Jupiter contre Eris : maintien de l’ordre, désordre et discorde dans une démocratie adulte [Livret #8]
En 2015, le sociologue Cédric Moreau de Bellaing soulignait à juste titre que le niveau de violence propre aux manifestations publiques était en diminution constante depuis les années 1960[1]Audition du 22 janvier 2015 de Cédric Moreau de Bellaing, maître de conférence en sociologie à l’Ecole Normale Supérieure, devant la Commission d’enquête chargée d’établir un état des … Continue reading. En dépit de cette baisse tendancielle, les événements de mai 1968, les incidents de Creys-Malville en 1977 ou les manifestations étudiantes de 1986 en opposition à la loi dite Devaquet, ont tous en commun d’avoir été endeuillés par les décès de membres des forces de l’ordre et/ou de manifestants. Mais chacun de ces épisodes qui jalonnent l’histoire si particulière de ce qu’il est convenu d’appeler le « maintien de l’ordre à la française[2] Doctrine consistant à faire intervenir des unités professionnalisées – Escadrons de gendarmerie mobile (EGM), Compagnies républicaines de sécurité (CRS) et Compagnies d’intervention (CI) … Continue reading », a débouché sur une évolution des schémas d’emploi, des modes opératoires et de la nature des équipements de sorte à converger vers l’objectif de toute démocratie adulte : préserver la vie humaine des manifestants et de ceux qui les protègent[3] La suppression des compagnies de district et du peloton de voltigeurs motorisés ou encore l’équipement progressif des forces de l’ordre de protections individuelles rigides (surnommées … Continue reading.
Hélas, depuis 2016, les événements semblent compromettre cette tendance tant la sécurité des manifestations publiques est victime d’un regain de violences. Si chacun garde en mémoire les images du saccage de l’Hôpital Necker le 14 juin 2016 par des casseurs indistinctement regroupés sous l’appellation « black-blocs[4] Le sommet de l’OTAN à Strasbourg en 2009 a été l’une des premières actions organisées par la mouvance « black- bloc ». », leur présence – plus massive encore à l’occasion des manifestations du 1er mai 2018 – atteste d’une augmentation générale de la violence qui pourrait désormais entacher l’exercice du droit fondamental de manifester (ce phénomène n’est en réalité pas nouveau, mais avait disparu depuis les années 1990). Les chiffres confirment d’ailleurs cette tendance : en 2017, 511 policiers et gendarmes mobilisés par la seule Préfecture de Police de Paris pour des missions de maintien de l’ordre public ont été blessés, contre 150 en 2015.
D’aucuns seraient tentés de minimiser le phénomène en le limitant à l’expression d’une violence de rue proprement parisienne. Mais la violence publique ne s’arrête pas aux portes du périphérique parisien, pas plus qu’à celles des centres urbains régionaux, à l’instar de l’agglomération nantaise. En effet, les Zones à défendre (ZAD) de Sivens, de Bure ou, plus récemment encore, de Notre-Dame-des-Landes, sont le théâtre d’affrontements particulièrement durs entre les gendarmes mobiles et certains des occupants de ces sites, au cœur de la France rurale.
A cette amplification des violences s’ajoutent les protestations des corps intermédiaires. Victimes d’une double peine lorsque la violence des black-blocs qui se mêlent aux cortèges syndicaux classiques entraîne aussi celle des forces de l’ordre, ils reprochent au Gouvernement leur difficulté réelle à exercer leur droit de manifestation. L’incitation des préfets à la prise d’arrêtés d’interdiction au nom du principe de précaution alors que les moyens budgétaires de la police et de la gendarmerie accusent une baisse[5] Voir notre contribution dans Le Monde, le 12 octobre 2018, « Le bilan budgétaire bien maigre de Gérard Collomb Place Beauvau ». ne correspond à l’évidence pas à une option. Jupiter serait-il débordé par Eris ? De fait, le maintien de l’ordre s’impose à nouveau comme une problématique politique majeure.
Pourtant, il existe un hiatus grandissant entre la médiatisation croissante des opérations de maintien de l’ordre – souvent liée à leur violence ou à l’événement lui-même – et le quotidien des forces de maintien de l’ordre tout au long de l’année. En effet, le maintien de l’ordre représente, à y regarder de près, une part minoritaire des missions des Compagnies républicaines de sécurité (CRS) et des Escadrons de gendarmerie mobile (EGM).
Ces considérations plaident pour une réflexion approfondie sur l’organisation du ministère de l’Intérieur et la doctrine d’emploi des forces de sécurité intérieure mais également sur les conditions de ce maintien de l’ordre qui, pour résiduel qu’il soit, n’en demeure pas moins confronté aux violences et à de fortes exigences démocratiques. Car, dans une démocratie adulte, la liberté de manifester doit rester le principe et le recours aux forces de l’ordre l’exception, une exception aussi maîtrisée que possible.
De fait, quatre séries d’évolutions techniques du maintien de l’ordre[6] Les auteurs ne méconnaissent pas les réflexions entamées par la police et la gendarmerie nationales à la suite des récents engagements en matière d’ordre public. Dans le cas particulier de … Continue reading semblent nécessaires pour briser ce triangle d’incompatibilité qui se dessine depuis plus de deux ans entre préfectures, forces de l’ordre et manifestants :
- La première série d’évolutions a trait au renforcement du traitement des violences en amont des manifestations, composante encore sous-exploitée du maintien de l’ordre.
- La deuxième série implique un renforcement de la légitimité démocratique des forces de l’ordre. L’amélioration de la confiance que leur accordent les citoyens suppose leur irréprochabilité dans l’action.
- La troisième série d’évolutions induit le renforcement de la proportionnalité de l’usage des armes et, par conséquence, l’élargissement de la variété des équipements mis à disposition des forces de l’ordre.
- La quatrième série d’évolutions a trait au renforcement de l’effet de masse et de la technicité des forces de l’ordre, deux conditions cumulatives au fondement de la sécurité des manifestations publiques. Elle implique de lisser autant que possible les inégalités entre l’agglomération parisienne et les autres lieux de manifestations publiques qu’il s’agisse de centres urbains régionaux ou de territoires ruraux[7] La question des territoires d’Outre-mer n’est volontairement pas abordée dans la présente note. Elle fera l’objet d’une publication future..
Agir en amont des manifestations et de la commission des violences
Le renseignement, la médiation et une meilleure circulation de l’information semblent indispensables pour désamorcer l’apparition de violences au sein des manifestations.
Renseignement, concertation et prospective : les trois piliers de l’anticipation opérationnelle
Le rôle du renseignement à finalité d’anticipation opérationnelle n’est plus à démontrer. Essentiel à la préparation d’une opération de maintien de l’ordre, il permet d’ajuster le dimensionnement d’un dispositif et d’éviter que des incidents non anticipés ne se transforment en véritable crises. Cette tâche incombe au Service central du renseignement territorial (SCRT) à l’exception de la plaque parisienne où intervient la Direction du renseignement de la Préfecture de Police de Paris (DRPP). La Gendarmerie Nationale dispose également d’un service de renseignement de deuxième cercle, la Sous-direction de l’anticipation opérationnelle (SDAO), rattachée à la Direction des opérations et de l’emploi (DOE) .
Mais, en parallèle du travail des services de renseignement, la concertation incarne un puissant outil d’anticipation opérationnelle. Le dialogue avec les organisateurs (intersyndicales, partis politiques, collectifs…) et leurs services d’ordre permet la sécurisation des parcours et la levée de nombre d’inquiétudes réciproques. Il favorise aussi le partage d’informations sur d’éventuelles difficultés propres au contexte et/ou au tracé. Encourager le contact entre les organisateurs et l’autorité administrative est absolument essentiel à la responsabilisation de l’organisateur et à l’estimation du volume de forces nécessaire à la sécurisation de la manifestation.
Toutefois, l’affaiblissement récent de ces interlocuteurs traditionnels, familiers de l’organisation de manifestations publiques et coutumiers du travail de concert avec les services des préfectures, complique la conduite de ces travaux préparatoires. De plus en plus de rassemblements, spontanés et désorganisés, s’autopilotent depuis les réseaux sociaux sans nécessairement emprunter les canaux traditionnels et sans que les préfectures établissent un contact avec les organisateurs après les avoir détectés. Il convient de remédier à cette situation [Préconisation n°1].
D’autant que, si l’article 431-9 du code pénal prévoit une peine de six mois d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende pour les organisateurs de manifestations qui n’auraient pas reçu d’autorisation préalable ou qui auraient été maintenues malgré un arrêté d’interdiction, ce régime de sanction ne s’applique pas aux participants aux manifestations illégales. Ces derniers, aux termes de l’article R610-5 du code pénal, ne se rendent coupables que d’une contravention de 1ère classe et encourent à ce titre une amende forfaitaire d’un montant maximal de 38 euros. Eu égard aux difficultés pour les forces de l’ordre d’identifier les organisateurs de manifestations spontanées, le durcissement des peines encourues par les participants à des manifestations interdites serait de nature à limiter leur occurrence [Préconisation n°2].
D’une manière générale, la double transformation, à la fois des modes d’organisation et de conduite des manifestations, pousse à accentuer et unifier l’effort de travail prospectif entamé par les professionnels du maintien de l’ordre. En effet, l’analyse prospective anticipe les évolutions des modes opératoires et préconise des adaptations à la fois de schéma d’emploi, de prérogatives et d’équipements. Au sein de la Préfecture de Police de Paris, la cellule Synapse fait partie des services précurseurs en la matière. Son expérience gagnerait à être partagée non seulement au sein de la Direction générale de la police nationale (DGPN) et notamment de la Direction centrale des compagnies républicaines de sécurité (DCCRS), mais aussi avec les gendarmes du Centre de renseignement opérationnel de la gendarmerie (CROGEND) [Préconisation n°3]. Il en ressortirait un partage des bonnes pratiques pour permettre, entre autres, la définition d’un armement de force intermédiaire conformément aux préconisations de la commission d’enquête parlementaire sur le maintien de l’ordre.
La médiation au cœur de l’action
En matière de maintien de l’ordre, le défaut de communication entre les forces de l’ordre et les manifestants est un facteur d’intensification des violences. Lors des manifestations du 1er mai 2018 à Paris, de nombreux manifestants – dont l’intersyndicale – ont regretté un arrêt prolongé sur le pont d’Austerlitz sans pouvoir rebrousser chemin[8] Le Monde, « 1er mai : 109 personnes en garde à vue après les violences en marge du cortège parisien », 1er mai 2018. et sans disposer d’informations de la part de la préfecture. En effet, ces situations statiques des cortèges les rendent particulièrement vulnérables aux actions des casseurs. A titre d’exemple, en 2016, le stationnement prolongé du cortège à proximité de l’Hôpital Necker explique en partie le choix par les black-blocs de cette cible d’opportunité.
Les conséquences du défaut de communication entre manifestants et forces de l’ordre ont été pointées tant par la commission d’enquête parlementaire précitée[9] Rapport n°2794, loc. cit., p. 105. que par le Défenseur des droits[10]Défenseur des droits, « Le maintien de l’ordre au regard des règles de déontologie », décembre 2017, p. 48. . Pour y remédier, les deux rapports produits suggèrent d’appliquer en France certaines des préconisations tirées du Good Practice for DIAlogue and Communication[11]Good Practice for DIAlogue and Communication as Strategic Principles for Policing Political Manifestations in Europe. Ce projet européen postule que l’usage indiscriminé et non concerté de la … Continue reading (GODIAC). Ils préconisent notamment « l’organisation d’une médiation systématique et continue entre les forces chargées du maintien de l’ordre et le public manifestant, avant pendant et après l’évènement[12] Rapport n°2794, loc. cit., p. 114-117. » qui s’articulerait autour de la création de nouvelles unités policières de médiation directement intégrées au cœur des manifestations[13] La France pourrait ainsi s’inspirer des officiers de dialogue suédois, de l’event police danoise, des peace units néerlandaises et surtout des Anti-Konflikt-Team allemandes. En Allemagne, … Continue reading. Ces unités seraient dédiées à l’information des manifestations sur les manœuvres en cours, de sorte à fluidifier l’accomplissement du parcours par les manifestants, une idée reprise dans une note du Centre de Recherche de l’Ecole des Officiers de la Gendarmerie Nationale[14] CREOGN, « Les Black Blocs : Preuves de la mutation de la contestation sociale », note numéro 20, juillet 2016.parue en 2016 et qui présente la désescalade comme un moyen opérationnel opposable aux nouvelles formes de contestation [Préconisation n°4].
Là où elles sont déployées en Europe, ces unités sont facilement identifiables au moyen d’un attribut vestimentaire frappé de l’inscription « médiation ». Dans certains Etats[15] Didier JOUBERT, « Libertés, Droit, Désordres : les violences émeutières dans l’espace urbain, dynamique des phénomènes et organisation de la réponse sociale », Thèse de doctorat en … Continue reading, il leur est permis d’entamer des discussions en temps réel avec les manifestants pour définir des solutions opérationnelles dans l’urgence, maintenir un contact permanent avec les organisateurs et ainsi désamorcer rapidement les situations les plus à risques. Très professionnelles et dûment formées au maintien de l’ordre, ces unités fournissent en temps réel des renseignements à caractère opérationnel (état d’esprit de la manifestation, difficultés de parcours, comportements suspects, etc.). Toutefois, elles n’ont pas pour vocation première de procéder à des arrestations (sauf à ce que les circonstances l’exigent au regard des procédures pénales en vigueur) de sorte à préserver leur lien de confiance avec les manifestants. Elles agissent en complément de brigades dédiées à l’interpellation au sein des cortèges à l’instar de la Brigade d’Information de Voie Publique (BIVP) de la Préfecture de Police.
Dans les territoires moins exposés à des manifestations publiques régulières, un ou plusieurs personnels pourraient être désignés comme médiateurs, dans le cadre du schéma de maintien de l’ordre territorial (voir partie 4). Les autorités les mobiliseraient lorsque l’actualité opérationnelle l’exige, en sus de leurs missions ordinaires [Préconisation n°5].
Pour une information en temps réel via divers canaux
Qu’il s’agisse de la manifestation du 15 juin 2016 émaillée par le saccage de l’Hôpital Necker ou de celle du 1er mai 2018 qui a conduit à l’incendie volontaire d’un Mac Donald, la Préfecture de Police de Paris a fait le choix de ne communiquer officiellement que le lendemain, par l’intermédiaire du Préfet de Police lui-même. Si le principe de précaution et la nécessité de disposer d’un maximum d’éléments factuels expliquent une prise de parole différée, ce choix laisse cependant libre cours aux commentaires sur les réseaux sociaux. Or, les forces de l’ordre gagneraient à compléter leur communication sur les réseaux sociaux en amont des manifestations, d’une communication en temps réel portant sur la diffusion d’informations sur les événements en cours (interruptions de circulation, sommations effectuées, manœuvres de dispersion, bilans provisoires), de sorte à limiter la propagation de rumeurs et autres fausses informations qui décrédibilisent leur action et entament leur moral[16] Dans le cas particulier de l’évacuation de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, la manœuvre « image » a joué un rôle important dans la légitimation de l’action des forces. [Préconisation n°6].
En définitive, une communication continue sur les réseaux sociaux, avant/pendant/après, concourt à une meilleure conduite des opérations et répond au besoin d’information souvent exprimé par les manifestants. Le recours aux réseaux pourrait également s’étendre à l’utilisation ponctuelle d’applications mobiles à l’initiative des autorités [Préconisation n°7]. Ces vecteurs permettraient, le temps de la manifestation, l’information directe des organisateurs de la manifestation (motif d’une halte, changement de parcours, usage de la force, impossibilité de terminer la manifestation, ordre de dispersion, etc.) et des échanges avec les autorités. Le sommet du G20 qui s’est tenu à Hambourg en 2017 offre à cet égard un premier exemple réussi de communication digitale et continue.
Enfin, cette facilitation de la communication entre les manifestants et les forces de l’ordre doit également s’accompagner d’un effort pour parfaire la communication entre les forces de l’ordre elles-mêmes [Préconisation n°8]. Il n’est pas rare en effet que les UFM utilisent des fréquences radios différentes, ce qui ne facilite ni leur communication interne, ni leur communication avec les manifestants.
La légitimité démocratique au service de l’efficacité opérationnelle
Certaines évolutions juridico-opérationnelles faciliteraient tant le travail des forces de l’ordre que l’exercice de la liberté de manifester.
Adapter la procédure de sommation
Le cadre réglementaire relatif aux sommations est précisé à l’article R 211-11 du Code de la sécurité intérieure. La procédure distingue trois temps : l’annonce de la présence, la première sommation puis la seconde sommation après laquelle le recours à la force est règlementairement possible.
Ce cadre procédural est opérationnellement peu adapté à la pratique du maintien de l’ordre.
- Comme le souligne le commissaire général Didier Joubert dans sa thèse de doctorat : « si l’on comprend la précaution de réitération, on peut affirmer néanmoins qu’il est peu logique et encore moins pédagogique que deux énoncés identiques se succèdent pour ouvrir un cadre d’action différent[17] Didier JOUBERT, op. cit. ». A cette première difficulté pratique s’ajoute qu’en cas d’impossibilité de recourir au haut-parleur, chacune des annonces peut être complétée ou remplacée par le lancement de fusées rouges, source de confusion opérationnelle.
- La procédure de sommations s’avère de surcroît inadaptée au manifestant qui ne la comprend souvent pas alors même qu’il s’agit d’ordinaire du seul canal de communication directe entre les forces de l’ordre et lui. Le même régime de sommations s’appliquant dans de multiples cas d’usage de la force, du bond offensif à l’utilisation de grenades, le manifestant ne peut apprécier la manœuvre opérée par les forces de l’ordre et adapter son comportement en conséquence.
- Enfin, le cadre réglementaire ne fixe aucun délai entre les sommations, ni entre la dernière sommation et le recours effectif à la force, ce qui peut priver le manifestant du temps nécessaire à sa bonne dispersion.
Il se creuse ainsi un hiatus toujours plus grand entre des forces de l’ordre, irritées de ne pas être correctement obéies malgré les sommations d’usage, et des manifestants leur reprochant un recours abusif à la force et nourrissant, de fait, un discours résolument anti-policier.
Réaménager la procédure en recourant à des matériels mieux adaptés – le mégaphone est souvent inaudible et les fusées rouges difficiles à distinguer lorsque des manifestants recourent eux-mêmes à des fumigènes – tels que des panneaux de signalisation adaptés aux différentes situations du maintien de l’ordre, serait de nature à recréer de la confiance entre les forces de l’ordre et les manifestants tout en limitant les cas d’usage de la force [Préconisation n°9]. A cela peuvent s’ajouter des avertissements sonores destinés à prévenir les manifestants des manœuvres de maintien de l’ordre à venir (exemple : « nous allons faire usage de grenades déflagrantes »), évitant ainsi que des manifestants pacifiques ne restent au contact des forces de l’ordre qui les confondraient avec des casseurs.
Banaliser la prise d’images des manifestations par les manifestants et les journalistes
La libre prise d’images de manifestants est la marque d’une démocratie adulte. Le droit français ne prévoit donc pas de protection particulière du droit à l’image des forces de l’ordre lors de manifestations sur la voie publique. La circulaire n°2008-8433-D du 23 décembre 2008, relative à l’enregistrement et à la diffusion éventuelle d’images et de paroles de fonctionnaires de police dans l’exercice de leurs fonctions, dispose à cet égard que les policiers « ne peuvent […] s’opposer à l’enregistrement de leur image lorsqu’ils effectuent une mission [sur la voie publique] » avant d’ajouter qu’il « est exclu d’interpeller pour cette raison la personne effectuant l’enregistrement, de lui retirer son matériel ou de détruire l’enregistrement de son support ». Cette règle de droit a d’ailleurs été rappelée par le Défenseur des droits[18] Défenseur des droits, décision MDS 2010-169, 7 février 2012..
La connaissance encore imparfaite de la réglementation relative à la prise d’images couplée à l’acceptation encore incomplète par les forces de l’ordre de l’exercice de ce droit des manifestants, alimente un double discours de défiance. Les premiers vivent la prise d’images comme une atteinte à la légitimité de leur action, les seconds vivent à juste titre la confiscation illégale de leur matériel comme une violation inacceptable de leur liberté d’expression.
Dans une démocratie adulte, les forces de l’ordre doivent intégrer la réalisation permanente d’enregistrements sonores et vidéos comme une donnée supplémentaire du cadre d’exercice de leur mission, au même titre que la géographie d’un lieu ou les conditions météorologiques[19] Corolairement, les forces de l’ordre enregistrent, dans le cadre prévu par la loi, des images des manifestants dont le visage ne doit jamais être masqué.. Ce n’est qu’en garantissant le plein exercice du droit d’enregistrer des manifestants que les forces de l’ordre apporteront la preuve de la parfaite déontologie de leur action, tout en annihilant les accusations de dissimulation dont elles constituent fréquemment la cible [Préconisation n°10].
Préserver la liberté de manifester
Face à la recrudescence de la violence, la facilité consiste à restreindre exagérément la liberté de manifester, l’interdiction des manifestations garantissant, par définition, l’absence des incidents qui leur sont inhérents. S’inspirant du modèle de l’interdiction administrative de stade[20] Codifiée à l’article L.332-16 du code du sport, l’interdiction administrative de stade permet à un préfet de prononcer à l’encontre d’un supporter une mesure d’interdiction d’accès … Continue reading, le rapporteur de la commission d’enquête parlementaire mise en place à la suite du décès d’un manifestant à Sivens proposait ainsi la création « d’un dispositif interdisant à un ou plusieurs individus de manifester », estimant « qu’outre son caractère dissuasif pour l’individu frappé d’interdiction, […] permettrait aux forces de l’ordre constatant la présence de la personne dans le périmètre interdit durant la période concernée de l’interpeller immédiatement en flagrant délit et de la faire garder à vue[21] Rapport n°2794, loc. cit.. p.112-113. ». Sous le contrôle du juge, la mesure envisagée s’appliquerait sous la forme d’un arrêté de police administrative et consisterait en une interdiction de pénétrer, pendant une durée déterminée, dans un périmètre également déterminé. L’arrêté n’entraînerait pas de mesure de rétention administrative et devrait être justifié par des risques sérieux et manifestes de trouble à l’ordre public ou par la présence d’indices matériels.
Bien qu’en vigueur en Belgique, où la loi du 5 décembre 1992 sur la fonction de police autorise les forces de l’ordre à procéder à l’arrestation administrative de personnes perturbant l’ordre public et à les éloigner des lieux de la manifestation pour une durée ne pouvant excéder douze heures, la mesure semble largement disproportionnée[22] Si l’article L211-13 du Code de la sécurité intérieure prévoit déjà des dispositions similaires, il s’agit d’une peine complémentaire.. La liberté de manifester n’est pas comparable au droit d’assister à une rencontre sportive.
Restreindre la liberté de manifester faute de pouvoir sécuriser son exercice représente une défaite de la démocratie [Préconisation n°11]. Le recours à des mesures d’assignation à résidence permises par la loi relative à l’état d’urgence à l’encontre d’activistes suspectés de vouloir perturber le bon déroulé de la COP21 à Paris en novembre 2015, s’inscrivait dans un contexte exceptionnel où les forces de l’ordre du pays, mobilisées à rechercher les auteurs des attentats de Paris, ne pouvaient sécuriser concomitamment des manifestations d’ampleur en marge de la Conférence sur le climat. Passée la sidération des attentats du 13 novembre, plus rien ne justifie des restrictions administratives analogues à la liberté individuelle de manifestation[23] D’aucuns s’interrogent sur l’instauration d’une obligation de pointage au commissariat ou en brigade de gendarmerie pour des individus condamnés par la justice pour des faits de violence … Continue reading.
A contrario, l’efficacité des mesures de contrôle aux abords des manifestations à risque (contrôles d’identité, fouille des véhicules, inspection visuelle et fouille des bagages) sur le niveau de violence des manifestations n’est pas en cause. Ces mesures permettent la confiscation des armes par destination et l’éloignement des individus violents et garantissent ainsi la sécurité des manifestations.
L’honneur de la République et de ses forces de l’ordre consiste en la garantie de liberté de manifester y compris lorsque son exercice leur impose un défi sécuritaire. Ce n’est qu’en le relevant que les forces de l’ordre gagneront la bataille de la légitimité de leur action.
Eriger la déontologie et l’exemplarité en principes fondamentaux de l’action des forces de l’ordre
La conquête de la légitimité des forces de l’ordre passe par un respect strict de la déontologie dans un objectif d’exemplarité permanente. A droit constant, la vigilance sur les points de règlement suivants aurait pour effet le rehaussement immédiat du capital confiance des forces de l’ordre :
- Port systématique et visible du numéro dit RIO (Référentiel des identités et de l’organisation), en particulier par les policiers opérant en civil. Même si elles sont compréhensibles, les réticences des forces de l’ordre doivent tomber. Dans une instruction du 9 juin 2016 adressée aux préfets, Bernard Cazeneuve le rappelait en ces termes : « la dissimulation volontaire du numéro RIO, en contravention avec la règle, nourrit l’idée que certains redoutent d’être identifiés parce qu’ils agiraient de manière inappropriée. Ces pratiques, si elles existent, doivent être formellement proscrites ». [Préconisation n°12]
- La limitation du port de la cagoule aux seules unités habilitées à la revêtir[24] Arrêté du 7 avril 2011 relatif au respect de l’anonymat de certains fonctionnaires de police et militaires de la gendarmerie nationale. au titre de la protection de leur anonymat aiderait à réduire le sentiment de suspicion que nourrissent les manifestants envers des policiers dont ils ne peuvent voir le visage [Préconisation n°13]. En contrepartie, l’accroissement des sanctions à l’encontre des manifestants cagoulés paraît souhaitable[25] L’article 3 de la loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public crée une amende du même montant que les contraventions de la … Continue reading [Préconisation n°14].
- L’application systématique de sanctions disciplinaires à l’égard des membres des forces de l’ordre porteurs de symboles, accessoires ou insignes non conformes à l’exigence de neutralité et de nature à dégrader l’image de la police et de la gendarmerie nationales (têtes de mort, insignes à caractères politiques, etc.) [Préconisation n°15].
- La sensibilisation des forces de l’ordre lors des réunions préparatoires à l’encadrement d’une manifestation concernant la nécessité impérieuse du respect des règles de courtoisie qui gouvernent les adresses verbales aux manifestants, a fortiori dans un contexte opérationnel où les prises d’images sont légales, multiples et continues [Préconisation n°16].
Se garder de toute judiciarisation excessive du maintien de l’ordre
La violence accrue qui accompagne certaines des manifestations publiques depuis deux ans a pu conduire des préfets à exiger l’augmentation du nombre d’arrestations, conduisant, en quelques mois, à une judiciarisation excessive de l’ordre public. A titre d’exemple, le 22 mai 2018, 128 personnes ont été interpellées en marge de la manifestation des fonctionnaires, et 101 le seront dans la soirée lors de l’évacuation du lycée Arago. Le 26 mai, 43 personnes sont arrêtées lors de la « Marée populaire ». De même, journée emblématique à bien des égards, le 1er mai 2018 se solde par le placement en garde à vue de 109 personnes. Trois mois plus tard, le Directeur de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne (DSPAP) convient, dans un courrier adressé au Procureur de la République et daté du 25 juillet 2018, que ces 109 interpellations ont inutilement engorgé le poste de police chargé de les prendre compte, au point qu’une grande partie des personnes interpellées a finalement été libérée sans poursuites.
La judiciarisation du maintien de l’ordre, outre qu’elle contrarie la doctrine en forçant le contact à des fins de massification des interpellations, ne présente pas de plus-value opérationnelle. Au contraire, elle accroît la pression sur les services de police judiciaire alors même que la matérialisation des délits, compliquée par les conditions d’interpellation nécessite un travail d’investigation poussé. De fait, les obstacles à la judiciarisation du maintien de l’ordre sont bien identifiés des policiers et gendarmes :
- l’application des règles de procédure pénale est plus compliquée dans le cas de manifestations : le gel des lieux est difficile à réaliser, la massivité des manifestants complique les relevés d’identité… ;
- les infractions sont souvent commises par plusieurs auteurs sans qu’il soit possible d’établir formellement la responsabilité individuelle d’un auteur en particulier ;
- de même, les attroupements, la similitude des tenues vestimentaires des casseurs, les visages masqués constituent autant d’obstacles aux constatations ;
- en cas d’interpellation, sur le plan purement opérationnel, les unités de force mobile doivent mobiliser des personnels pour présenter les personnes interpelées à un OPJ. Cela explique la réticence des unités de force mobile à procéder à des interpellations et ce d’autant plus qu’elles sont prioritairement mobilisées pour dissiper un attroupement, ou mettre fin à la commission d’infractions.
La judiciarisation doit donc demeurer à sa juste place : celle d’arrestations ciblées de nature à faciliter le travail d’investigation judiciaire, la mise sous écrou et le jugement des personnes arrêtées [Préconisation n°17]. En cela, de nouveaux dispositifs pourraient faciliter ces arrestations ciblées telles que l’intégration d’Officiers de police judiciaire (OPJ) dans les manœuvres des UFM[26] Bien que des agents des UFM puissent bénéficier de la qualité d’APJ ou d’OPJ, un maintien de l’ordre les prive de ces prérogatives. L’intégration d’OPJ extérieurs permettraient de … Continue reading [Préconisation n°18]. La tendance actuelle qui consiste à procéder à des interpellations de masse, à rebours du discours modéré du précédent ministre de l’Intérieur[27] Discours de Gérard Collomb à Saint-Astier le 8 juin 2018 : « notre objectif ne doit pas être d’interpeller pour interpeller mais au contraire de recueillir les preuves nécessaires … Continue reading, est constitutive d’une dérive à laquelle il convient de mettre un terme.
Adapter l’usage des armes aux situations en élargissant leur variété
La question de l’armement des UFM s’avère la plus sensible au regard de l’histoire récente du maintien de l’ordre. Elle revêt pourtant une dimension absolument stratégique.
Les armes du maintien de l’ordre
Les dispositions réglementaires du maintien de l’ordre encadrent l’usage de la force selon un principe de proportionnalité à l’effet recherché et d’absolue nécessité rappelé à l’article R. 211-13 ou R434-18 du code de la sécurité intérieure, et réaffirmé dans de nombreuses instructions[28] L’instruction conjointe de la Direction générale de la police nationale (DGPN) n°2015-1959-D et de la Direction générale de la gendarmerie nationale n°31762 du 22 avril 2015 relative à … Continue reading. Ainsi, une fois les sommations effectuées, si les manifestants ne se dispersent pas ou si des délits continuent d’être commis, les forces de l’ordre peuvent-elles utiliser, sur ordre et sous contrôle (commissaire de police, commandant du groupement de gendarmerie départementale, préfet etc.), une série de moyens de contraintes qui vont de la simple action physique (pousser, encager) à la charge avec utilisation de tonfas ou diffuseurs lacrymogènes ou, dans les situations les plus critiques, l’utilisation de grenades[29] Circulaire DGPN du 8 novembre 2012. (énumération qui correspond à la catégorie des Armements de force intermédiaire (AFI)[30] Le cas très spécifique des lanceurs de balles de défense (LBD 40, version majoritairement en vigueur et connue sous l’appellation générique « Flash Ball ») est abordé plus loin.).
Concernant le cas particulier des grenades : celles-ci sont conçues pour être non-létales et favoriser la dispersion – sans blessures – après sommations. Leur utilisation est également graduée[31] Les grenades offensives, en dotation uniquement dans la Gendarmerie nationale, ne sont plus utilisées aujourd’hui. : grenades lacrymogènes projetant un gaz incapacitant ; grenades de désencerclement (GMD), projetant à l’explosion des galets de caoutchouc tout en produisant un effet sonore de souffle ; grenades lacrymogènes instantanées (GLI), provoquant un double effet sonore de souffle (165 décibels) et diffusant un gaz lacrymogène incapacitant. Toutefois, leur usage occasionne des blessures qu’on ne saurait minimiser ou, pire, nier. Au-delà du cas de Rémi Fraisse, décédé à Sivens à la suite de l’usage d’une grenade offensive par un gendarme[32]« Rapport d’enquête administrative relative à la conduite des opérations de maintien de l’ordre dans le cadre du projet de barrage de Sivens (Tarn) », remis par l’IGGN en 2015., on déplore plusieurs blessés à la suite d’usage de grenades lors de manifestations récentes.
De fait, dans son rapport de décembre 2017, le Défenseur des droits souligne que : « le recours aux armes de force intermédiaire dans les opérations de maintien de l’ordre soulève des problématiques récurrentes liées à la gravité des blessures qu’elles occasionnent et au manque de transparence dans leurs conditions d’utilisation » avant de recommander « qu’une étude sur l’usage des armes de force intermédiaire, autres que les lanceurs de balles de défense, dans la gestion de l’ordre public, soit réalisée sous son égide ». Mais, comme le souligne le rapport conjoint de l’IGPN et de l’IGGN du 13 novembre 2014 relatif à l’emploi des munitions en opérations de maintien de l’ordre[33] Rapport conjoint IGGN (n°3735) et IGPN (n°14-1899-I) du 13 novembre 2014 « relatif à l’emploi des munitions en opérations de maintien de l’ordre », il n’existe pas à ce jour « de solution « sans danger », immédiatement disponible et déployable » avant de rappeler qu’en France « les dommages graves […] sont rarissimes au regard des conditions parfois très dures d’engagement ».
Néanmoins, le cas spécifique du lanceur de balle de défense LBD 40 mérite examen. Armement de force intermédiaire non létal, il projette une balle rigide en caoutchouc non perforante mais à fort pouvoir d’arrêt sur la personne touchée. Fréquemment utilisée dans le cas de violences urbaines, cette arme occasionne des blessures graves, comme l’énucléation, et présente le défaut majeur de la difficile appréciation de la bonne distance de tir par celui qui en fait usage[34] Défenseur des droits, loc. cit.. Dans la mesure où la conception de cette arme répond à un objectif de neutralisation d’un individu menaçant ou commettant un délit, son intégration dans la variété d’armements propres au maintien de l’ordre se justifie difficilement. En effet, dans un contexte de gestion des foules où les individus violents, très mobiles, se mêlent aux manifestants, l’utilisation du LBD40 s’avère dangereuse et les risques de dommages collatéraux élevés. Alors que la Préfecture de Police de Paris a mis fin à l’utilisation de cette arme dans le seul cadre d’opérations de maintien de l’ordre, le ministre de l’Intérieur pourrait étendre cette mesure à l’ensemble du territoire [Préconisation n°19]. L’arme resterait en dotation mais ne pourrait être utilisée en maintien de l’ordre à la différence d’autres types de missions (sécurité publique notamment).
Enfin, l’usage des armes ne saurait intervenir dans le cadre d’un maintien l’ordre et n’est possible qu’en cas de légitime défense du membre des forces de l’ordre (risque exceptionnel d’atteinte à sa vie) ou d’un citoyen (agression avec risque exceptionnel d’atteinte à sa vie par exemple). A ce titre, la prévention du risque exceptionnel d’atteinte à la vie humaine, exacerbé par le niveau élevé de menace terroriste depuis 2015, explique la dotation des forces de l’ordre en fusils d’assaut HK-G36.
La dangereuse hypothèse d’un désarmement des UFM
Face aux blessures occasionnées par le recours aux armements de force intermédiaire, la tentation est grande de vouloir en réduire à la fois la variété et les cas d’usage. Cependant, le désarmement des forces de l’ordre ne constitue pas une option [Préconisation n°20]. En effet, cela reviendrait à :
- les exposer plus encore à des risques de blessure et ce d’autant que manifestation après manifestation, les chiffres attestent de l’exposition croissante des forces de l’ordre aux risques de blessures graves. Car la restriction de la variété des armements de force intermédiaire facilite la mise en œuvre de parades par les manifestants violents (port de masques de chantier, de bouchons d’oreilles et de lunettes de piscine). Si bien que seul l’effet souffle de certaines grenades produit encore la sidération susceptible d’occasionner une dispersion sans contact physique. Or, laisser se généraliser l’emploi des grenades à effet sonore de souffle pour ensuite déplorer les blessures qu’elles occasionnent et réclamer leur interdiction sans présager des surcroîts de violence qu’une telle mesure engendrerait, est un schéma aporétique.
- modifier dangereusement une doctrine d’emploi fondée sur le maintien d’une distance physique entre les forces de l’ordre et les manifestants. Cela contraindrait les forces de l’ordre à privilégier le recours au tonfa et à la charge, à l’origine d’un contact physique systématique et de nature à occasionner des blessures graves à l’ensemble des parties prenantes. D’ailleurs, s’inspirant du modèle allemand, le Défenseur des Droits privilégie lui aussi les doctrines d’emploi fondées sur le maintien de la distance physique : « La doctrine allemande du maintien de l’ordre oscille entre, d’une part, le maintien à distance des fauteurs de trouble avec, notamment, l’emploi important d’engins lanceurs d’eau et, d’autre part, la recherche du contact avec des manœuvres de force et de saturation de l’espace, notamment à des fins d’interpellations. Cette seconde tactique est susceptible de provoquer de nombreux blessés, qu’il s’agisse de manifestants ou de membres des forces de l’ordre ».
Par conséquent, il convient de toujours privilégier la temporisation du contact afin de ne pas donner aux manifestants violents des motifs d’affrontement. De ce point de vue, l’usage des lanceurs d’eau permet de répondre à ces problématiques à la fois de protection des forces de l’ordre et des manifestants. Les UFM devraient en être systématiquement équipées [Préconisation n°21].
De surcroît, il conviendrait d’accroitre la variété des armements disponibles et de leur cas d’usage. Pour ce faire, la conduite d’un travail prospectif sur le recours à des armements complémentaires non létaux et s’inscrivant dans la doctrine du maintien de l’ordre à la française permettrait de dépassionner le débat de postures [Préconisation n°22].
Les véhicules dans le maintien de l’ordre
Enfin, il ne faut pas négliger la capacité blindée de la gendarmerie (Véhicules blindés à roues de la gendarmerie ou VBRG) car elle fait partie des moyens à disposition de l’État pour assurer le maintien ou le rétablissement de l’ordre public. Ces véhicules constituent un outil intermédiaire entre les outils civils de la gendarmerie et de la police nationales, et les moyens des trois armées. Ils peuvent intervenir tant sur des situations dégradées en matière d’ordre public (comme à Notre-Dame-Des-Landes) que sur des opérations d’assistance et de secours des populations (St-Martin après le passage de l’ouragan Irma en 2017). Permettant de renverser un rapport de force défavorable et de protéger efficacement les forces de l’ordre, les 71 VBRG (complétés par 20 VAB) constituent une flotte vieillissante, mise en service en 1974 ! Dans leur rapport pour avis sur les crédits de la Gendarmerie nationale en 2017, les sénateurs Philippe Paul et Yannick Vaugrenard ont d’ailleurs rappelé l’état d’usure avancée de ces matériels, ne survivant qu’au moyen de la « cannibalisation[35] Pratique qui consiste à prélever des pièces de rechange sur un premier véhicule pour assurer la maintenance d’un second. » des véhicules réformés. Aussi est-il urgent de procéder à leur renouvellement, en menant au préalable une réflexion sur les capacités dont cette force blindée devra disposer pour être pleinement adaptée au maintien de l’ordre du XXIe siècle [Préconisation n°23].
De manière générale, force est de constater que si les budgets en matière d’équipement (grenades et protections individuelles) sont généralement constants, les véhicules sont systématiquement sacrifiés. Ceux des CRS parcourent 75 millions de kilomètres par an et ne sont changés que… tous les huit ans. Des efforts budgétaires sur ce point s’avèrent absolument nécessaires [Préconisation n°24].
Privilégier l’effet de masse et la technicité
L’Histoire du maintien de l’ordre français montre à quel point l’effet de masse permet d’éviter les incidents graves. A ce titre, cinquante ans après Mai 1968, le constat du préfet de Police Maurice Grimaud aux termes duquel faire intervenir les policiers et gendarmes en masse permet une prise d’ascendant sur les manifestants de nature à éviter le recours disproportionné à la force, n’a rien perdu de son actualité[36] Maurice GRIMAUD, En mai fais ce qu’il te plait, Paris, Stock, 1977, 343 p.. Car, en sous-nombre, redoutant pour leur intégrité physique, les forces de l’ordre sont davantage sujettes à l’excès de violence par réflexe défensif. De même, la présence de petits groupes de policiers et gendarmes proches des manifestants induit des effets contre-productifs. En effet, lors des manifestations dites de la « loi travail », les petits groupes policiers avaient pour mission de protéger certains établissements jouxtant le parcours de la manifestation. Trop peu nombreux pour dissuader certains individus violents de les prendre à partie, ils avaient souvent été mis en difficulté[37] Cf. Fabien JOBARD, « Extension et diffusion du maintien de l’ordre en France », Vacarme, vol. 77, n° 4, 2016, p25.. Cette trop forte proximité crée donc de la violence. D’une manière générale, seul l’effet de masse permet la pleine application du principe de mise à distance caractéristique du maintien de l’ordre à la française.
Or, les réductions de postes de fonctionnaires de police et de gendarmes[38] Voir notre contribution précitée dans Le Monde du 12 octobre 2018. couplées à l’augmentation des violences qui accompagnent les manifestations publiques depuis deux ans, affaiblissent les capacités des forces de l’ordre à mettre en œuvre le principe d’effet de masse. Or, indispensable au succès des opérations de maintien de l’ordre, l’effet de masse commande cependant que lui soient consacrés les moyens humains et matériels adaptés. Pour cela, un double niveau d’investissement s’impose : l’augmentation de la disponibilité des UFM d’une part, et, d’autre part, la création, dans chaque département, d’une ou plusieurs unités théoriques de maintien de l’ordre, pour constituer un nouvel outil intermédiaire au service du corps préfectoral.
Réduire les emplois indus des Unités de force mobile (UFM) et accroître les recrutements
En 2018, la France compte 168 UFM : 108 Escadrons de gendarmerie mobile (EGM), 60 Compagnies républicaines de sécurité (CRS), 6 Compagnies d’intervention (CI) de la Préfecture de police de Paris. Ce nombre s’avère très largement insuffisant au regard de la variété et de l’intensité des missions qu’exercent ces forces, très au-delà des seules opérations de maintien de l’ordre. D’ailleurs, dans son rapport annuel de 2017, la Cour des Comptes souligne que les missions des forces mobiles « ne cessaient de se diversifier et que la diminution de leurs effectifs était mise en application. En conséquence, [leur] niveau d’emploi a pratiquement atteint sa limite »[39] Rapport annuel de la Cour des Comptes (2017) : « L’emploi des forces mobiles de la police et de la gendarmerie nationales : des capacités en voie de saturation, un pilotage à … Continue reading. Et de fait, on assiste concomitamment à :
*Une accaparante diversification des missions. Pour les CRS, la lutte contre l’immigration irrégulière occupe tous les jours 12 des 40 unités quotidiennement disponibles (par exemple présentes à Hendaye, Calais ou Menton) ; les 12 autres se consacrent à la sécurité parisienne et le même nombre à la police de sécurité du quotidien à Lille, Lyon, Marseille, Toulouse ou en Corse[40] Dans le rapport précité, la Cour des Comptes dénonçait une situation similaire avec des chiffres datant de 2015. Selon elle, le plan Vigipirate et la garde statique de bâtiments publics … Continue reading.
Quant aux EGM, les missions dites permanentes[41] Ces missions regroupent les « missions Outre-Mer » (21 EGM), la lutte contre l’immigration clandestine (5,5 EGM), les renforts à la sécurisation des institutions (dont 3 EGM pour les … Continue reading accaparent près de 44 EGM par jour, soit 68% de la capacité opérationnelle[42] C’est-à-dire le seuil d’emploi des EGM permettant en outre d’assurer les droits de repos et de permissions aux gendarmes mobiles.. En outre, ils servent opportunément à renforcer des brigades de gendarmerie sur le territoire.
De fait, les Unités de forces mobiles (UFM) restent la « réserve de main d’œuvre » de la police et de la gendarmerie nationales. Cela réduit nécessairement leur potentiel opérationnel, affaiblissant d’autant leur capacité à faire face efficacement à un regain de violences en manifestation ou à des incidents majeurs. En définitive, pour donner corps aux discours politiques, notre pays sacrifie sa capacité de maintien de l’ordre et surexpose ceux qui y consacrent leur vie.
*Une intense sollicitation : les grands rassemblements ont mis à jour de sérieuses limites. Lors de la COP 21, 100 UFM ont été engagées, soit 60% du potentiel français ! L’Euro 2016 n’aurait quant à lui tout simplement pas pu se tenir sans le concours de la sécurité privée, preuve de l’absence d’autosuffisance des UFM en la matière. Enfin, l’évacuation de Notre Dame Des Landes a engagé 25 EGM et plusieurs CRS de nombreuses semaines durant. L’engagement de la gendarmerie mobile pour la sécurité des Outre-Mer se situe, depuis fin 2017, à un niveau quotidien de 21 EGM, sans qu’une baisse des besoins opérationnels ne soit réellement envisageable dans les prochaines années.
*Et une baisse drastique des effectifs non compensée. En effet, la politique de Révision générale des politiques publiques (RGPP) menée sous la présidence de Nicolas Sarkozy a conduit à la dissolution de 15 EGM et la suppression de 2 000 postes au sein des CRS sans que les effets n’aient été compensés depuis, ou trop peu. A ce titre, le plafond d’emplois des CRS en 2018 s’élève théoriquement à 13 700, contre 15 000 en 2008, et seuls 13 000 policiers œuvrent effectivement au sein des CRS). Car, au-delà des effets de la saignée des années 2007-2012, 40 CRS partent en retraite chaque mois et les affectations en sortie d’école cette année ne permettent guère de compenser le déficit [43] Cinq affectations contre 60 l’an passé. Les gardiens de la paix sont aujourd’hui prioritairement affectés à la PP, dans les QRP, pour armer les nouveaux CRA de la PAF ou au sein du SCRT..
Les conséquences de cette pénurie d’effectifs s’observent au travers de :
- la forte réduction de la formation (moins de 25 jours de formation par an depuis 2013 pour les CRS et les EGM) ;
- l’explosion du nombre d’heures supplémentaires (appelées « récupération physiologique journalière » en gendarmerie) et, au-delà, de l’amplitude horaire des missions effectuées ;
- la faible résilience des UFM, en particulier chez les CRS dont le nombre de personnels par compagnie a diminué : fonctionnant souvent à 3 sections au lieu de 4, la compagnie peut difficilement garantir sa résistance en cas de nombreux blessés ;
- la fatigue – voire l’exaspération – croissante des personnels : par exemple, un gendarme mobile aura passé, en 2017, en moyenne 199 jours en missions dont 156 déplacements hors résidence ;
- la baisse de la capacité de réaction rapide en cas de crise sur le territoire national (catastrophe naturelle, émeutes, attaque terroriste, etc.) car la proportion d’UFM disponibles dans un bref délai a chuté de 5 à 2%, soit moins de 300 policiers et gendarmes pour l’ensemble de la France !
Face à ce constat, une politique favorable au maintien de l’ordre consisterait à supprimer une partie des « missions permanentes » des UFM, en particulier les gardes statiques, les patrouilles Vigipirate, les transfèrements judiciaires et tout ou partie des missions relevant des ZSP [Préconisation n°25]. Autrement dit, les UFM ne doivent plus servir de force supplétive destinées à pallier une déflation constante des effectifs des unités territoriales mal assumée par le ministre de l’Intérieur.
S’agissant en particulier des missions ZSP, l’intervention dans ces zones des CRS ou des EGM en lieu et place des unités locales contribue inutilement à tendre les relations police-population, renforçant le sentiment « d’occupation », de défiance voire de « militarisation » de la sécurité publique[44] Voir Sébastian ROCHE, De la police en démocratie, Paris, Grasset, 2016, 384 p.. Les UFM n’ont pas vocation à connaître les spécificités des territoires sur lesquelles elles interviennent, contrairement aux policiers et gendarmes locaux, ce qui peut aboutir à des conséquences regrettables.
La poursuite de la politique de rehaussement des effectifs engagée en 2012[45] Entre 2012 et 2017, la majorité socialiste a relevé les plafonds d’emplois autorisés pour la Police et la Gendarmerie nationales de 8 800 ETP et de 9 700 ETPT sur 2013-2017, soit cinq … Continue reading [Préconisation n°26], combinée à une meilleure utilisation de la réserv opérationnelle de la gendarmerie nationale [Préconisation n°27] et à la création d’une véritable réserve opérationnelle de la police nationale [Préconisation n°28], libèreraient les UFM de ces missions auxquelles elles n’ont pas été formées. Elles pourraient ainsi se recentrer sur leurs missions de sécurisation opérationnelle ponctuelle (événements sportifs, renforts saisonniers dans les stations balnéaires, événements internationaux), de maintien de l’ordre et de réponse aux crises (catastrophes naturelles, attentats terroristes, etc.).
En effet, l’accroissement de leur taux de disponibilité y compris dans une logique de meilleure équité entre les territoires, passe par la réouverture d’une dizaine d’escadrons de gendarmerie mobile. Le statut militaire des EGM assure une bonne polyvalence territoriale de ces unités et la vie en caserne accroît leur disponibilité en cas de crise.
Créer des unités de maintien de l’ordre dans tous les territoires et accroître la formation au MO de l’ensemble des forces de l’ordre
Le maintien de l’ordre constitue une spécialité moralement éprouvante pour les policiers et gendarmes qui l’exercent. Les personnels subissent insultes et jets de projectiles tout en ayant pour consigne de tenir une position et de ne pas intervenir, cela pendant plusieurs heures. Il y a là de quoi dérouter n’importe quel personnel non-expérimenté. C’est la principale raison de la spécialisation des UFM, chez qui la nécessaire graduation des moyens de force repose sur une bonne formation des agents combinée à une solide chaine hiérarchique. A ce titre, les agents formés au maintien de l’ordre ne peuvent agir seuls et sur initiative. La garantie de la liberté fondamentale de manifestation implique que seule l’autorité civile juge de l’opportunité du recours à la force. La Préfecture de police de Paris dispose dans cet objectif d’une salle de commandement spécialisée dans l’ordre public (le CIC-OP).
Dans les métropoles (Paris, Marseille, Lyon, Strasbourg), mais également dans certains territoires sensibles ou dans les territoires d’outre-mer, les UFM sont systématiquement déployées lors des manifestations, de sorte à garantir le niveau de professionnalisme qu’exige la situation. Mais le maillon faible de l’ordre public français est constitué des villes de taille moyenne et des communes situées en zone rurale où les préfets en poste peuvent tous attester de la difficulté d’obtenir des UFM en nombre suffisant pour faire face à l’ampleur d’une contestation. L’Unité de coordination des forces mobiles (UCFM) ne dispose que d’une enveloppe limitée d’UFM disponibles.
En conséquence, policiers et gendarmes locaux – BAC, PSIG – assument souvent les missions de maintien de l’ordre, alors qu’ils n’ont été que peu préparés à cela. Comme le note le Défenseur des Droits, ces unités non-formées au maintien de l’ordre, employées en sous-nombre dans des situations auxquelles elles ne sont pas préparées, font souvent preuve d’une grande violence à l’égard des manifestants.
Une solution consisterait en la création d’unités théoriques de maintien de l’ordre, à même de garantir une meilleure équité entre les territoires [Préconisation n°29]. Dans chaque département, les préfets appuyés du DDSP et du commandant de groupement de gendarmerie, identifieraient un certain nombre d’agents susceptibles d’être mobilisés pour des missions de maintien de l’ordre et qui suivraient une formation pour laquelle les rôles de chacun seraient déjà définis : bouclier, grenade, chauffeur, commandant de peloton/section, etc. Chaque agent[46] En réalité, du fait du roulement des agents en service dans les brigades/commissariats, il faut identifier plusieurs agents pour un même poste, de manière à être certains qu’un nombre … Continue reading susceptible d’être mobilisé pour une opération de maintien de l’ordre disposerait ainsi de plusieurs journées de formation au maintien de l’ordre chaque année, lui permettant de perfectionner ses connaissances en AFI, en manœuvres, etc. En outre, organiser deux exercices de maintien de l’ordre chaque année en moyenne à l’échelle du commissariat/de la compagnie ou du district /groupement, à la discrétion des DDSP et CGGD, permettrait d’entraîner non seulement les agents d’un point de vue individuel, mais surtout de leur apprendre à agir en unité constituée.
Cette solution d’unités théoriques et non permanentes s’avère idéale pour les départements à trop faible criminalité pour que puisse se justifier la création de compagnies de sécurisation, mais qui pourraient être tout de même confrontées à un risque à l’ordre public (attroupements, blocages de bâtiments, événements sportifs, festifs ou culturels de moyenne importance). L’autorité préfectorale disposerait ainsi d’une force de réaction rapide, capable de faire face à un trouble dans l’attente du renfort d’une UFM. Ce schéma permettrait en outre un usage optimisé des UFM, en évitant leur sur-mobilisation pour des événements de moyenne ampleur.
L’objectif n’est pas de remplacer les UFM, bien au contraire. Il s’agit de créer des unités de force intermédiaire ad hoc capables d’assurer, ponctuellement et sur une courte durée, un maintien de l’ordre de moyenne intensité, un dispositif tout à fait complémentaire de l’intervention des UFM. De cette manière, les policiers et gendarmes amenés de facto à intervenir sur une situation de maintien de l’ordre seraient mieux formés, organisés et équipés qu’actuellement. A ce titre, alors que le blocage des lycées dans un grand nombre de localités françaises en février 2018 a amené des unités non spécialisées des DDSP à intervenir sur une situation de maintien de l’ordre de moyenne intensité, sans formation spécifique ; disposer de telles unités aurait permis d’assurer ces missions dans de meilleurs conditions opérationnelles.
En parallèle, on pourrait envisager une meilleure organisation de l’emploi des UFM avec le maintien d’au moins une UFM en réserve par zone de défense. A ce jour, il n’existe aucune harmonisation géographique de l’emploi des UFM et il n’est pas rare que plusieurs départements limitrophes soient simultanément démunis, rien n’obligeant les CRS et les EGM à croiser leurs plans de charges respectifs [Préconisation n°30].
En outre, la formation à l’utilisation des AFI doit faire l’objet d’une attention particulière [Préconisation n°31]. En effet, on signale régulièrement des cas d’utilisation d’AFI par des personnels non-habilités. Tout personnel dont la fonction au sein de l’unité l’exige, devrait réaliser au moins un recyclage d’une journée par AFI et par an, durant laquelle la doctrine d’emploi sera détaillée, mais également les risques inhérents à l’AFI. Rien ne s’oppose à cet égard à ce que les hiérarchies policière et gendarmique portent la responsabilité de l’effectivité des recyclages de leurs personnels.
Le renforcement de la formation des UFM et forces de l’ordre territoriales, s’il est toujours nécessaire, ne s’avère jamais suffisant si leurs hiérarchies respectives ne bénéficient pas d’une formation spécifique. La proposition du rapport parlementaire de 21 mai 2015 relatif au maintien de l’ordre républicain[47] Rapport n°2794, loc. cit. d’accroître la formation des commissaires de police de la DDSP, officiers de gendarmerie du GGD et des préfets de département, qui sont les autorités civiles naturelles des opérations de maintien de l’ordre, devrait se concrétiser sous l’impulsion du ministre de l’Intérieur [Préconisation n°32]. De même, la proposition de création d’une « task-force » de préfets, d’officiers supérieurs de gendarmerie et de commissaires spécialisés dans le maintien de l’ordre et à même de venir renforcer les préfectures des territoires ruraux faisant face à de forts troubles à l’ordre public, mérite là-encore un intérêt soutenu [Préconisation n°33]. La professionnalisation des unités constitue la garantie ultime du libre exercice d’un droit fondamental au sein des démocraties adultes.
On peut d’ailleurs regretter que le Gouvernement actuel n’aille pas dans cette direction. Dans la Loi de Finances Initiales 2019 de la Police Nationale et de la Gendarmerie Nationale, les budgets formation stagnent voire diminuent. Ainsi, le budget de la Police Nationale sur ce point s’élève à 19,01M€ en 2019, soit une diminution de 14% par rapport à 2018, malgré l’augmentation annoncée des effectifs.
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La garantie de la liberté de manifestation est la marque des démocraties adultes. Sa seule proclamation par la loi du 30 juin 1881 ne suffit pas. Le droit de manifester est un droit vivant, s’il ne vit pas, il meurt. Et comme tout corps vivant, sa résistance aux agressions nécessite des défenses immunitaires. Pourtant, le maintien de l’ordre a trop souvent été cantonné à une approche purement technique (manœuvres, équipement des forces de l’ordre, nombre d’interpellations). Il ne se résume pas à une simple tactique.
Assurer la sécurité de ceux qui exercent leur droit de manifester doit guider les évolutions du maintien de l’ordre à la française. Cette exigence d’adaptation à la démocratie moderne implique deux conceptions doctrinales cumulatives :
- Remettre les manifestants au cœur du processus de maintien de l’ordre : communication améliorée sur place et sur les réseaux sociaux, négociation permanente, déontologie et respect des forces de l’ordre.
- Élargir les moyens mis à disposition des forces de l’ordre, pour leur permettre de lutter efficacement contre les violences. Cela implique non seulement de maintenir toute la gamme des armements intermédiaires mais aussi, et surtout, d’investir substantiellement dans la formation des policiers et gendarmes. L’accroissement de la disponibilité des UFM est enjeu majeur, tandis que la création d’unités intermédiaires en dehors des grandes villes doit permettre d’offrir, dans chaque département, le même niveau de professionnalisme des forces de l’ordre.
Lorsque Eris sème la pomme de discorde, Jupiter ne tranche pas. Pusillanime, il abandonne son rôle au jeune berger Pâris qui, face aux trois déesses en compétition, cède à la promesse individuelle d’un bonheur égoïste. Laissant filer le destin des Hommes comme le sable entre les doigts, Jupiter devient alors le spectateur atone de la sanglante guerre de Troie. Le maintien de l’ordre est d’abord l’expression d’un dynamisme qui oppose au désordre la volonté d’un idéal démocratique. Mais encore faut-il trancher, décider, commander, oser recourir aux instruments de l’ordre pour que les voix de la discorde s’expriment sans désordre. Epine dorsale de la sécurité publique, le maintien de l’ordre se pose en objet de débat public que les démocraties adultes ne doivent pas abandonner aux pouvoirs adolescents.
Synthèse des 33 préconisations
Agir en amont de la commission des violences
Préconisation n°1 : Accroître la veille pour permettre aux préfectures de détecter les rassemblements spontanés en amont et engager un dialogue avec les organisateurs.
Préconisation n°2 : Accroître les sanctions pour participation à une manifestation non autorisée.
Préconisation n°3 : Partager l’expérience de la cellule prospective Synapse (Préfecture de Police) avec la Direction Générale de la Gendarmerie Nationale (CROGEND) et la Direction Générale de la Police Nationale (DCCRS).
Préconisation n°4 : Développer une doctrine de maintien de l’ordre (MO) intégrant la désescalade comme l’un des outils à la disposition des forces de l’ordre.
Préconisation n°5 : Créer une unité de médiation au sein des forces de l’ordre, clairement identifiable et agissant au cœur des manifestations, afin d’établir un dialogue constant avec les manifestants et ainsi légitimer l’action des forces de l’ordre aux yeux du plus grand nombre.
Préconisation n°6 : Communiquer en temps réel sur les réseaux sociaux pendant les manifestations de voie publique pour diffuser des informations sur les événements en cours, lutter contre les rumeurs et légitimer l’action de l’État.
Préconisation n°7 : Faciliter les échanges entre autorités et organisateurs des manifestations au cours de celles-ci par le biais d’applications numériques.
Préconisation n°8 : S’assurer de la bonne communication des forces de l’ordre entre elles.
La légitimité démocratique au service de l’efficacité opérationnelle
Préconisation n°9 : Réaménager la procédure de sommation pour permettre d’intégrer des moyens de communication plus efficaces (panneaux de signalisation) et plus détaillés.
Préconisation n°10 : Réaffirmer le droit qu’a tout citoyen de filmer ou enregistrer les forces de l’ordre sur la voie publique.
Préconisation n°11 : Abandonner toute velléité de promouvoir des mesures liberticides telles que les interdictions administratives de manifester.
Préconisation n°12 : S’assurer du port systématique du numéro RIO (Référentiel des identités et de l’organisation) pour toutes les forces de l’ordre engagées sur des manifestations de voie publique.
Préconisation n°13 : Limiter le port de la cagoule aux seules unités habilitées à la revêtir pour leur protection.
Préconisation n°14 : Accroître les sanctions pour le port de la cagoule par les manifestants.
Préconisation n°15 : Appliquer systématiquement des sanctions disciplinaires à l’égard des membres des forces de l’ordre porteurs d’insignes non conformes à l’exigence de neutralité et de nature à dégrader l’image de la police et de la gendarmerie.
Préconisation n°16 : Rappeler la nécessité impérieuse de respect des règles de courtoisie et de neutralité vis-à-vis des manifestants et journalistes.
Préconisation n°17 : Mettre un terme à la judiciarisation de masse du maintien de l’ordre pour ne privilégier que les interpellations ciblées.
Préconisation n°18 : Intégrer des officiers de police judiciaire dans les manœuvres des UFM afin d’améliorer la qualité des interpellations ciblées tout en libérant les UFM de la gestion des personnes interpellées.
Adapter l’usage des armes aux situations en élargissant leur variété
Préconisation n°19 : Interdire l’usage du lanceur de balle de défense (LBD 40) sur toutes les opérations de maintien de l’ordre.
Préconisation n°20 : Refuser tout désarmement des forces de l’ordre intervenant sur du maintien de l’ordre.
Préconisation n°21 : Accroître l’usage des lanceurs d’eau en équipant davantage d’UFM.
Préconisation n°22 : Conduire un travail prospectif pour imaginer et développer les armements non létaux de demain.
Préconisation n°23 : Renouveler rapidement la capacité blindée de la gendarmerie nationale en menant une réflexion sur les capacités dont elle devra disposer pour être pleinement adaptée au maintien de l’ordre du XXIe siècle.
Préconisation n°24 : Augmenter le financement en faveur du parc automobile des UFM.
Privilégier l’effet de masse et la technicité
Préconisation n°25 : Supprimer une partie des missions permanentes des UFM, en particulier les gardes statiques, patrouilles Vigipirate, transfèrements judiciaires et tout ou partie des missions de sécurité publique type ZSP ou PSQ.
Préconisation n°26 : Poursuivre la politique de rehaussement des effectifs des UFM engagée depuis 2012.
Préconisation n°27 : Mieux utiliser la réserve opérationnelle de la gendarmerie nationale pour accroître la disponibilité des EGM.
Préconisation n°28 : Créer une véritable réserve opérationnelle de la police nationale pour libérer le potentiel opérationnel des CRS.
Préconisation n°29 : Créer des unités ad hoc dans tous les départements, formées au maintien de l’ordre et mobilisables par l’autorité préfectorale dans l’urgence (dans l’attente de l’arrivée d’UFM) ou pour des événements de voie publique de moyenne intensité.
Préconisation n°30 : Œuvrer à une plus grande harmonisation géographique de l’emploi des UFM.
Préconisation n°31: Porter une attention particulière à la formation à l’usage des AFI, en contrôlant l’effectivité des recyclages par les agents et militaires.
Préconisation n°32 : Accroître la formation au maintien de l’ordre pour les commissaires et officiers de police et de gendarmerie, ainsi que des préfets.
Préconisation n°33 : Envisager la création d’une task-force de préfets et de cadres de la police et de la gendarmerie en mesure de renforcer une préfecture faisant face à un risque de trouble à l’ordre public aigu (constitution ou évacuation d’une ZAD par exemple).
Notes
↑1 | Audition du 22 janvier 2015 de Cédric Moreau de Bellaing, maître de conférence en sociologie à l’Ecole Normale Supérieure, devant la Commission d’enquête chargée d’établir un état des lieux et de faire des propositions en matière de missions et de modalités du maintien de l’ordre républicain, dans un contexte de respect des libertés publiques et du droit de manifestation, ainsi que de protection des personnes et des biens. |
↑2 | Doctrine consistant à faire intervenir des unités professionnalisées – Escadrons de gendarmerie mobile (EGM), Compagnies républicaines de sécurité (CRS) et Compagnies d’intervention (CI) – en masse, selon une gradation des moyens. Leur objectif principal est la mise à distance plutôt que le contact afin d’éviter au maximum les blessés. Jean-Marc Falcone le résume ainsi : « la doctrine française du maintien de l’ordre […] repose sur deux principes simples : prévenir les troubles pour ne pas avoir à les réprimer et éviter l’usage des armes en faisant preuve, jusqu’aux dernières minutes, de calme et de sang-froid » in Compte rendu d’audition du 12 février 2015 devant la commission d’enquête parlementaire précitée. |
↑3 | La suppression des compagnies de district et du peloton de voltigeurs motorisés ou encore l’équipement progressif des forces de l’ordre de protections individuelles rigides (surnommées « tenues Robocop ») sont autant de manifestations concrètes des évolutions du maintien de l’ordre tout au long des années 1970-80-90. |
↑4 | Le sommet de l’OTAN à Strasbourg en 2009 a été l’une des premières actions organisées par la mouvance « black- bloc ». |
↑5 | Voir notre contribution dans Le Monde, le 12 octobre 2018, « Le bilan budgétaire bien maigre de Gérard Collomb Place Beauvau ». |
↑6 | Les auteurs ne méconnaissent pas les réflexions entamées par la police et la gendarmerie nationales à la suite des récents engagements en matière d’ordre public. Dans le cas particulier de la gendarmerie nationale, de nouvelles orientations ont été présentées à l’été 2018 au Centre national d’entraînement des forces de gendarmerie (CNEFG) à Saint-Astier. |
↑7 | La question des territoires d’Outre-mer n’est volontairement pas abordée dans la présente note. Elle fera l’objet d’une publication future. |
↑8 | Le Monde, « 1er mai : 109 personnes en garde à vue après les violences en marge du cortège parisien », 1er mai 2018. |
↑9 | Rapport n°2794, loc. cit., p. 105. |
↑10 | Défenseur des droits, « Le maintien de l’ordre au regard des règles de déontologie », décembre 2017, p. 48. |
↑11 | Good Practice for DIAlogue and Communication as Strategic Principles for Policing Political Manifestations in Europe. Ce projet européen postule que l’usage indiscriminé et non concerté de la force augmente le risque de trouble à l’ordre public. |
↑12 | Rapport n°2794, loc. cit., p. 114-117. |
↑13 | La France pourrait ainsi s’inspirer des officiers de dialogue suédois, de l’event police danoise, des peace units néerlandaises et surtout des Anti-Konflikt-Team allemandes. En Allemagne, ces unités n’agissent cependant qu’à l’occasion de manifestations non violentes et se retirent au premier mouvement de foule pour faire place aux unités classiques de maintien de l’ordre. Il faut toutefois noter que la doctrine du « black bloc », dont le principal objectif consiste à occuper la voie publique dans la durée et à matérialiser cette occupation par l’organisation de dégradations spectaculaires, exclut tout recours à la médiation. |
↑14 | CREOGN, « Les Black Blocs : Preuves de la mutation de la contestation sociale », note numéro 20, juillet 2016. |
↑15 | Didier JOUBERT, « Libertés, Droit, Désordres : les violences émeutières dans l’espace urbain, dynamique des phénomènes et organisation de la réponse sociale », Thèse de doctorat en droit privé, sous la direction de Xavier PIN, Université Lyon III Jean Moulin, 2017, p. 881. |
↑16 | Dans le cas particulier de l’évacuation de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, la manœuvre « image » a joué un rôle important dans la légitimation de l’action des forces. |
↑17 | Didier JOUBERT, op. cit. |
↑18 | Défenseur des droits, décision MDS 2010-169, 7 février 2012. |
↑19 | Corolairement, les forces de l’ordre enregistrent, dans le cadre prévu par la loi, des images des manifestants dont le visage ne doit jamais être masqué. |
↑20 | Codifiée à l’article L.332-16 du code du sport, l’interdiction administrative de stade permet à un préfet de prononcer à l’encontre d’un supporter une mesure d’interdiction d’accès à un stade lors de manifestations sportives, lorsque, par son comportement d’ensemble, par la commission d’un acte grave à l’occasion de l’une de ces manifestations, du fait de son appartenance à une association ou groupement de fait ayant fait l’objet d’une dissolution en application de l’article L.332-18 du même code ou du fait de sa participation aux activités qu’une association ayant fait l’objet d’une suspension d’activité s’est vue interdire en application du même article, constitue une menace pour l’ordre public. |
↑21 | Rapport n°2794, loc. cit.. p.112-113. |
↑22 | Si l’article L211-13 du Code de la sécurité intérieure prévoit déjà des dispositions similaires, il s’agit d’une peine complémentaire. |
↑23 | D’aucuns s’interrogent sur l’instauration d’une obligation de pointage au commissariat ou en brigade de gendarmerie pour des individus condamnés par la justice pour des faits de violence lors de manifestations. Cette proposition mérite toutefois un examen juridique approfondi et ne saurait correspondre à une mesure administrative. |
↑24 | Arrêté du 7 avril 2011 relatif au respect de l’anonymat de certains fonctionnaires de police et militaires de la gendarmerie nationale. |
↑25 | L’article 3 de la loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public crée une amende du même montant que les contraventions de la deuxième classe, soit 35 euros. |
↑26 | Bien que des agents des UFM puissent bénéficier de la qualité d’APJ ou d’OPJ, un maintien de l’ordre les prive de ces prérogatives. L’intégration d’OPJ extérieurs permettraient de remédier à ce problème. |
↑27 | Discours de Gérard Collomb à Saint-Astier le 8 juin 2018 : « notre objectif ne doit pas être d’interpeller pour interpeller mais au contraire de recueillir les preuves nécessaires à une judiciarisation effective ». |
↑28 | L’instruction conjointe de la Direction générale de la police nationale (DGPN) n°2015-1959-D et de la Direction générale de la gendarmerie nationale n°31762 du 22 avril 2015 relative à l’emploi du pistolet à impulsions électriques (PIE), des lanceurs de balles de défense (LBD) de calibre 40 et 44mm, de la grenade à main de désencerclement (GMD) et de la grenade lacrymogène instantanée (GLI) rappelle notamment : « quel qu’en soit le fondement juridique, l’usage de la force, y compris armée, est soumis aux principes de nécessité et de proportionnalité » p. 2. |
↑29 | Circulaire DGPN du 8 novembre 2012. |
↑30 | Le cas très spécifique des lanceurs de balles de défense (LBD 40, version majoritairement en vigueur et connue sous l’appellation générique « Flash Ball ») est abordé plus loin. |
↑31 | Les grenades offensives, en dotation uniquement dans la Gendarmerie nationale, ne sont plus utilisées aujourd’hui. |
↑32 | « Rapport d’enquête administrative relative à la conduite des opérations de maintien de l’ordre dans le cadre du projet de barrage de Sivens (Tarn) », remis par l’IGGN en 2015. |
↑33 | Rapport conjoint IGGN (n°3735) et IGPN (n°14-1899-I) du 13 novembre 2014 « relatif à l’emploi des munitions en opérations de maintien de l’ordre » |
↑34 | Défenseur des droits, loc. cit. |
↑35 | Pratique qui consiste à prélever des pièces de rechange sur un premier véhicule pour assurer la maintenance d’un second. |
↑36 | Maurice GRIMAUD, En mai fais ce qu’il te plait, Paris, Stock, 1977, 343 p. |
↑37 | Cf. Fabien JOBARD, « Extension et diffusion du maintien de l’ordre en France », Vacarme, vol. 77, n° 4, 2016, p25. |
↑38 | Voir notre contribution précitée dans Le Monde du 12 octobre 2018. |
↑39 | Rapport annuel de la Cour des Comptes (2017) : « L’emploi des forces mobiles de la police et de la gendarmerie nationales : des capacités en voie de saturation, un pilotage à renforcer ». |
↑40 | Dans le rapport précité, la Cour des Comptes dénonçait une situation similaire avec des chiffres datant de 2015. Selon elle, le plan Vigipirate et la garde statique de bâtiments publics consommaient chaque jour le nombre excessif de 11 unités. Elle estimait également que l’ensemble des « missions permanentes » (ZSP, Vigipirate, plan de lutte contre l’atteinte aux biens) consommait 34 unités de CRS par jour, soit 83% du potentiel opérationnel de la DCCRS. |
↑41 | Ces missions regroupent les « missions Outre-Mer » (21 EGM), la lutte contre l’immigration clandestine (5,5 EGM), les renforts à la sécurisation des institutions (dont 3 EGM pour les juridictions parisiennes) et des installations militaires (escortes militaires, île Longue…). |
↑42 | C’est-à-dire le seuil d’emploi des EGM permettant en outre d’assurer les droits de repos et de permissions aux gendarmes mobiles. |
↑43 | Cinq affectations contre 60 l’an passé. Les gardiens de la paix sont aujourd’hui prioritairement affectés à la PP, dans les QRP, pour armer les nouveaux CRA de la PAF ou au sein du SCRT. |
↑44 | Voir Sébastian ROCHE, De la police en démocratie, Paris, Grasset, 2016, 384 p. |
↑45 | Entre 2012 et 2017, la majorité socialiste a relevé les plafonds d’emplois autorisés pour la Police et la Gendarmerie nationales de 8 800 ETP et de 9 700 ETPT sur 2013-2017, soit cinq exercices ; in Rapport conjoint IGA IGF, « Évolution des effectifs de la police et de la gendarmerie nationales », février 2017. Pour la seule année 2016, 22 pelotons de gendarmerie mobiles ont été créés et ont permis de renforcer 22 escadrons. |
↑46 | En réalité, du fait du roulement des agents en service dans les brigades/commissariats, il faut identifier plusieurs agents pour un même poste, de manière à être certains qu’un nombre suffisant de policiers/gendarmes soient en service le jour-J. |
↑47 | Rapport n°2794, loc. cit. |