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Des entreprises actrices de la société : propositions pour un nouveau contrat social [Tribune #14]

Directrice des ressources humaines dans le secteur privé Membre du comité directeur de l’Hétairie, en charge du travail et des affaires sociales

L’irruption des outils numériques et la nécessité constante de s’adapter à des changements rapides ont fait voler en éclat l’ordre économique que l’on croyait établi. De fait, l’entreprise doit opérer un profond changement de son organisation comme de son offre de valeur en même temps que repenser sa mission : l’intérêt économique reste essentiel, mais il ne semble plus suffisant. Car l’entreprise doit répondre aujourd’hui à une mission d’intérêt social pour redevenir attractive et le bilan comptable ne saurait demeurer l’indicateur unique de sa santé.

En effet, la société tout entière – consommateurs, usagers, candidats, salariés – attend d’une entreprise qu’elle soit porteuse d’un projet et transmette des valeurs. Tous veulent pouvoir différencier l’impact collectif des entreprises évoluant dans le même secteur d’activité. Cela fait désormais partie intégrante de l’univers concurrentiel dans lequel ces dernières évoluent.

De même, le rapport des travailleurs à leur emploi a considérablement évolué : en témoignent le développement de nouvelles formes d’emploi (micro-entreprenariat, portage salarial, etc.), et la recherche réaffirmée d’un meilleur équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle. Ces évolutions induisent une hyperpersonnalisation croissante des relations de travail. En particulier, la révolution de l’économie numérique conduit à repenser le cadre conceptuel du salariat, la frontière entre le salarié d’une entreprise et un prestataire en mission de longue durée dans cette même entreprise paraissant de plus en plus poreuse[1] La question est d’autant plus légitime que ces derniers doivent, depuis plusieurs années maintenant, se voir proposer l’accès au vote lors des élections des institutions représentatives du … Continue reading.

            Tout cela conduit à penser que le cadre législatif se doit d’accompagner ces mutations.Il peut même être un moteur de cette évolution en favorisant l’émergence de nouveaux outils de régulation.

            En particulier, ce bouleversement du modèle du salariat impose inéluctablement de repenser le principe même des cotisations patronales. Il ne s’agit bien évidemment pas de les supprimer, leur rôle social est primordial et elles sont constitutives de la justice sociale ; mais il convient précisément de renforcer leur rôle social et leur efficience.

            A ce titre, il faut impérativement créer un nouveau contrat social et intégrer les critères de RSE (Responsabilité Sociale et Environnementale) des entreprises dans le calcul de leur barème en indexant par exemple les cotisations patronales sur l’impact social et environnemental de l’entreprise.    

            Certes, la mise en place d’une démarche RSE fait partie des objectifs des grandes entreprises depuis plusieurs années, mais l’obligation de bonne volonté ne suffit plus. : il est plus que jamais nécessaire de passer à une deuxième phase, qui implique une obligation de résultat. Cela permettra également de modifier le rapport de forces entre grandes et petites entreprises et de responsabiliser les dirigeants sur leur rôle dans la société ainsi que l’impact social de leurs décisions. En effet, si la responsabilité morale n’a que peu d’impact face à un collège d’actionnaires, elle est réelle et quotidienne chez le dirigeant de PME qui travaille aux côtés de ses salariés.

Plus précisément, il s’avérerait pertinent d’établir des indicateurs permettant d’octroyer des points (bonus et malus). Ces points majoreraient ou minoreraient les cotisations patronales des entreprises pour les trois années à venir. D’ailleurs, l’État dispose déjà de la majorité des chiffres utiles à ce projet et ces indicateurs à travers la Déclaration Sociale Nominative (DSN).

Dans les faits, les entreprises disposeraient d’un délai de cinq ans afin d’opter pour ce modèle. Durant cette période transitoire, elles resteraient assujetties aux cotisations patronales sur la base des taux actuels.

Aux entreprises, incomberait un travail de déclaration que pourrait venir vérifier un organisme certificateur[2] Celui-ci est notamment décrit dans la proposition de loi entreprise nouvelle et nouvelles gouvernances déposée en décembre dernier par les députés du groupe Nouvelle Gauche Olivier Faure, … Continue reading.

Et, en cas de volonté délibérée de tronquer les déclarations (établie par un contrôle de l’organisme précité), les entreprises se verraient imposer au tarif maximal pour une période de 3 ans.

Ce système, qui aurait vocation à remplacer les dispositifs incitatifs existant sous forme de crédits d’impôts ou de primes diverses, a l’avantage de la simplicité et serait ainsi moins défavorable aux PME et TPE.

Quels indicateurs choisir ?

Dans cette perspective, nous proposons dix indicateurs entrant dans le calcul du barème des cotisations sociales d’une entreprise.

  • Indicateur n°1 : le contrat de travail

Le Contrat à durée indéterminée doit redevenir le socle. Il n’est pas normal qu’une entreprise ayant systématiquement recours à des contrats courts et précaires paie les mêmes cotisations qu’une entreprise plus engagée et qui n’embauche qu’en CDI. Cette première « utilise » plus les cotisations Pôle Emploi, elle se doit donc de voir sa contribution majorée. Toutefois, ce critère pourrait être pondéré en fonction des situations concrètes. Par exemple, un restaurateur de bord de mer, qui ne peut recruter que des saisonniers en raison de son activité, pourrait minorer ses cotisations en travaillant sur d’autres critères : l’embauche de chômeurs longue durée, de travailleurs handicapés (cf. indicateur n°4), un partenariat avec une école pour la formation professionnelle de jeunes (cf. indicateur n°10), un autre avec une association pour le don d’aliments, le tri des déchets (cf. indicateur n°9), etc.

  • Indicateur n°2 : le temps de travail

Le temps complet doit être la mesure de base. Hors congés parentaux et temps partiels thérapeutiques, une entreprise ne doit pas compter, parmi ses effectifs, plus de 5% de contrats à temps partiel. Ces 5% laissent une place suffisante à quelques temps partiels choisis.

  • Indicateur n° 3 : l’écart salarial

Au sein d’une même entité, l’écart entre le plus bas et le plus haut salaire (primes comprises) ne doit pas être supérieur à 20. Si une entreprise a les moyens de rémunérer plus ses dirigeants, elle a également les moyens d’augmenter les bas salaires. Dans le cas contraire, elle est en capacité de payer plus de cotisations

  • Indicateur n°4 : l’inclusion des publics à faible taux d’emploi

 Certaines entreprises ont une démarche volontariste, pour l’emploi des handicapés, des plus de 50 ans, ou encore des chômeurs de longue durée. Est-il normal qu’elles aient le même taux de cotisations patronales qu’une entreprise qui n’emploie aucun de ces publics ?

  • Indicateur n° 5 : les licenciements

L’indicateur pourrait être calculé en fonction du taux de licenciement par rapport aux fins de contrat. Si celui-ci est supérieur à 10%, cela résulte probablement d’une politique structurée de l’entreprise de mettre fin brutalement aux contrats d’une certaine catégorie de salariés. Si par ailleurs, la moitié de ces licenciements est cassée ou requalifiée lors de procès prud’homaux, cela signifie que la politique de l’entreprise doit être sanctionnée.

  • Indicateur n°6 : la croissance nette d’emploi

Si une entreprise investit dans le capital humain et embauche, son impact social sera naturellement plus bénéfique qu’une entreprise qui licencie.

  • Indicateur n°7 : la négociation interne

Une entreprise qui négocie des accords internes améliorant la qualité de vie et de travail des salariés doit être valorisée par rapport à celles qui se contentent de respecter leurs obligations légales et conventionnelles. Cela peut être des congés maternité ou paternité rallongés et subrogés, des taux de formation supérieurs à l’obligation légale, une démarche volontariste pour certifier ou diplômer des salariés. Les Représentants du Personnel trouveraient ici un rôle essentiel dans la régulation des dérives de certaines entreprises et dans leur amélioration économique et sociale.

  • Indicateur n°8 : l’impact écologique

Les entreprises ayant un bilan carbone neutre seraient récompensées. Celles qui remboursent à 100% les transports en commun pour limiter l’usage de la voiture individuelle ou proposent plus largement des initiatives visant à promouvoir la mobilité douce de leur salarié, favorisent leur recours au télétravail, etc., le seraient également.

  • Indicateur n°9 : l’éthique

Les entreprises à but économique et les associations reconnues d’utilité publique ont un rôle majeur dans la société. Pourquoi dès lors ne pas récompenser un hôtelier qui laisse gracieusement, quelques semaines par an, une chambre à une association d’aide aux sans-abris ? un supermarché qui donne ses invendus à une banque alimentaire ? un restaurateur qui offre des repas gratuits une fois par mois?

  • Indicateur n°10 : les filières de formation

Il faut développer les interactions entre les écoles et les entreprises. Ces dernières doivent pouvoir déléguer des professionnels pour former les étudiants, donner un matériel de meilleure qualité pour faciliter l’apprentissage, offrir les moyens et les ressources pour que les structures éducatives puissent mieux former les étudiants et améliorer ainsi leur insertion professionnelle.

En définitive, l’objectif de pareille démarche consiste à responsabiliser les entreprises quant à leur impact social et à les rendre « maîtresses » de leurs taux d’imposition. Ceux-ci – et les déclarations ayant servi de base à leur calcul – seraient d’ailleurs rendus publics et permettraient donc d’incarner un formidable outil de promotion de l’entreprise auprès du consommateur, du collaborateur et du futur recruté.

Car, en revalorisant le rôle de chacun dans l’organisation qu’est l’entreprise et le rôle de cette dernière dans son écosystème, nous pensons qu’il est possible de redonner du sens au travail et sa place dans la société à l’entreprise.

Cette réforme du mode de calcul des cotisations sociales se veut une étape dans cette évolution. En introduisant des critères éthiques et environnementaux dans la détermination des contributions versées par les entreprises, elle entend promouvoir des comportements vertueux et contribuer au réajustement de nos indicateurs économiques et d’un écosystème actuellement assis sur un modèle en voie de dépassement.

Notes

1 La question est d’autant plus légitime que ces derniers doivent, depuis plusieurs années maintenant, se voir proposer l’accès au vote lors des élections des institutions représentatives du personnel. Cf. articles L. 2314–18–1 et L. 2324–17–1 du Code du travail.
2 Celui-ci est notamment décrit dans la proposition de loi entreprise nouvelle et nouvelles gouvernances déposée en décembre dernier par les députés du groupe Nouvelle Gauche Olivier Faure, Dominique Potier et Boris Vallaud http://www.assemblee-nationale.fr/15/propositions/pion0476.asp.