les salariés.

De fait, l’exécutif fait montre d’une indéniable constance dans la politique d’inspiration néo-libérale menée depuis l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République. Contrairement aux annonces opérées cet été, ce PLF n’amorce aucun virage dans la conduite de la Nation. S’acharnant à écorner plus encore le modèle social hérité de la Libération, objet d’un consensus républicain depuis près de 75 ans, le pouvoir en place prépare un avenir incertain, dans lequel tous nos repères de solidarité et de fraternité auront cédé.