Election présidentielle au Sénégal : Enjeux et perspectives [Note #39]
Le 24 février 2019, le Sénégal organisera la onzième élection présidentielle de son histoire. Îlot de stabilité et de démocratie fonctionnelle dans une sous-région en proie à de multiples défis, le pays aborde cette échéance non sans quelques crispations politiques et la conscience du poids d’importants défis économiques.
Des modifications substantielles de la loi électorale
Lors de sa campagne présidentielle victorieuse de 2012, le candidat Macky Sall avait promis de ramener le mandat présidentiel de 7 à 5 ans avec application immédiate au mandat en cours. Élu président de la République, il a organisé en 2016 un référendum constitutionnel qui a approuvé à 62,54%, cette réforme. Celle-ci a ainsi mis fin aux nombreuses embardées de la loi électorale opérées sous les mandats du président Abdoulaye Wade (entre 2000 et 2012), élu pour un mandat de 7 ans, qui le ramena à 5 ans, avant de le porter à 7 ans de nouveau.
L’autre nouveauté au sein de l’ordonnancement électoral sénégalais réside dans la loi du 4 juillet 2018 portant modification du code électoral, dite loi sur les parrainages. Aux termes du dernier alinéa du nouvel article L 115 du code électoral issu de ce texte, toute candidature à la présidence de la République doit être accompagnée de la signature « d’électeurs représentant au minimum 0,8%, au maximum 1% du fichier électoral général. Ces électeurs doivent être domiciliés dans au moins 7 régions à raison de 2000 par région ». Ce texte, considéré par l’opposition sénégalaise comme une tentative de restreindre la voie des élections présidentielles à certains candidats, avait mis le feu aux poudres mais a finalement été adopté par l’Assemblée nationale.
Sur le plan des principes démocratiques, l’introduction des parrainages permettait à la fois de limiter le nombre de candidats et de renforcer la crédibilité de ces derniers grâce à la confiance préalable d’un échantillon d’électeurs. Néanmoins, le texte a été promu et promulgué dans un contexte général peu propice à l’apaisement et dans lequel le président Sall a tout mis en œuvre pour empêcher la candidature de ses principaux rivaux, Karim Wade et Khalifa Sall. Cela a induit l’impression générale que la disposition sur les parrainages participait d’une volonté de restriction de l’expression de l’opposition.
Un jeu politique modifié par des décisions de Justice
De surcroît, deux des principaux acteurs de la scène politique sénégalaise ont eu maille à partir avec la justice. Fils de l’ex-président Abdoulaye Wade et longtemps acteur politique de premier plan, Karim Wade a été condamné à 6 ans de prison ferme et à une amende de 138 milliards de francs CFA pour avoir illégalement acquis 178 millions d’euros grâce à des montages financiers complexes alors qu’il occupait les fonctions de conseiller présidentiel puis de ministre. Investi candidat du Parti démocratique sénégalais (PDS)[1] Parti fondé par son père en 1974. pour la présidentielle de 2019, Karim Wade a vu sa candidature retoquée par le Conseil constitutionnel pour non-conformité à l’article L 115 précité.
Quant à Khalifa Sall, ancien maire de Dakar, il a été mis en cause dans l’affaire de la caisse d’avance de la mairie qu’il dirigeait et condamné en appel à 5 ans de prison pour escroquerie. La cour constitutionnelle sénégalaise a estimé que cette condamnation le prive de ses droits civiques, rejetant également sa candidature. Il a depuis appelé à soutenir l’ancien Premier ministre Idrissa Seck.
En définitive, cinq candidats à la magistrature suprême figurent sur la ligne de départ :
- M. Madické Niang, avocat et ancien ministre des Affaires étrangères qui se présente seul après avoir été exclu du PDS à l’annonce de sa candidature et alors que le parti soutenait encore officiellement celle de Karim Wade ;
- M. Issa Sall, docteur en informatique, directeur de l’Université du Sahel et candidat du PUR (Parti de l’unité et du rassemblement) qu’il préside ;
- M. Idrissa Seck, ancien Premier ministre, maire de Thiès et candidat de Rewmi, parti libéral qui a pris la suite du Front pour le Progrès et la Justice (FPJ) en 2006 ;
- M. Ousmane Sonko, député, inspecteur des impôts et domaines, candidat du PASTEF- LES PATRIOTES, parti qu’il a créé en 2014 peu après sa radiation des cadres de la fonction publique pour manquement au devoir de réserve ;
- M. Macky Sall, président de la République, candidat de la coalition Benno Bokk Yakaar principalement composée de l’Alliance pour la république (APR), le parti du chef de l’État, du Parti socialiste (PS) d’Ousmane Tanor Dieng, ou encore de l’Alliance des forces du progrès (AFP) de Moustapha Niasse, l’actuel président de l’Assemblée nationale.
Ce « casting » illustre les profonds bouleversements en cours au sein la classe politique sénégalaise depuis la première alternance de 2000 et l’élection d’Abdoulaye Wade après quarante ans de domination du Partis Socialiste sénégalais depuis l’indépendance du pays, sous les mandats de Léopold Sédar Senghor (1960-1980) et d’Abdou Diouf (1981-2000). Cette défaite marqua d’ailleurs le point de départ du déclin de ce parti qui finira en troisième position à l’élection présidentielle de 2007, puis quatrième en 2012 avant de se rallier dans la foulée au président élu Macky Sall. Le point culminant de cette perte d’influence est atteint cette année car, pour la première fois depuis la proclamation de la République sénégalaise, le parti socialiste ne présentera pas de candidat aux élections présidentielles.
Quant au PDS de l’ancien président Abdoulaye Wade, son appareil est également en perte de vitesse depuis sa défaite de 2012. Néanmoins, trois de ses anciens illustres membres ayant fait sécession sont candidats sous d’autres couleurs : en premier lieu le président sortant Macky Sall qui fonda l’APR après sa rupture avec le PDS en 2009 avant de vaincre son ancien mentor en 2012 ; ensuite l’ancien Garde des Sceaux et ministre des Affaires étrangères du président Wade, Madické Niang, également en rupture avec le PDS pour s’être porté candidat à la présidentielle ; enfin, Idrissa Seck, ancien Premier ministre tombé en disgrâce en 2005 dans l’affaire des chantiers de Thiès, fondateur du Parti Rewmi.
Quant à Khalifa Sall, il est un ancien membre du Parti socialiste sénégalais lui aussi en rupture avec son parti. En définitive, la vie politique sénégalaise a profondément muté depuis 2000 mais reste néanmoins dominée par des transfuges des deux grands partis que furent le PS et le PDS.
Les défis économiques du Sénégal
Fort de sa stabilité politique, le Sénégal présente un tableau économique plutôt satisfaisant. La croissance économique a atteint entre 4% et 6% de 2010 à 2015 et les estimations du FMI projettent une montée en puissance jusqu’à 7% sur la période 2016-2020, notamment en raison de la découverte des champs pétroliers et gaziers. Le pays est régulièrement cité dans les classements Doing Business de la Banque mondiale pour l’amélioration constante de son climat des affaires.
Taxe sur la valeur ajoutée | Taux standard : 18% Taux réduit : entre 5% et 10% (cf Directive N°02/2009/CM/UEMOA du 27 mars 2009) |
Impôt sur les sociétés | 30% Impôt minimum forfaitaire : 0,5% du CA entre 500.000 et 5 millions XOF |
Dividendes /Intérêts/Royalties | 10% /8%,13%,16% /20% |
Charges patronales | Entre 22% et 31,5% selon l’activité |
Ratio charges/profits | 45,1% |
En 2014, le Président Macky Sall a structuré la politique économique et sociale autour du « Plan Sénégal émergent » (PSE) pour conduire le pays au statut de marché émergent à revenu intermédiaire en 2035. Cette stratégie se fonde sur trois axes :
- La transformation structurelle de l’économie et la croissance à travers l’agriculture, et l’agroalimentaire, l’économie sociale et solidaire, et le développement du tourisme.
- Le capital humain, la protection sociale et le développement durable via des investissements dans l’éducation, la santé, le renforcement de la protection sociale et la protection de l’environnement.
- La gouvernance, les institutions, la paix et la sécurité. Cet axe a pour but de renforcer l’État de droit et les libertés publiques, la décentralisation et la réforme de l’État.
Au total, le Plan Sénégal Émergent comprend 63 projets en cours dans les domaines de l’agriculture, de la santé, de l’accès à l’eau et du développement des infrastructures. Le tableau suivant présente quelques-unes des réalisations de ce plan structurant :
Agriculture | *Production de riz de 950 779 tonnes, en augmentation de 5 % *Production fruitière estimée à 246 500 tonnes, en augmentation de 2,27 % *Exportations de fruits et légumes estimées à 90 354 tonnes, en hausse de 29 % |
Infrastructures | *Autoroute Diamniadio-AIBD-Sindia *Echangeur de l’Emergence 3e section de la Voie de dégagement Nord *Route des Grandes Niayes entre Rufisque-Bayakh-Notto-Diogo-Lompoul |
Urbanisation | *Train Express Régional (TER) Dakar-Diamniadio-AIBD *Réhabilitation de la voie ferrée Dakar-Kidira sur 644 km *Parc industriel de Diamniadio |
Politique sociale | *Carte d’égalité des chances (23450 cartes produites) *17861 bénéficiaires de mutuelles de santé |
Au terme de la phase 1 du PSE, le flux des investissements directs étrangers a atteint 532 millions de dollars en 2017. Le déficit budgétaire s’est quant à lui résorbé pour s’établir à 2,9%, tandis que la dette publique est estimée à 46,5% du PIB.
En outre, les 17 et 18 décembre derniers, le Président Macky Sall a lancé à Paris, lors d’une table ronde, la phase 2 du PSE. Le Sénégal a recueilli 14 milliards de francs CFA d’engagements financiers destinés à financer cette deuxième étape.
Mais, en dépit de performances macroéconomiques encourageantes, l’économie sénégalaise continue de souffrir de plusieurs maux structurels.
Le PIB par habitant
La croissance du PIB par habitant demeure faible, de l’ordre de 0,6% par an en moyenne entre 1987 et 2015. Elle place le Sénégal en queue de peloton derrière des pays comme le Rwanda ou l’Île Maurice. Cette performance est insuffisante pour atteindre les objectifs du PSE, lesquels requièrent un rythme de 4 à 5 % par an.
La dette publique
L’endettement public prend également des proportions inquiétantes. Si la dette s’établit en 2017 à 61% du PIB et respecte les critères de convergence de l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA)[2] L’UEMOA regroupe huit États d’Afrique de l’Ouest partageant le franc CFA comme devise : Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo., son rythme de progression ces dernières années retient l’attention.
Selon le FMI, elle devrait atteindre 107% de PIB en 2020 si le rythme actuel se maintient. En prenant en compte le service actuel de la dette, qui pèse 30% des recettes d’Etat, il y a effectivement matière à s’interroger. Car une dette publique non maitrisée présente le danger d’une hausse des taux d’intérêts et donc du service de la dette. La solution pourrait consister dans une moindre dépendance de la croissance sénégalaise aux investissements publics et dans l’encouragement, par le biais d’incitations fiscales et administratives, des investissements privés.
Réduire la dépendance aux exportations de matières premières
Avec la découverte de gisements gaziers et pétroliers, le Sénégal risque, à l’instar d’autres pays africains au profil minier, de se laisser griser par la tentation d’une dépendance extrême aux revenus de ces matières premières. Cette erreur stratégique, commise par beaucoup d’autres États, amplifie les difficultés budgétaires en cas de repli des cours mondiaux. L’autre conséquence réside dans le risque, en cas de chute généralisée des recettes, d’une dévaluation du franc CFA afin de retrouver de la compétitivité externe.
Face à cette situation, la meilleure réponse se situe dans une accélération du processus d’industrialisation afin d’entamer la transformation des matières premières au plan local. Ainsi, la dépendance aux soubresauts des cours des matières premières se réduira-t-elle. Une autre solution consiste à approfondir la diversification de l’économie sénégalaise, source d’élargissement des recettes budgétaires.
Le Sénégal présente d’incontestables atouts, que l’on songe à sa maturité démocratique qui l’institue en exemple au sein de l’Afrique francophone et en bon élève de la région (avec le Bénin ou le Ghana) ou au dynamisme de sa jeunesse qui représente une part importante des 16 millions de Sénégalais.
À travers notamment la mise en œuvre du Plan Sénégal Émergent, d’importantes avancées ont été réalisées, mais elles demeurent insuffisantes pour réduire drastiquement la pauvreté, qui touche plus d’un tiers de la population d’après les analyses du Consortium pour la Recherche économique et sociale (Cres) et endiguer le chômage, estimé à 15,7% de la population active en 2017. Ces chiffes contrebalancent les bons résultats du pays et posent la question de la redistribution des richesses issues du développement. La croissance sénégalaise devrait, pour améliorer significativement ces indicateurs, s’établir durablement autour de 7% à 8% afin d’absorber également la prochaine arrivée sur le marché du travail de la jeunesse sénégalaise, dont 45% a moins de 14 ans.
Les programmes des divers candidats mettent l’accent sur le développement des infrastructures, l’indépendance énergétique et la lutte contre la corruption, polarisant davantage la campagne électorale autour d’un débat de personnes et d’un référendum pour ou contre le président sortant que sur des clivages idéologiques majeurs. Le premier tour de l’élection présidentielle à venir, prévu ce 24 février, devrait donc donner une première indication sur la voie choisie par le peuple sénégalais pour affronter les défis qui se posent à lui et sur la personne qu’il s’est choisi pour les résoudre.