Le particularisme espagnol à l’égard du Kosovo mis à l’épreuve d’un contexte de crise [Tribune #52]
Alors [1]Traduction de l’anglais par Teuta Vodo que le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez arrivait au terme de sa longue tournée balkanique qui l’a conduit en Serbie, en Bosnie-Herzégovine, en Macédoine du Nord, au Monténégro et en Albanie, des tensions ethniques entre Serbes et Albanais ont éclaté le 31 juillet au Kosovo et se sont accompagnées d’accusations mutuelles de la part de Pristina et de Belgrade.
La cause invoquée de ces différends réside dans la décision du Kosovo d’attribuer, à partir du 1er août, les plaques d’immatriculation et les documents aux véhicules qui circulent au Kosovo avec des documents serbes. Toutefois, en raison de la violente insurrection déclenchée par les Serbes du Kosovo aux frontières entre les deux pays, le Kosovo – après consultation de ses partenaires occidentaux – a décidé de reporter l’applicabilité de cette décision au 1er septembre. La brève insurrection était un moyen pour une partie des Serbes vivant dans le nord du Kosovo de ne pas reconnaître l’autorité du gouvernement de Pristina sur eux, la Serbie se tenant fermement à leurs côtés.
Depuis 2008, le Kosovo est un État indépendant de facto. En 2010, la Cour internationale de justice a reconnu que la déclaration unilatérale d’indépendance de Pristina « ne violait pas le droit international« , mais son statut d’État de jure n’est toujours pas reconnu par un grand nombre de pays, dont la Serbie, la Russie, la Chine et cinq États membres de l’UE (Espagne, Grèce, Roumanie, Slovaquie, Chypre).
La majorité de la population du Kosovo est albanaise. Ancienne province ottomane, ce jeune État a fait légalement partie de la Serbie de 1913 à 2008. En 1998 – 1999, une guerre de nettoyage ethnique a été menée par Belgrade contre les Albanais. L’OTAN est intervenue pour mettre fin au génocide et a obligé l’armée yougoslave à se retirer du Kosovo. Conformément à la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations unies, le Kosovo est passé sous l’administration de l’ONU et des troupes de l’OTAN sont stationnées en permanence à l’intérieur de ses frontières dans le but de maintenir la paix dans la région. La non-reconnaissance de la sécession du jeune État par Belgrade a incité l’UE à servir de médiateur dans le cadre d’un dialogue permanent entre les plus hautes autorités politiques de Serbie et du Kosovo. Le résultat le plus crucial de ce dialogue réside dans le contact perpétuel entre les parties, qui permet d’éviter une escalade des tensions vers une guerre chaude.
Le Royaume d’Espagne fait partie des pays les plus intransigeants de l’UE qui ne reconnaissent pas l’indépendance du Kosovo. La récente tournée de M. Sanchez dans la région, au cours de laquelle il était accompagné du directeur du département UE du gouvernement espagnol, Aurora Mejia, se veut un acte de soutien de Madrid à la future présence des Balkans occidentaux au sein des institutions de Bruxelles. Nonobstant cela, Madrid assurera la présidence tournante de l’UE au cours du second semestre de 2023. Le Kosovo n’a délibérément pas fait partie de ce voyage, qui a toutefois été marqué par cette question.
Lors de ses visites auprès de ses interlocuteurs à Belgrade et à Tirana, M. Sanchez a énoncé publiquement la position de l’Espagne sur la question. En visite en Serbie, M. Sanchez a déclaré que Madrid et Belgrade sont unis par « la conviction de la nécessité de garantir le respect du droit international et l’intégrité souveraine des États, leur intégrité territoriale. C’est la raison pour laquelle nous soutenons la Serbie dans les affaires concernant le Kosovo. L’Espagne a été et continuera d’être aux côtés de la Serbie pour défendre ces principes« , mais toujours en soutenant le dialogue entre les parties. Lors de sa visite en Albanie, pays allié de Pristina dans sa campagne perpétuelle pour la reconnaissance internationale, M. Sanchez a déclaré : « Une déclaration unilatérale d’indépendance, comme il y a eu , – selon l’opinion légitime du gouvernement espagnol, respectueuse de l’opinion du gouvernement et du peuple albanais – viole, de notre point de vue, le droit international et c’est pourquoi nous ne pouvons pas reconnaître l’indépendance du Kosovo« . Pour Madrid, l’indépendance du Kosovo ne sera conforme au droit international que si Belgrade l’accepte et l’Espagne reste sur sa décision de non-acceptation de tous les cas de formation d’États jugés comme du séparatisme unilatéral. De fait, après la tenue du vote sur le Brexit, le ministre espagnol des affaires étrangères a officiellement déclaré que Madrid ne ferait pas obstacle à l’entrée d’une éventuelle Écosse indépendante dans l’UE uniquement si les autorités centrales du Royaume-Uni étaient d’accord avec cette indépendance.
Jusqu’en 2020, date à laquelle Sanchez a participé à un sommet en ligne UE – Balkans occidentaux (où le Kosovo était représenté), Madrid avait refusé tout contact diplomatique, même indirect, avec Pristina. L’Espagne a retiré ses troupes de l’OTAN du Kosovo après 2008 et n’a pas ouvert de bureau de liaison à Pristina (comme l’ont fait la Grèce et la Slovaquie). Cette position de non-reconnaissance permanente de Pristina de la part de Madrid et de tous les gouvernements espagnols et, surtout, de tous les partis politiques nationaux est due à la persistance du séparatisme espagnol des Pays basques et de la Catalogne. Le gouvernement craint de créer un précédent qui pourrait être reproduit plus tard à l’intérieur des frontières espagnoles. En effet, les partis séparatistes de ces deux régions espagnoles ont reconnu la déclaration d’indépendance du Kosovo. En 2016, la commission des affaires étrangères du Parlement espagnol a rejeté la proposition d’Esquerra Republicana de Catalunya (ERC) de reconnaître l’indépendance du Kosovo. En 2018, le prédécesseur de Sanchez, Mariano Rajoy, a refusé de faire partie du sommet UE – Balkans occidentaux à Sofia en raison de la présence du Kosovo dans celui-ci. Sur le plan économique, l’Espagne a peu de contacts étroits avec les Balkans occidentaux. Madrid entretient une relation commerciale discrète uniquement avec la Serbie, où ont été enregistrés des échanges bilatéraux de 811,4 millions d’euros en 2021 et où se tient périodiquement un forum commercial entre entreprises.
Si l’on exclut l’ancien espace soviétique, le Kosovo reste la zone la plus critique pour la sécurité de l’Europe. La violente riposte serbe dans la « guerre des plaques » a démontré la possibilité de tensions plus fortes en cas d’absence de reconnaissance mutuelle permanente et continue entre Pristina et Belgrade. Comme le statu quo au Kosovo ne garantit pas la paix dans les Balkans, cela pénalise davantage Pristina que Belgrade. Les citoyens du Kosovo sont les seuls parmi les pays des Balkans à ne pas bénéficier de la libéralisation des visas avec l’UE. Leur étape du processus d’adhésion à l’Union européenne se déroule très lentement alors que leurs voisins, l’Albanie et la Macédoine du Nord, ont finalement – comme le Monténégro et la Serbie avant eux – entamé les négociations d’adhésion il y a quelques semaines.
La présence de troupes de l’OTAN au Kosovo, la dépendance diplomatique de Pristina à l’égard des États-Unis et les contacts directs entre les pays voisins sous l’égide de l’UE réduisent fortement la probabilité d’éventuelles aventures armées. Cependant, la solution au conflit ne peut être que politique et viser la reconnaissance mutuelle entre Belgrade et Pristina. La mise en œuvre de cette feuille de route devrait être une obligation pour tous les États membres de l’UE, y compris l’Espagne, afin de permettre à l’Europe de contrôler ses frontières géostratégiques du sud-est et de se prémunir contre le risque d’un retour à une déstabilisation régionale plus légère, comme dans les années 1990. Plus au nord du Kosovo se trouve également la Bosnie-Herzégovine, un pays visité par Sanchez et où les nationalistes serbes soutenus par Belgrade et Moscou sont sur le sentier de la guerre depuis des mois contre l’autorité du gouvernement central de Sarajevo.
L’attaque russe en Ukraine a surtout soulevé le besoin d’une « Europe géopolitique » pour faire face au retour de la guerre chaude sur le Vieux Continent. Les deux crises du Kosovo et de la Bosnie-Herzégovine prouvent que les Balkans occidentaux restent une poudrière européenne et qu’il convient d’en faire une priorité dans l’agenda international.
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Version originale en langue anglaise
While Spanish Prime Minister Pedro Sanchez was nearing the end of his long Balkan tour that took him to visit Serbia, Bosnia-Herzegovina, North Macedonia, Montenegro, and Albania, on July 31st the ethnic tensions between Serbs and Albanians arose in Kosovo and were accompanied by mutual accusations from both Pristina and Belgrade. The leitmotiv of these disputes lies with Kosovo’s decision to attribute, starting from 1 August, license plates and documents issued by Pristina authorities to vehicles that circulate in Kosovo with Serbian documents. However, due to the violent uprising set off by the Kosovo Serbs at the borders between the two countries, Kosovo – after consultations with Western partners – decided to postpone the applicability of this decision to September 1st. The brief insurrection was a proof by a part of Serbs living in Northern Kosovo to not acknowledge Pristina’s government authority over them, with Serbia firmly standing by their side.
Since 2008 Kosovo is a de facto independent state. In 2010 the International Court of Justice recognised that Pristina’s unilateral declaration of independence « did not violate the international law », but its de jure status on statehood remains not recognised by a large number of countries, including Serbia, Russia, China, and five EU member states (Spain, Greece, Romania, Slovakia, Cyprus). Most of the Kosovo’s population is Albanian. A former Ottoman province, from 1913 to 2008 this young state was legally part of Serbia. In 1998 – 1999 an ethnic cleansing war was conducted by Belgrade against the Albanians. NATO intervened to stop the genocide and obliged the Yugoslav Army to withdraw from Kosovo. According to the UN’s Security Council Resolution 1244 Kosovo passed under the UN’s administration and NATO troops are permanently stationed within its borders with the aim of maintaining peace in the area. The non-recognition of the young state’s secession by Belgrade has prompted the EU to mediate an ongoing dialogue between the highest political authorities in Serbia and Kosovo. The most crucial result of this dialogue lies in the perpetual contact between the parties, which helps avoid an escalation of tensions toward a hot war.
The Kingdom of Spain is among the most intransigent countries in the EU that does not recognise Kosovo’s indipendence. Sanchez’s recent tour of the area, in which he was accompanied by the Director of the EU Department of the Spanish Government Aurora Mejia, aims to be an act of support by Madrid to the future presence of the Western Balkans within the Brussels institutions. Notwithstanding, Madrid will hold the rotating EU Presidency in the second half of 2023. Kosovo deliberately was not part of this trip, which however was marked by the issue. When visiting his interlocutors in Belgrade and Tirana, Sanchez declared Spain’s position on the question in public. Visiting Serbia, Sanchez stated that Madrid and Belgrade are united by « the conviction of the need to guarantee respect for international law and the sovereign integrity of states, their territorial integrity. That is the reason why we support Serbia in matters concerning Kosovo. Spain has been and will continue being with Serbia to defend these principles”, but always by supporting the dialogue between the parts. During his visit to Albania, a country allied with Pristina in its perpetual campaign for international recognition, Sanchez declared: « A unilateral declaration of independence, such as there has been, – in the legitimate opinion of the Spanish government, respectful towards the opinion of the Albanian government and people – violates, from our point of view, the international law and that is why we cannot recognise the independence of Kosovo ». For Madrid, Kosovo’s independence will only follow international law if Belgrade agrees on it, and Spain stays still in its decision of non-acceptance of all the State-formation cases judged as unilateral separatism. After the Brexit vote was held, Spain’s Foreign Minister officially declared that Madrid would not obstruct an eventual independent Scotland from entering the EU only if the central authorities of the United Kingdom were in agreement with this independence.
Until 2020, when Sanchez took part in one online EU – Western Balkans summit (where Kosovo was represented), Madrid had refused every even indirect diplomatic contact with Pristina. Spain withdrew its NATO troops from Kosovo after 2008 and did not open any liaison office in Pristina (as Greece and Slovakia have done). This permanent non-recognition position of Pristina from Madrid and all Spanish governments and mainly all national political parties is due to the persistence of the Spanish separatism of the Basque Countries and especially Catalonia. The government fears of creating a precedent that could later be replicated within Spanish borders. Indeed, the separatist parties of these two Spanish regions recognised Kosovo’s declaration of independence. In 2016, the Foreign Affairs Commission of the Spanish Parliament rejected the proposal of Esquerra Republicana de Catalunya (ERC) to recognise the independence of Kosovo. In 2018 Sanchez’s predecessor, Mariano Rajoy, refused being part of the EU – Western Balkans summit in Sofia due to the presence of Kosovo in it. Economically Spain has little extended contact with the Western Balkans. Madrid conducts a discrete trade relationship only with Serbia, in which has been recorded a bilateral interchange of 811.4 million euros in 2021 and a business forum among enterprises is periodically held.
Excluding the former Soviet space, Kosovo remains the most critical area of Europe’s security yet. The material violent Serbian counter-response in the « war of the plates » demonstrated the potentiality for higher tensions in case of a lack of permanent and continuous mutual recognition between Pristina and Belgrade. As the status quo in Kosovo does not guarantee peace in the Balkans, this penalises more Pristina than Belgrade. Kosovo’s citizens are the only ones among the Balkan countries not to enjoy visa liberalisation with the EU. Their stage of the European Union accession process is proceeding very slowly while their neighbours Albania and North Macedonia finally – as Montenegro and Serbia did before them – started the membership negotiations a few weeks ago.
The presence of NATO troops in Kosovo, Pristina’s diplomatic reliance on the USA and the direct contact between the neighbouring countries mediated by the EU strongly downgrade the probability of eventual armed adventures. However, the solution to the conflict can only be political and aim at mutual recognition between Belgrade and Pristina. Proceeding toward this road map should be an obligatory path for all the EU member states, including Spain, to allow Europe to control its geostrategic south-eastern borders from the danger of a milder regional destabilisation return like that in the 1990s. Further north of Kosovo lies also Bosnia-Herzegovina, a country visited by Sanchez and where the Serbian nationalists supported by Belgrade and Moscow are on the warpath since months against the authority of the central government of Sarajevo. The Russian attack on Ukraine has especially raised the need for a « geopolitical Europe » to deal with the return of the hot war in the Old Continent. Both crises in Kosovo and Bosnia-Herzegovina prove that the Western Balkans remain a European tinderbox and need to be further prioritised in the international agenda.
Notes
↑1 | Traduction de l’anglais par Teuta Vodo |