La « Stratégie logement » du gouvernement Philippe : vers un choc de l’offre… à deux vitesses [Note #5]
« Choc de l’offre », simplification des normes, rénovation énergétique : telles étaient les lignes directrices de la campagne d’Emmanuel Macron pour améliorer la situation du logement en France[1] Programme d’Emmanuel Macron pour l’élection présidentielle de 2017 .
Depuis l’élection présidentielle, et en conformité avec ces orientations, le traditionnel objectif de constructions annuelles (promesse électorale souvent intenable et toujours déçue) a été délaissé au profit d’engagements ciblés :
- la rénovation d’un million de logements mal isolés en 2022 ;
- la construction de plus de 80 000 logements pour les jeunes ;
- ou encore une accélération des constructions dans les zones tendues[2]Les zones tendues sont définies, par la loi, comme les zones d’urbanisation continue de plus de 50 000 habitants où il existe un déséquilibre marqué entre l’offre et la demande de … Continue reading.
En somme, l’objectif du Gouvernement consiste à « construire plus, mieux, et moins cher[3]Audition de Jacques Mézard, ministre de la Cohésion des territoires, commission des affaires économiques du Sénat, le 21 novembre ». Et, de fait, il est indéniable qu’un choc de l’offre constitue un préalable nécessaire à une politique du logement protectrice et efficace, à un accès au logement décent pour les plus pauvres et à une transition écologique qui, à peine naissante, ne croît pas assez vite. Cette ambition de construire et de rénover est aussi indispensable pour que les ménages français quittent le podium des Européens qui consacrent en moyenne la plus grande part de leur budget aux dépenses de logement ; il s’agit pourtant d’une véritable gageure tant cette part de budget est en hausse dans notre pays[4]D’après une étude d’Eurostat de 2016, les Français consacrent en moyenne 26,4 % de leurs dépenses au logement. Celles-ci ont augmenté de 2,3 % sur les dix dernières années..
Néanmoins pareil préalable ne saurait résumer à lui seul une politique du logement. Car les problématiques d’accès au logement pour les plus faibles, de mobilité dans le parc social, des impacts structurels du marché immobilier sur l’emploi et les bassins de vie, ou encore de la revitalisation attendue des centres-villes, et plus généralement du cadre de vie… doivent s’y adjoindre afin de pouvoir revendiquer l’existence d’une véritable politique publique.
Pour porter son ambition, le Gouvernement a promu une « Stratégie logement[5]Stratégie logement du Gouvernement » destinée à orchestrer ce choc de l’offre et, en même temps, à améliorer l’efficacité d’une politique publique dont les résultats, et notamment la persistance de 4 millions de mal-logés[6]22e rapport de la Fondation Abbé Pierre sur l’Etat du mal-logement en France , ne sont pas dignes des 40 milliards d’euros qui y sont consacrés.
Cependant, loin d’une démarche unitaire, cet objet de communication masque une réalité éclatée dans diverses dispositions législatives, règlementaires, budgétaires et fiscales. En effet, si la majorité des mesures de cette stratégie seront introduites dans un projet de loi ad hoc dont la discussion parlementaire semble prévue pour le début de l’année 2018, ses prémices se donnent néanmoins à lire dans le projet de loi de finances pour 2018 (PLF 2018).
Or c’est précisément parce qu’on ne peut que souscrire aux objectifs de « choc de l’offre » (sous réserve qu’il s’agisse seulement de la première étape d’un processus plus complet), que les premières mesures portées par le Gouvernement Philippe font naître une incompréhension troublante voire, chez certains, le sentiment d’une tromperie coupable.
De ce point de vue, le PLF 2018, notamment son article 52[7] Projet de loi de finances pour 2018 dans sa version initiale , laissent poindre une réalité dont les objectifs cachés semblent bien éloignés des perspectives initiales.
Un effort fiscal concentré dans les zones urbaines
Il convient en premier lieu de souligner que le PLF 2018 contient plusieurs mesures relatives au logement dont on peut se satisfaire puisqu’elles reconduisent des dispositifs propices à l’accélération de l’effort de construction :
- Ainsi, l’article 40 envisage-t-il la prolongation pour quatre ans du prêt à taux zéro (PTZ), accordé sous conditions de ressources aux ménages afin de les aider à l’achat de leur première résidence principale.
- De même, le dispositif « Pinel » de soutien à l’investissement locatif (qui permet aux acheteurs d’un logement neuf de bénéficier d’une réduction d’impôt sur le revenu s’ils louent le bien sous conditions de loyers plafonnés) est lui aussi prolongé pour quatre ans selon les dispositions de l’article 39 du PLF 2018.
Pour autant, la prolongation de ces incitations fiscales s’accompagne d’une drastique réduction de leur périmètre :
- Le « Pinel » et le PTZ pour l’achat d’un logement neuf sont recentrés sur les zones tendues A, A bis et B1[8]Le zonage A/ B/ C caractérise la tension du marché du logement en découpant le territoire en cinq zones, de la plus tendue à la plus détendue. Les zones A, A bis et B1 sont les zones les plus … Continue reading,
- tandis que le PTZ pour l’achat d’un logement ancien est reconfiguré afin de soutenir la seule revitalisation des secteurs détendus (B2 et C).
Certes, le ciblage de ces dispositifs d’incitation fiscale est un sujet régulièrement posé : la concentration de l’effort budgétaire sur les secteurs qui en ont le plus besoin doit être vecteur d’efficacité.
Toutefois, l’inéligibilité totale des zones rurales au bénéfice du « Pinel » et du PTZ s’avère très problématique et s’inscrit dans une tendance de fond visant à concentrer les efforts sur les territoires métropolitains.
En effet, le Gouvernement semble faire fi du fait que 60 % des PTZ dans l’immobilier neuf bénéficient à des familles vivant dans ces zones périurbaines et rurales où les revenus sont inférieurs à la moyenne et où l’effet de levier du PTZ revêt alors toute son importance.
Et à choisir entre les doléances des maires ruraux et la grogne des industriels du bâtiment[9]Communiqué de presse de la Fédération française du Bâtiment, « Plan logement : de sérieuses avancées mais de dangereux oublis », 20 septembre 2017 , Edouard Philippe a préféré concéder à ces derniers un maintien du PTZ dans le neuf dans les zones détendues (B2 et C) jusqu’en 2019 avec une quotité de prêt inférieure à la quotité actuelle[10]Article 10 quater du PLF 2018 dans sa version adoptée par l’Assemblée nationale en 1ère lecture . Malgré ce compromis, la restriction du PTZ aux logements neufs appliquée aux zones rurales freinera considérablement les foyers les plus modestes dans leur perspective d’accession à la propriété.
Cette ambition de circonscrire le choc de l’offre aux seules zones tendues se confirme dans le cadre de l’examen en première lecture du second projet de loi de finances rectificative pour 2017 : les députés ont adopté un amendement du Gouvernement visant à instaurer un abattement exceptionnel de 70 % sur les plus-values résultant des cessions de terrains à bâtir dans les zones A et A bis[11]Article 16 ter du projet de loi de finances rectificative pour 2017 dans sa version adoptée par l’Assemblée nationale en 1ère lecture .
Loin de favoriser une péréquation, les choix opérés par le gouvernement Philippe vont donc exacerber des inégalités territoriales et économiques au profit d’une France urbaine, la seule qui retienne l’attention de la nouvelle majorité.
Le logement social, première victime du choc de l’offre ?
L’impact négatif de ces dispositions fiscales a toutefois été médiatiquement occulté par l’amputation de l’aide personnalisée au logement (APL) de près de 10 % de son montant, soit une baisse de 1,7 milliard d’euros (dont 1,5 milliard d’euros concernant spécifiquement le parc social). Or, faut-il rappeler que sur les 40 milliards d’euros consacrés par l’Etat à la politique du logement, les APL représentent une enveloppe de 18 milliards d’euros, dont 45 % sont perçus par les locataires du parc social ?
Cette coupe sèche est supposée être compensée par une réduction de loyer de solidarité (RLS), prévue par l’article 52 du PLF, afin de faire peser l’effort sur les bailleurs sociaux et d’assurer une neutralité budgétaire pour les locataires.
Certes, le coût des APL et leur incapacité à régler structurellement la problématique du mal-logement en France dégagent un consensus sur la nécessité de revoir leur mode de calcul et d’attribution. De toute évidence, une révision du barème des APL aurait permis de mieux prendre en compte la réalité des loyers et la composition du foyer familial, ainsi que d’assurer une équité entre les allocataires. A l’inverse, le PLF 2018 aborde ce sujet sérieux par l’angle du rabot budgétaire au détriment d’une réforme structurelle attendue de tous.
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que les APL ont été impactées par les ajustements budgétaires de Bercy en cette fin d’année 2017 : depuis le 1er octobre 2017, 6,5 millions de ménages avaient déjà subi la baisse de 5 euros de cette aide[12]Arrêté du 28 septembre 2017 relatif aux aides personnelles au logement et au seuil de versement de l’aide personnalisée au logement . De fait, le choix de l’APL pour exercer une succession d’opérations comptables interroge sur les priorités d’économie retenues par le Gouvernement.
En particulier, l’exclusion du secteur privé ne manque pas de surprendre: si la baisse des APL est régulièrement justifiée par leur caractère inflationniste, on rappellera que, dans le logement social, les loyers sont réglementés. La cause d’inflation ne se situe donc pas dans ce dernier domaine… Et alors que, le 5 septembre dernier, le Président de la République a appelé « tous les propriétaires à baisser les loyers de 5 euros par mois », force est de constater que les seuls bailleurs faisant l’objet d’une baisse arbitraire d’APL sont ceux qui s’adressent aux plus faibles.
Indubitablement, personne ne nie l’amélioration de la trésorerie des bailleurs sociaux. Plusieurs facteurs l’expliquent, notamment le taux bas du livret A et la maturité à laquelle est arrivé le secteur. Pourtant, la situation est loin d’être homogène, ce dont attestent les dispositifs de péréquation ainsi que l’existence d’une caisse de garantie commune[13] Caisse de Garantie du Logement Locatif Social, établissement public de l’Etat chargé de garantir les prêts accordés par la Caisse des Dépôts et de prévenir les difficultés financières des … Continue reading.
Certains s’accommodent, voire se félicitent d’un rabot budgétaire, le secteur du logement social payant selon eux son incapacité à l’introspection et aux évolutions attendues par les pouvoirs publics et les locataires. Toujours est-il que, parmi les 750 organismes de logement social, plus de cent se trouveront demain en difficulté. La trésorerie apparemment abondante des organismes (estimée à 11 milliards d’euros en 2014) ne couvre en réalité que quelques mois de loyers et charges[14]Xerfi, « L’immobilier social en France », étude parue le 12 avril 2016 .
Qui plus est, ce ne sont pas tant les effets sur la trésorerie des bailleurs que l’impact de cette mesure sur leur autofinancement et sur le modèle économique du secteur qui interpelle. Car, les organismes HLM se trouveront privés de 75 % de leur capacité d’investissement[15] Selon les chiffres de l’USH., ce qui freinera les projets de construction et mettra en péril environ 150 000 emplois directs, en particulier dans le secteur de bâtiment[16] Selon les chiffres de la Fédération française du bâtiment.. La Fédération des Offices Publics de l’Habitat (OPH) estime que ce ne sont pas moins de 98 offices sur 256 qui se retrouveront dans une situation d’autofinancement négatif, signifiant une incapacité à générer de l’investissement grâce à l’exploitation du parc de logements existants.
Après d’âpres négociations en parallèle de la discussion parlementaire du projet de loi de finances, le Gouvernement a consenti à un étalement sur trois ans de la baisse des APL en contrepartie d’une hausse du taux de TVA (de 5,5 à 10 %) sur les opérations de constructions et de réhabilitation de logements sociaux. Cette recette supplémentaire de 700 millions d’euros, réduisant d’autant la baisse des APL, est complétée par l’affectation au Fonds national d’aide au logement d’une fraction des cotisations versées par les bailleurs sociaux à la Caisse de garantie du logement locatif social, pour un montant de 850 millions d’euros. Mais, réduisant l’impact à court terme de la baisse des loyers, ce compromis n’a en revanche aucune conséquence sur la réduction des marges de manœuvre d’autofinancement pour les bailleurs.
Que penser de la politique esquissée, si ce n’est un manque cruel de sincérité à défendre le choc de l’offre tout en altérant considérablement les capacités d’investissement des bailleurs sociaux ? Sauf à ce que le but caché de leur affaiblissement soit de les contraindre prochainement à se regrouper pour préserver des marges de manœuvre d’investissement.
Pernicieux dans la méthode, l’objectif caché interpelle : si l’optimisation du nombre de bailleurs permettrait intuitivement de réduire les dépenses de fonctionnement, l’efficacité de la politique du logement ne sortirait pas nécessairement grandie d’un regroupement centralisé des offices au détriment de la prise en compte des réalités du terrain. Mais le prochain volet de la Stratégie Logement, intégré dans le projet de loi ad hoc en 2018, permettra d’y voir plus clair.
Quoi qu’il en soit, en faisant supporter ces économies aux bailleurs qui accueillent le plus grand nombre de ménages modestes, ces derniers pourraient être contraints de revoir leur politique d’attribution.
La méthode du rabot budgétaire à grande ampleur, appliqué à un secteur essentiel à l’accès au logement pour les plus modestes, laisse donc perplexe sur la consistance du « choc de l’offre ». Le logement social joue-t-il toujours son rôle si les bailleurs cessent de louer à ses occupants qui en ont le plus besoin ?
Vers une dénaturation de la politique sociale du logement ?
Au-delà des effets néfastes des décisions prises, la perplexité qui se dégage de la lecture des pistes présentées en matière de logement social laisse place à une véritable crainte de voir la politique sociale du logement dénaturée.
Ainsi, partant du constat que de nombreuses communes n’atteindront pas d’ici 2025 le taux fixé par la loi ALUR[17] Loi pour l’accès au logement et à un urbanisme rénové, dite « ALUR », 24 mars 2014., le Gouvernement a-t-il annoncé, fin août, sa volonté d’assouplir l’obligation de construction de 25% de logements sociaux « afin de ne pas décrédibiliser la loi SRU[18] Loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite « SRU », 13 décembre 2000.». Pour rappel, au 1er janvier 2017, sur les 1 981 communes concernées par les quotas[19] Les obligations de construction de HLM s’appliquent à toutes les communes de plus de 3.500 habitants (1.500 en région parisienne) faisant partie d’une agglomération de plus de 50.000 … Continue reading, il y avait encore 1 218 communes retardataires.
Par ailleurs, il envisage d’inclure, dans le calcul du parc social, les logements intermédiaires[20] Le logement intermédiaire est ouvert aux ménages trop « aisés » pour être éligibles au logement social et qui n’ont pas, pour autant, les moyens de se loger dans le parc privé. … Continue reading. Sont visées en priorité les régions « tendues » comme l’Ile-de-France et Provence-Alpes-Côte-D’azur.
L’association Droit au Logement s’inquiète d’une « falsification de l’objectif de la loi, de l’augmentation des loyers et de la captation du foncier constructible, souvent rare en zone tendue ». Et pour cause, les loyers sont 40 % plus chers dans le parc privé que dans le parc social. Le Gouvernement prétend, sans convaincre, que l’intégration des logements intermédiaires permettra de reloger les ménages actuellement en HLM mais qui dépassent les plafonds de ressources (environ 10% des locataires).
Ce mélange des genres interpelle d’autant plus que 81 % des personnes résidant en France sont éligibles au logement social (chiffres du Commissariat général à l’égalité des territoires), alors que ce dernier ne représente que 19 % du parc de logements à l’échelle nationale. Sous couvert d’une prétendue efficacité, c’est donc à une véritable dénaturation de la politique du logement social que se prépare le gouvernement Philippe.
Enfin, dans la logique de la tendance qui fait des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) les collectivités « chefs de file » en matière de logement social, ces dernières pourraient se voir confier, à la place de l’Etat, la distribution des fonds pour les constructions HLM, le contrôle du respect des obligations légales des communes, ainsi que la sanction des communes carencées.
Ce transfert de compétences à l’échelon intercommunal n’augure rien de bon lorsque l’on met en perspective la composition des EPCI[21] Gouvernés par les maires de communes et leurs adjoints. : majoritairement des élus locaux qui refusent parfois de se conformer aux obligations de constructions de logement social dans leur commune. Le transfert de compétences en matière de logement social vers un échelon plus grand aggravera potentiellement les tendances à l’œuvre, la décision étant prise pour un territoire plus vaste encore.
En 2006, l’abbé Pierre, alors âgé de 93 ans, ne s’y trompait pas, lui qui s’était présenté à l’Assemblée nationale en fauteuil roulant pour y dire sa vive opposition au transfert de ces compétences à l’échelon intercommunal, craignant « une aggravation des risques de ghettoïsation ».
Dans son discours au congrès des maires, le Président de la République a affirmé que la réforme relative au logement pouvait être rendue « plus intelligente et plus efficace », avec une ambition « aussi bien pour la ruralité que justement pour la politique des villes ». Emmanuel Macron a également entendu la proposition du Président du Sénat, Gérard Larcher, d’organiser une conférence de consensus sur le logement, associant les collectivités territoriales et les acteurs du secteur[22]Discours du Président de la République au 100e congrès des maires, 23 novembre 2017 . C’est ainsi qu’elle se tient de manière hebdomadaire depuis sa réunion inaugurale du mardi 12 décembre 2017.
En dépit de ces déclarations et notamment de l’annonce d’un choc de l’offre, force est de constater que le PLF 2018 en réduit surtout le périmètre, au point d’infléchir l’effort fourni pour les zones rurales et de détériorer la situation du logement social en France. Mais si le cap demeure l’augmentation significative du nombre de constructions, et à défaut de réorientation politique majeure, alors ces mesures produiront irrémédiablement des résultats contrastés.
Malgré tout, l’objectif du Président de la République et du Gouvernement est toujours de finaliser un projet de loi déposé au Parlement au premier semestre de l’année prochaine. Si bien que, au regard des orientations prises dans le PLF 2018, l’on se pose encore la question de la stratégie de ce futur projet de loi « Logement » à défaut de pouvoir encore repérer une réelle « stratégie logement ».
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