Réforme de l’Assurance chômage : une remise en cause massive de notre modèle social [Tribune #30]
« Du travail on va vous en trouver, il y en a plein » ; « Vous avez envie de travailler, il y a des offres ». En déplacement dans les quartiers Nord de Marseille, le 24 juin dernier, Emmanuel Macron a renoué avec ses habituelles formules méprisantes à l’égard des chômeurs[1]Élodie Jauneau déplorait déjà cette propension dans une tribune publiée par L’Hétairie. . Rendant les chômeurs seuls responsables de leur situation, il souhaite les culpabiliser, démarche qui se traduit dans la politique conduite par le gouvernement d’Édouard Philippe.
Pourtant, rares sont les demandeurs d’emploi qui n’ont pas envie de travailler, en raison du poids social (tant objectif que subjectif) que charrie l’activité professionnelle. Mais, lors de périodes d’inactivité professionnelle, ils ont le droit de percevoir des indemnités à la hauteur des cotisations versées précédemment.
Car, contrairement à l’image insidieusement véhiculée par d’innombrables déclarations stigmatisantes, les chômeurs ne sont nullement des oisifs bénéficiant de la solidarité nationale mais des actifs recevant un salaire différé, les allocations perçues dépendant des cotisations versées. Rappelons, en outre, que la moitié des chômeurs ne touche pas d’indemnité et que l’indemnisation médiane se situe à un niveau inférieur au seuil de pauvreté. On est donc bien loin d’un placard doré.
Une casse sociale déguisée en réforme
Malgré tout, et faisant fi de la concertation avec les partenaires sociaux au profit d’une décision en chambre, sans véritable débat, le Gouvernement lutte non contre le chômage, mais contre les chômeurs ! La réforme de l’assurance chômage récemment annoncée en témoigne. En effet, décidée unilatéralement, elle poursuit un double objectif comptable :
- Diminuer artificiellement le nombre de demandeurs d’emploi inscrits ; le déclassement opéré aura pour conséquence de précipiter de nombreux demandeurs d’emploi vers la fin de droits et donc de décourager leur réinscription ou leur actualisation. L’objectif du Gouvernement consiste à réduire cyniquement les chiffres du nombre d’inscrits pour des purs motifs de communication.
- Réaliser de substantielles économies sur le dos des chômeurs. En effet, le Gouvernement prévoit 3 milliards d’euros d’économies. Pour ce faire, il entend :
- Modifier les modalités de calcul de prolongation des droits, ce qui va frapper tout particulièrement les travailleurs les plus précaires et les contrats très courts, inférieurs à six mois, qui ne permettront dorénavant plus de recharger les droits à l’indemnisation. Les travailleurs précaires perdront ainsi le bénéfice de leurs cotisations.
- Passer le mode de calcul des indemnités d’une base journalière à une base mensuelle afin de diviser par deux ou trois le montant des indemnités perçues par les travailleurs les plus précaires, poussés ainsi du chômage à la misère.
- Frapper de dégressivité les allocations versées aux cadres. La pratique s’avère particulièrement discriminatoire. S’il s’agit des salariés parmi les mieux rémunérés, la rapidité avec laquelle s’opérera la dégressivité menacera à très court terme la sécurisation de leur trajectoire professionnelle, puisqu’ils devront accepter rapidement une proposition de déclassement par crainte de pertes financières. Mais plus que tout, se produit une nouvelle remise en cause de notre modèle social puisque les allocations perçues ne seront plus fonction des cotisations versées pendant la période d’emploi.
- Transférer de manière progressive le financement de l’assurance chômage de la cotisation vers l’impôt, comme déjà engagé en 2018 avec la substitution des cotisations par la hausse de la CSG. De fait, cela déconnecte progressivement l’indemnisation du salaire antérieur et ouvre ainsi la voie à un changement majeur de paradigme dans la prise en charge du risque chômage, avec le passage d’un système assurantiel à un régime assistanciel. De la même manière, la décision de confier l’accompagnement des chômeurs cumulant travail et allocations à des prestataires privés poursuit le même objectif, tout en initiant une inquiétante privatisation du service public de l’emploi.
Pourtant, la branche assurantielle de l’Unedic présente actuellement un excédent : les cotisations salariales et patronales suffisent à couvrir les besoins d’indemnisation dans le cadre du régime actuel. Le déficit de l’Unédic provient en réalité de la somme que celle-ci est tenue de reverser à Pôle emploi pour assurer le fonctionnement de ce dernier. 55% des frais de fonctionnement de Pôle emploi provenant des cotisations, cela signifie que les salariés financent majoritairement le service public de l’emploi, l’État n’assumant pas ses responsabilités en la matière.
Trois propositions indispensables
Face à ce désastre annoncé qui se traduira par une accentuation très nette de la précarité des chômeurs et des travailleurs les plus vulnérables, nous formulons trois observations principales :
- Le bonus/malus sur les contrats courts introduit par la réforme s’annonce très insuffisant en ce qui concerne tant son montant (guère plus qu’une heure de SMIC brut sur un contrat de plusieurs semaines) que son champ d’application dont seront écartés de nombreux secteurs. Or, les CDI constituent naturellement les contrats les plus contributeurs en cotisation. Il convient donc de promouvoir de véritables mesures incitatives et coercitives visant à faire des contrats longs la norme du contrat de travail.
- L’État doit prendre ses responsabilités dans le financement de l’accompagnement des chômeurs et des services de Pôle emploi et cesser d’alimenter le déficit de l’Unedic. La lutte contre le chômage de masse s’imposant comme une priorité nationale, on ne saurait se satisfaire de la proposition gouvernementale de 1.000 CDD supplémentaires, qui ne visent qu’à remplacer les départs à la retraite et ne compensent pas les postes détruits à Pôle emploi depuis deux ans.
- Il est urgent, pour lutter efficacement contre le chômage, de compléter l’arsenal législatif de mesures permettant de préserver l’emploi. Le plus sûr moyen de retrouver un emploi reste encore de ne pas le perdre. Aussi, les solutions de sauvegarde de l’emploi (chômage partiel[2] À l’occasion des dernières élections européennes, la liste Envie d’Europe, rassemblant le Parti socialiste, Le PRG, Nouvelle Donne et Place publique, proposait notamment la mise en place … Continue reading, modulation du temps de travail, compléments de formation, etc.) doivent être privilégiées et encouragées lorsque la situation de l’entreprise le permet.
Enfin, on déplorera le fait que cette réforme s’opère dans l’atonie générale du corps social face à un recul fondamental. Avec cette réforme de l’assurance chômage, le Gouvernement valide une approche purement comptable des enjeux sociaux qui remet en cause les fondements de notre modèle social.
Les économies annoncées et la réduction artificielle des statistiques du chômage se réaliseront au détriment des demandeurs d’emploi les plus fragiles et les plus faiblement indemnisés, notamment les jeunes. Cette fragilisation et cette précarisation des demandeurs d’emploi s’opère pourtant au mépris du dialogue social et du débat démocratique puisque ce texte ne sera pas discuté devant le Parlement !
Alors que de nombreux autres enjeux relatifs au travail et aux affaires sociales sont à l’agenda du Gouvernement, cette phrase de Léon Blum prend une dimension particulière : « Pour être énergique et efficace, la démocratie populaire ne peut être et ne sera qu’une démocratie sociale ».
Notes
↑1 | Élodie Jauneau déplorait déjà cette propension dans une tribune publiée par L’Hétairie. |
↑2 | À l’occasion des dernières élections européennes, la liste Envie d’Europe, rassemblant le Parti socialiste, Le PRG, Nouvelle Donne et Place publique, proposait notamment la mise en place d’un « bouclier emploi » permettant de maintenir les salariés dans l’emploi en réduisant leur temps de travail, des dispositifs renforcés de formation dans l’entreprise, etc., avec une prise en charge par l’assurance chômage. |