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Collectivité européenne d’Alsace : quand le moyen devient une fin [Note #55]

Juriste spécialiste des collectivités territoriales Chef du pôle Aménagement des territoires de l’Hétairie

Après avoir suivi un chemin heurté au cours des dix dernières années, le « projet institutionnel alsacien » s’apprête à prendre corps. Il se matérialisera par la fusion des deux départements alsaciens, Bas-Rhin et Haut-Rhin, au sein d’une « Collectivité européenne d’Alsace » récemment actée par le Gouvernement[1] Décret n° 2019-142 du 27 février 2019 portant regroupement des départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. puis par le Parlement[2]Loi n° 2019- 816 du 2 août 2019 relative aux compétences de la Collectivité européenne d’Alsace.. La démarche se construit à la fois sur l’échec du projet de collectivité territoriale unique d’Alsace en 2013, et sur la fusion contestée des régions Alsace, Lorraine et Champagne-Ardenne au sein d’une région Grand Est en 2016.

       Destinée à clore une séquence marquée par un référendum négatif et une réforme régionale sans concertation, la décision interroge sur ses finalités. Certes, une majorité d’Alsaciens regrettait la fin de toute collectivité territoriale épousant les contours d’un territoire marqué notamment par une histoire, une culture et une langue propres et qui fondent sa particularité. En ce sens, on n’enlèvera pas à la « Collectivité européenne d’Alsace » le mérite de réinscrire le territoire alsacien sur la carte administrative de la France. Pour autant, force est de constater que cette recréation se résume aujourd’hui à une innovation cartographique.

       De fait, en l’état, on peut craindre que ce nouvel épisode de mécanique institutionnelle reproduise les erreurs du projet de collectivité unique mort-né en 2013 : occasionner un débat institutionnel autour d’une collectivité alsacienne – permettant de flatter ce que l’on pourrait appeler une forme de particularisme alsacien – sans véritablement s’interroger sur les finalités qu’on souhaite assigner à cette collectivité et les politiques publiques qu’on souhaiterait la voir exercer.

Tâtonnements institutionnels

L’échec de la collectivité territoriale unique

Proposé par le CESER dans un avis du 30 mars 2011, le projet de collectivité territoriale unique d’Alsace a bénéficié de l’implication résolue de Philippe Richert, lequel cumulait entre 2010 et 2012 les fonctions de ministre délégué chargé des collectivités territoriales et de président du Conseil régional d’Alsace.

En effet, en qualité de ministre, il a favorisé la création d’un mécanisme de fusion d’une région et des départements qui la composent[3] Article 29 de la loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales, JORF n° 0292 du 17 déc. 2010, p. 22146, dont les dispositions ont été codifiées à … Continue reading ; et, en qualité de président de Conseil régional, il a dédié le début de son mandat à la mise en œuvre de ce dispositif en projetant de créer une collectivité territoriale unique d’Alsace qui rassemblerait le Conseil régional d’Alsace et les conseils généraux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin.

Celle-ci devait s’organiser autour de deux instances principales – délibératives et exécutives -, d’une instance consultative, de deux conférences départementales et de plusieurs conseils de territoires de vie. Elle devait exercer les compétences des trois anciennes collectivités fusionnées et se voir déléguer des compétences supplémentaires par l’Etat :

Mais le projet a suscité des divergences entre élus et collectivités territoriales concernées, liées notamment à la localisation des instances qui devaient administrer cette collectivité unique et à la complexité de l’organisation institutionnelle projetée. Par ailleurs une part substantielle des élus haut-rhinois se méfiait d’un projet estampillé bas-rhinois et strasbourgeois[4] Gilbert MEYER, « Où est la simplification ? », DNA, 23 mars 2013..

Surtout, derrière un débat qui a glissé en de nombreux points sur des considérations affectives[5] V. notamment Georges BISCHOFF, « Ne pas se tromper d’Alsace »., les promoteurs du projet laissaient en suspens les questions centrales des objectifs assignés à cette collectivité territoriale unique. Aussi, n’hésitaient-ils pas à avancer un objectif de simplification malgré la complexité de l’organisation projetée. Dès les prémices du projet de collectivité unique, l’avis du CESER du 30 mars 2011 évoquait des poncifs tels que le « gain de cohérence et d’efficacité dans l’action publique » et une « plus grande lisibilité », sans véritablement développer en quoi le projet promu était susceptible de satisfaire ces objectifs. Or, le débat autour de ce projet laissait un flou entier sur les compétences qui lui auraient été attribuées.

Toujours est-il que, conformément aux dispositions du code général des collectivités territoriales (CGCT) issues de loi de réforme territoriale du 16 décembre 2010, trois conditions devaient être réunies pour que ce projet voie le jour :

  • Un vote conforme de l’ensemble des collectivités concernées par la fusion ;
  • Un avis conforme du Comité des massifs des Vosges ;
  • Un vote favorable à la majorité absolue des suffrages exprimés représentant un quart des électeurs inscrits dans chacun des départements[6] Article L. 4124-1 du CGCT, dans sa version applicable de 2010 à 2014..

En raison de l’importance prise par ce projet dans le programme politique de la « Majorité alsacienne » (partis du centre et de la droite), un consensus de façade a vu le jour, comme en témoignent les délibérations favorables prises par les trois collectivités concernées et par le Congrès d’Alsace, réunissant l’ensemble des élus de ces trois collectivités territoriales :

CollectivitéDate du votePourContreAbstention
Congrès d’Alsace1/12/2011101119
Département du Bas-Rhin12/12/20113545
Conseil régional d’Alsace13/02/201227119
Département du Haut-Rhin17/02/20123100

Cependant, ces votes n’ont pas éteint les dissensions autour du projet et l’absence  d’adhésion des électeurs sceptiques sur le contenu et la mise en œuvre de cette collectivité territoriale unique d’Alsace[7] Voir notamment Jacques FORTIER, « Le veto de Haute Alsace », DNA, 8 avril 2013.. Et, le 7 avril 2013, jour de la consultation prévue par le CGCT, une abstention supérieure à 50 % des électeurs inscrits conjuguée à une réponse négative de 56 % des électeurs haut-rhinois ont conduit à l’échec du processus et à l’abandon du projet. A cette occasion, se manifeste un clivage – qui ira croissant – entre les électeurs proches de l’agglomération strasbourgeoise et les électeurs des territoires éloignés de la métropole régionale[8] Se référer à  Richard KLEINSCHMAGER, « Le référendum sur la collectivité territoriale d’Alsace du 7 avril 2013 », Revue d’Alsace, 139 / 2013, 201-420..

Certes, la plupart des élus considérait trop exigeantes les conditions imposées par le CGCT, au point que le législateur a décidé en 2015 de supprimer la nécessité de consulter les électeurs pour un projet de cette nature[9]Article 3 de la loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral. . Ce référendum n’en est pas moins resté un échec des exécutifs du Conseil régional, des deux conseils généraux, et plus généralement de l’ensemble des élus de la « Majorité alsacienne », à dépasser certaines rivalités personnelles et à avancer des arguments tangibles susceptibles de faire adhérer majoritairement les Alsaciens à l’idée de créer une collectivité territoriale unique.

Le terreau fertile de l’opposition à la fusion des régions

Près d’un an après le référendum du 7 avril 2013, les circonstances politiques nationales, marquées par le repli du Parti socialiste aux élections municipales de 2014, la démission du Premier ministre Jean-Marc Ayrault et la nomination de Manuels Valls à Matignon, ont offert aux élus départementaux et régionaux alsaciens une session de rattrapage jusqu’alors inespérée dans leur volonté de remettre l’ouvrage institutionnel à l’ordre du jour. En effet, le Gouvernement a alors proposé une nouvelle délimitation de la France métropolitaine en treize régions, dont la Corse. Il considérait qu’une « taille critique » devait être atteinte par les collectivités territoriales pour améliorer « l’efficacité et l’efficience de politiques publiques »[10] Exposé des motifs et étude d’impact du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral., véritable fuite en avant dont les bénéfices restent encore à prouver[11] Se reporter par exemple au Rapport annuel sur les finances publiques locales de 2017  publié par la Cour des Comptes..

Tandis que certaines régions étaient épargnées de tout regroupement, les régions d’Alsace, de Lorraine et de Champagne-Ardenne se voyaient contraintes de fusionner pour constituer une seule et même région s’étendant du Rhin à la Marne, de Mulhouse jusqu’aux Ardennes, soit un territoire près de deux fois plus grand que la Belgique. Réalisée dans la précipitation, sans logique d’ensemble, et en l’absence totale de concertation, cette réforme a rencontré une franche opposition de la part de l’opinion publique alsacienne.

Moins de deux ans après le rejet de la collectivité unique d’Alsace par référendum, l’impopularité de la création de la région Grand Est a conduit à l’organisation de manifestations réclamant un référendum sur la modification de la carte des régions[12] Jean-Baptiste de MONTVALON, « Le Grand Est déboussolé par sa fusion », Le Monde, 5 juin 2015., ainsi qu’à une percée des partis régionalistes lors des scrutins régionaux et départementaux de 2015. Aux élections régionales de 2015, alors que la liste régionaliste de Jean-Georges Trouillet réalisait un résultat de 4,7 % sur l’ensemble de la région Grand Est, elle a obtenu un score de 10,07 % dans le Bas-Rhin et de 12,64 % dans le Haut-Rhin.

            C’est donc une conjoncture fertile au développement d’une forme de résistance régionaliste, incarnée par le slogan « Touche pas à mon Alsace », qui a permis aux élus de la « Majorité alsacienne » de faire oublier l’échec du référendum du 7 avril 2013, de rejeter intégralement sur le Gouvernement la responsabilité de la disparition d’une représentation institutionnelle alsacienne et de justifier un nouveau projet de collectivité territoriale limitée au périmètre de l’ancienne région Alsace. En effet, Brigitte Klinkert, présidente du Conseil départemental du Haut-Rhin, et Frédéric Bierry, président du Conseil départemental du Bas-Rhin, se sont saisis de l’impopularité du nouveau découpage régional et de ce qu’ils appelleront le « désir d’Alsace » pour relancer un projet institutionnel basé sur une fusion départementale.

Un projet sans objectif concret, indéfectiblement lié à une révision constitutionnelle de plus en plus hypothétique 

Le projet de fusion départementale

            A l’issue des élections présidentielles et législatives de 2017, les présidents des conseils départementaux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin ont proposé à Emmanuel Macron de remettre la question institutionnelle alsacienne au goût du jour. Le Président élu s’est alors déclaré favorable à la création d’un département alsacien, sans remise en cause de la région Grand Est[13] Jacques FORTIER, « Emmanuel Macron pour une entité Alsace au sein du Grand Est », L’Alsace.fr, 31 octobre 2017.. En ce sens, il a transposé au cas alsacien la politique du « en même temps » : donner aux élus locaux une collectivité territoriale au périmètre alsacien, ne prendre aucun risque sur un projet remettant en cause les réformes territoriales du quinquennat précédent, et trouver des alliés objectifs pour l’instauration d’un droit à la différenciation dans la Constitution[14] Se reporter à la note de L’Hétairie : « Droit à la différenciation : quelles réalités derrière les slogans », 20 novembre 2018..

 Le 22 janvier 2018, Edouard Philippe a sollicité du préfet de région un rapport sur l’avenir institutionnel de l’Alsace, avec comme limite la nécessaire subsistance de la région Grand Est dans son périmètre et ses compétences. Par conséquent, le haut fonctionnaire a étudié quatre hypothèses institutionnelles : la coopération interdépartementale, la création d’un syndicat mixte, la fusion départementale et la création d’une collectivité territoriale à statut particulier.

Mais les présidents des conseils départementaux alsaciens souhaitent la création d’une collectivité à statut particulier sur le périmètre alsacien, ce qui permettrait à cette collectivité de disposer d’une organisation et de compétences affranchies du cadre législatif applicable aux départements. Pourtant, le Gouvernement a rejeté cette hypothèse en considérant qu’une telle formule « pourrait conduire à une « prolifération » des demandes émanant d’autres territoires (Bretagne, Pays Basque…), ce qui pourrait mettre à mal les principes fondamentaux de la République »[15] Rapport du Préfet de la Région Grand Est, Préfet du Bas-Rhin, au Premier ministre, en date du 15 juin 2018, p.  69.. De fait, le Premier ministre, le président du Conseil régional du Grand Est et les présidents des conseils départementaux alsaciens ont finalement convergé en faveur de la fusion départementale[16] Déclaration commune du 29 octobre 2018.. Cette solution présente l’intérêt de permettre une création rapide d’une collectivité alsacienne tout en renvoyant la réflexion autour de ses objectifs et des compétences nécessaires à l’adoption de l’hypothétique révision constitutionnelle qui permettrait de sortir du cadre strictement départemental.

Un projet orphelin d’une différenciation mort-née

Le décret du 27 février 2019 prévoit la fusion des départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin sous le nom de « Collectivité européenne d’Alsace » au 1er janvier 2021. En dépit d’un nom qui tente de faire croire à une singularité dans son statut et ses compétences, il s’agit en réalité de recréer un département d’Alsace dont les dérogations au droit commun doivent s’inscrire dans le strict respect du principe d’égalité.

A sa manière, le Conseil d’Etat n’a pas manqué de souligner la contradiction entre la communication autour du projet de Collectivité européenne d’Alsace – tendant à en faire une collectivité singulière et transfrontalière – et la réalité du projet : la fusion de deux départements. Saisi concomitamment du projet de décret regroupant les départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin et du projet de loi traitant des implications du regroupement de ces deux départements, il a souligné la méprise que pouvait constituer le nom de « Collectivité européenne d’Alsace » en ce qu’elle laisse entendre un statut qui dépasserait le cadre départemental et un caractère européen impliquant des compétences transfrontalières[17] Conseil d’Etat, 21 février 2019, Avis sur un projet de loi relatif aux compétences de la collectivité européenne d’Alsace.. Or, il a rappelé que le législateur peut traiter différemment un département par rapport aux autres départements sous réserve qu’une situation différente soit justifiée, et que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l’objet de la loi qui l’établit[18] Conseil constitutionnel, 6 mai 1991, Loi instituant une dotation de solidarité urbaine et un fonds de solidarité des communes de la région d’Ile-de-France, n° 91-291 DC..

Face à ce cadre constitutionnel limitatif, tant le Gouvernement que les exécutifs locaux concernés s’en sont remis à la perspective de plus en plus hypothétique d’un droit à la différenciation figurant dans le projet de révision constitutionnelle voulu par le Président de la République, dont l’un des objectifs est de permettre à des collectivités territoriales d’une même catégorie (en l’occurrence, des départements) d’avoir des compétences différentes[19] Cf. la note précitée de L’Hétairie..

Or, force est de constater que ce projet de loi constitutionnelle est au point mort depuis juillet 2018, les probabilités pour qu’il aboutisse avant la fin du quinquennat étant à ce jour particulièrement réduites. De fait, seule la loi du 2 août 2019 fixe les modalités de la fusion ainsi que les spécificités de ce futur département lui permettant de :

  • Déroger aux compétences départementales de droit commun en se voyant transférer dans son domaine public les routes et autoroutes non concédées ;
  • Se voir déléguer les compétences des EPCI pour la mise en œuvre du schéma alsacien de coopération transfrontalière ;
  • Proposer un enseignement facultatif de langue et culture régionales ;
  • Coordonner l’action des collectivités territoriales et des EPCI dans les domaines du tourisme et des loisirs.

En réalité, le transfert de la voirie représente la seule réelle innovation entérinée par le législateur, dont la constitutionnalité n’a d’ailleurs pas été examinée en l’absence de saisine. Quant aux autres dispositions de la loi, elles ne font que confirmer ou organiser des politiques publiques d’ores et déjà mises en place par les conseils départementaux alsaciens.

Quelle collectivité pour quel projet ?

Dès lors, cette fusion interroge sur la pertinence de créer une collectivité de nature départementale à l’échelle alsacienne, au-delà de la satisfaction du « désir d’Alsace » mise en avant par les élus de la « Majorité alsacienne » en réaction à une fusion régionale regrettée par la population.

Parmi les quelques objectifs rapidement évoqués pour la création d’un département unique (coopération transfrontalière, bilinguisme, tourisme), et pour lesquels le législateur ne démontre pas la pertinence du recours à l’échelle départementale, l’une des seules ambitions concrètes mise en avant par les promoteurs de la Collectivité européenne d’Alsace porte sur la régulation du trafic transfrontalier. En effet, depuis l’échec de l’écotaxe, les élus alsaciens de gauche comme de droite souhaitent être en capacité de créer, en l’absence de volonté de l’Etat, un dispositif de contribution financière des poids lourds qui utilisent gratuitement le réseau autoroutier non concédé du territoire. Car, alors même que d’autres parties du territoire national, sujettes à du trafic de desserte plus que de transit, s’étaient farouchement opposées à l’écotaxe, le territoire alsacien souffre de voir l’ensemble de son réseau routier et autoroutier saturé de poids lourds avec tout ce que cela engendre en termes d’usure de la voirie, de pollution et d’embouteillage. Cet effet est décuplé par la taxation en Allemagne de tels poids-lourds qui se reportent ainsi sur le réseau hexagonal.

L’article 13 de la loi relative à la Collectivité européenne d’Alsace habilite le Gouvernement à créer par ordonnance des contributions spécifiques versées par les usagers afin de maîtriser le trafic routier de marchandises sur les axes routiers alsaciens. Mais, au-delà du principe du recours à l’ordonnance évitant toute discussion parlementaire sur les modalités de ce dispositif, instaurer une telle taxe à la seule échelle alsacienne ne fait que déplacer le problème. En effet, c’est a minima l’ensemble de la région Grand-Est qui est concernée par les politiques transfrontalières, et notamment celle de la gestion du trafic routier avec le voisin allemand. Ainsi, on comprendrait mal que la taxation des poids-lourds diverge entre le futur département alsacien et les départements lorrains.

Par ailleurs, si le territoire alsacien a pour singularité l’existence d’un droit local hérité de l’histoire, qu’il partage avec le département de la Moselle, le débat autour de la Collectivité européenne d’Alsace n’a jamais évoqué cette spécificité et le rôle que pourraient avoir, à l’avenir, les collectivités territoriales sur son évolution. Pourtant, ce droit local peut être analysé comme une forme de différenciation créée par l’histoire, néanmoins figée par le Conseil constitutionnel depuis 2011[20] Conseil constitutionnel, n° 2011-157 QPC du 5 août 2011, posant le principe que le droit local peut rester en vigueur, ou aller dans le sens d’une harmonisation avec le droit commun, dès lors … Continue reading. Pendant que certains plaident pour sa suppression, un débat structurant aurait pu porter sur les perspectives de son évolution et sur la ou les collectivités susceptibles d’être légitimes pour le faire évoluer.

De manière générale, à aucun moment, il n’a été question de savoir en quoi le projet du territoire alsacien justifierait une fusion départementale et, plus généralement, un cadre institutionnel réformé. Les économies de fonctionnement et la sacro-sainte simplification n’ont pas fait l’objet d’une démonstration plus étayée. On remarque ainsi qu’une fois de plus, le désir de réformer le cadre institutionnel a primé sur toute réflexion quant aux politiques publiques que la nouvelle collectivité serait destinée à mettre en place. En cela, le projet de « Collectivité européenne d’Alsace » s’inscrit dans le péché originel de 2013, et ne fait que reproduire ce que les élus de la « Majorité alsacienne » ont eux-mêmes regretté s’agissant du projet gouvernemental de fusion des régions en 2015.

            A défaut de procéder à une innovation institutionnelle, le Gouvernement et le Parlement, avec l’assentiment des exécutifs départementaux concernés, se sont contentés de fusionner deux départements et de créer une coquille départementale unique dotée d’un nom trompeur, satisfaisant aux enjeux de communication à court-terme, dont l’absence de perspectives de création d’un droit à la différenciation annihile néanmoins toute opportunité d’y voir une véritable ambition en termes de contenu.

Ces considérations ne sont sûrement pas étrangères à ce que, dans un communiqué de presse commun, Brigitte Klinkert et Frédéric Bierry, avaient souhaité, il y a un an, réaffirmer la « prise de conscience qu’une fusion simple des départements ne serait pas à la hauteur »[21] Communiqué de presse de Brigitte KLINKERT, Présidente du Conseil départemental du Haut-Rhin, et de Frédéric BIERRY, Président du Conseil départemental du Bas-Rhin, en date du 3 août 2018..

Peut-être ce département unique satisfera-t-il le « désir d’Alsace » et compensera-t-il l’impopularité de la région Grand Est ; peut-être fera-t-il définitivement oublier l’échec du référendum de 2013. Rien n’est moins sûr.

On regrettera que l’énergie déployée depuis près de dix ans sur des débats institutionnels n’ait pas permis de véritablement débattre d’un projet politique visant à faire de l’Alsace et de l’ensemble de la région Grand-Est un territoire tirant pleinement profit d’une destinée résolument européenne.

Notes

1 Décret n° 2019-142 du 27 février 2019 portant regroupement des départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin.
2 Loi n° 2019- 816 du 2 août 2019 relative aux compétences de la Collectivité européenne d’Alsace.
3 Article 29 de la loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales, JORF n° 0292 du 17 déc. 2010, p. 22146, dont les dispositions ont été codifiées à l’article L. 4124-1 du code général des collectivités territoriales.
4 Gilbert MEYER, « Où est la simplification ? », DNA, 23 mars 2013.
5 V. notamment Georges BISCHOFF, « Ne pas se tromper d’Alsace ».
6 Article L. 4124-1 du CGCT, dans sa version applicable de 2010 à 2014.
7 Voir notamment Jacques FORTIER, « Le veto de Haute Alsace », DNA, 8 avril 2013.
8 Se référer à  Richard KLEINSCHMAGER, « Le référendum sur la collectivité territoriale d’Alsace du 7 avril 2013 », Revue d’Alsace, 139 / 2013, 201-420.
9 Article 3 de la loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.
10 Exposé des motifs et étude d’impact du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.
11 Se reporter par exemple au Rapport annuel sur les finances publiques locales de 2017  publié par la Cour des Comptes.
12 Jean-Baptiste de MONTVALON, « Le Grand Est déboussolé par sa fusion », Le Monde, 5 juin 2015.
13 Jacques FORTIER, « Emmanuel Macron pour une entité Alsace au sein du Grand Est », L’Alsace.fr, 31 octobre 2017.
14 Se reporter à la note de L’Hétairie : « Droit à la différenciation : quelles réalités derrière les slogans », 20 novembre 2018.
15 Rapport du Préfet de la Région Grand Est, Préfet du Bas-Rhin, au Premier ministre, en date du 15 juin 2018, p.  69.
16 Déclaration commune du 29 octobre 2018.
17 Conseil d’Etat, 21 février 2019, Avis sur un projet de loi relatif aux compétences de la collectivité européenne d’Alsace.
18 Conseil constitutionnel, 6 mai 1991, Loi instituant une dotation de solidarité urbaine et un fonds de solidarité des communes de la région d’Ile-de-France, n° 91-291 DC.
19 Cf. la note précitée de L’Hétairie.
20 Conseil constitutionnel, n° 2011-157 QPC du 5 août 2011, posant le principe que le droit local peut rester en vigueur, ou aller dans le sens d’une harmonisation avec le droit commun, dès lors que les différences de traitement résultant du droit local ou son champ d’application ne sont pas élargis.
21 Communiqué de presse de Brigitte KLINKERT, Présidente du Conseil départemental du Haut-Rhin, et de Frédéric BIERRY, Président du Conseil départemental du Bas-Rhin, en date du 3 août 2018.