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Le lendemain du référendum en Nouvelle-Calédonie : quelles perspectives ? [Note #24]

Maître de conférences en droit public (Université de Bordeaux) Spécialiste du droit des outre-mer (en particulier de la Nouvelle Calédonie)

Le 4 novembre 2018 s’apparente d’ores et déjà à une date historique, pour la Nouvelle-Calédonie comme pour la France. En effet, pour la première fois de son histoire tumultueuse, le peuple calédonien va s’autodéterminer lors de la consultation sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté. En participant à ce scrutin, les Calédoniens décideront librement de leur avenir politique, un avenir qu’ils choisiront de construire avec ou sans la République française.

L’organisation de ce référendum s’inscrit dans le cadre du processus de décolonisation de cet archipel du Pacifique Sud dont l’histoire a été profondément marquée par la colonisation. Devenue une possession française en 1853, la Nouvelle-Calédonie a subi une colonisation violente – si tant est qu’une colonisation puisse ne pas l’être –, bouleversant la vie de la population autochtone, les Kanak. Car, à l’instar de l’Algérie, la France y a mené une colonisation de peuplement qui avait vocation à assurer la présence pérenne du colonisateur, notamment grâce à une immigration massive. Celle-ci a eu pour conséquence de mettre progressivement les Kanak en minorité sur leur propre terre.

En réaction, les premiers mouvements indépendantistes sont apparus dans les années 1970. La décennie suivante a été celle de la violence, l’opposition entre le FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste) et le RPCR (Rassemblement pour la Calédonie dans la République) atteignant sa triste apogée en 1988 avec le drame de la grotte d’Ouvéa[1] Le 22 avril 1988, sur fond de rivalité entre indépendantistes Kanak et non‑indépendantistes Caldoches (populations calédoniennes d’origine européenne), un groupe de Kanak veut occuper une … Continue reading. Symboliquement, la célèbre poignée de mains entre le leader indépendantiste Jean-Marie Tjibaou et le chef de file non-indépendantiste Jacques Lafleur a marqué la fin des « Evènements »[2]« Les Evènements » correspond à l’expression utilisée pudiquement en Nouvelle-Calédonie pour faire référence à la période d’affrontements armés entre indépendantistes et … Continue reading.

Juridiquement, les signatures des accords de Matignon et Oudinot des 26 juin et 20 août 1988, puis de l’accord de Nouméa du 5 mai 1998, ont ouvert le processus de décolonisation de la Nouvelle-Calédonie. Dans ce cadre, le territoire est devenu une collectivité de la République française sui generis disposant d’un statut unique et lui reconnaissant un degré d’autonomie très avancé afin de permettre son émancipation progressive et, à terme, son autodétermination[3] En ce sens, constitutionnalisé par le titre XIII de la Constitution française et complété par la loi organique du 19 mars 1999, l’accord de Nouméa a notamment attribué à la … Continue reading.

Or, trente ans après le début de ce processus inédit, nous sommes aujourd’hui à la veille d’une échéance aussi attendue que redoutée. Le 4 novembre les électeurs calédoniens inscrits sur la liste électorale spéciale pour la consultation glisseront dans l’urne un bulletin « oui » ou « non » en réponse à la question suivante : « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? ». Fantasmées par les uns, érigées en repoussoir par les autres, les conséquences juridiques de ce choix déterminant méritent d’être précisées[4] Début octobre 2018, l’Etat a communiqué sur la question en rendant public un document de 3 pages dans lesquelles figurent les implications de la consultation du 4 novembre 2018 en cas de … Continue reading. Mettons donc sur chacun des plateaux de la balance, d’une part, l’hypothèse du « oui » et, d’autre part, celle du « non »[5] L’exposé qui suit est la reprise partielle d’un article co-écrit avec mon collègue Ferdinand Mélin‑Soucramanien, Professeur de droit public à l’Université de Bordeaux. Je le remercie … Continue reading.

Les implications du « oui »

Si le « oui » l’emporte au lendemain du référendum, la Nouvelle-Calédonie deviendra un Etat indépendant. L’Accord de Nouméa indique en effet que l’approbation des populations consultées « équivaudrait à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie ». Il précise à son point 5 que cette pleine souveraineté se traduirait par « le transfert à la Nouvelle-Calédonie des compétences régaliennes, l’accès à un statut international de pleine responsabilité et l’organisation de la citoyenneté en nationalité ».

Dès lors, se pose la question de savoir si la Nouvelle-Calédonie deviendrait à proprement parler un Etat jouissant de la pleine souveraineté dès le lendemain des résultats du référendum. Le « oui » constitue évidemment l’étape décisive sur le chemin de l’accès à la pleine souveraineté ; décisive, mais non définitive car cette étape s’avérera insuffisante pour instituer, à elle seule, la Nouvelle-Calédonie en un Etat souverain puisque le résultat de la consultation n’entraîne aucun effet juridique immédiat. Tout resterait donc à construire.

Pour que la souveraineté ne soit pas une coquille vide, les Calédoniens devraient nécessairement donner forme à leur Etat, le constituer au sens premier du terme. À cet égard, l’adoption d’une Constitution représenterait l’acte fondateur. Dans ce texte fondamental, le peuple calédonien devrait définir son projet de société et les institutions sur lesquelles reposerait son organisation politique.

Dans cette hypothèse, les Calédoniens devraient choisir la forme de leur Etat (fédéral ou unitaire), leur régime politique (parlementaire ou présidentiel), les conditions d’accession à leur nationalité (en privilégiant le droit du sol ou le droit du sang), etc.

La Nouvelle-Calédonie, pour devenir un Etat pleinement souverain, devrait aussi s’affirmer comme tel sur la scène internationale. Pour ce faire, elle aurait à adopter une déclaration unilatérale d’indépendance, acte politique fondateur de l’Etat, et partir en quête de sa reconnaissance par d’autres Etats en sollicitant par exemple une adhésion à l’ONU. Ce long processus, la Nouvelle-Calédonie ne l’assumerait pas seule. La France ayant assuré qu’elle ne se retirerait pas brutalement, des dispositions transitoires seraient adoptées pour accompagner le territoire vers la pleine souveraineté.

Sous la Vème République, le législateur est d’ailleurs souvent intervenu dans des circonstances comparables pour assurer la période de transition de ses anciennes colonies :

  • Ainsi, après que Djibouti a voté en faveur de l’indépendance le 8 mai 1977, la loi française du 20 juin 1977 a-t-elle fixé les modalités de perte ou de conservation de la nationalité française des populations qui y résidaient.
  • Il en est allé de même quand le Gouvernement a pris par ordonnance du 5 septembre 1980 les mesures en matière de nationalité et d’élections rendues nécessaires par la déclaration d’indépendance du Vanuatu du 30 juillet 1980.

            Le législateur français pourrait donc intervenir après le référendum afin d’accompagner la transition de la Nouvelle-Calédonie, notamment de lui transférer les compétences régaliennes que l’Etat assurait jusqu’alors et l’aider à mettre en place ses nouvelles institutions.

            L’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie pose une ultime question : emporterait-elle nécessairement la rupture de tous liens avec la France ? La réponse se trouve ici dans la question. Dire que la Nouvelle-Calédonie est souveraine signifie qu’elle est seule compétente pour déterminer la façon dont elle exerce ses compétences. Le « oui » à la pleine souveraineté ouvre donc un large champ des possibles et ne préjuge en rien de la façon dont l’Etat calédonien pourrait s’organiser.

            A fortiori, la Nouvelle-Calédonie devrait (re)définir ses rapports avec la France, qu’elle veuille y mettre un terme ou qu’elle souhaite les établir sur des bases renouvelées. Non seulement les deux Etats ne rompraient donc pas nécessairement leurs liens, mais ils pourraient aussi décider d’établir une association resserrée suivant la voie choisie par d’autres Etats du pacifique Sud, à l’image des Iles Cook avec la Nouvelle-Zélande ou des Etats Fédérés de Micronésie avec les Etats-Unis.

            En somme, si le « oui » l’emporte, cela signifiera que la Nouvelle-Calédonie deviendra maîtresse de son destin, un destin qu’il conviendra encore de définir, puis de bâtir.

Les implications du « non »

            Dans l’hypothèse d’une majorité de « non », la Nouvelle-Calédonie n’accéderait pas à la pleine souveraineté prévue par l’Accord de Nouméa et, par voie de conséquence, demeurerait sous souveraineté française, au sein de la République. Mais sous quel statut ? Pour combien de temps ? Quid de l’accord de Nouméa ? Autant d’interrogations auxquelles il convient d’apporter des réponses.

            Avant toute chose, il faut rappeler que l’accord de Nouméa est par nature transitoire. Il consiste en un statut juridique évolutif qui a permis l’émancipation progressive de la Nouvelle-Calédonie mais qui n’a pas vocation à perdurer après l’autodétermination. Quoi qu’il arrive, un nouveau statut devra donc se substituer tôt ou tard à l’accord de Nouméa qui continuera néanmoins à s’appliquer jusqu’à ce qu’une nouvelle solution institutionnelle soit trouvée.

            Cette précision apportée, deux cas de figure doivent être distingués :

  • Imaginons que dans les jours – ou mois, pour être plus réaliste – qui suivront le référendum, les Calédoniens parviennent à trouver un accord, en concertation avec l’Etat, sur leur futur statut dans la République française. Que ce statut reprenne plus ou moins le contenu de l’accord de Nouméa ou qu’il s’en affranchisse, il impliquerait nécessairement une révision de la Constitution. Il faudrait en effet, soit intégrer la Nouvelle-Calédonie dans le titre XII de la Constitution consacré aux collectivités territoriales, soit modifier le titre XIII « Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie » pour y inscrire le nouveau statut – cette fois-ci pérenne – de la Nouvelle-Calédonie. Cette seconde solution paraît la plus probable eu égard aux fortes spécificités du territoire calédonien.
  • Mais si les oppositions politiques se révèlent indépassables, empêchant tout consensus quant au futur statut du territoire, l’Accord de Nouméa prévoit alors que deux autres consultations pourraient être organisées à la demande du tiers des membres du Congrès calédonien[6] Le Congrès est l’une des institutions centrales de la Nouvelle-Calédonie. Doté de larges compétences et surtout d’un pouvoir législatif, il incarne l’équivalent du Parlement français … Continue reading. Le deuxième référendum devrait se tenir au cours de la deuxième année suivant la première consultation et porter sur la même question. En cas de réponse à nouveau négative, un troisième référendum pourrait être organisé dans les deux ans suivant la deuxième consultation, toujours sur la même question.

            Certes, l’histoire française présente des cas dans lesquels le même corps électoral, après avoir répondu « non » à une première consultation, a répondu « oui » à la seconde. On pourra citer le cas du référendum d’approbation de la Constitution française de 1946. La formulation de la question avait cependant varié d’un référendum à l’autre, si bien que le second paraissait nouveau aux yeux des électeurs. Dès lors, le dispositif calédonien s’avère sans précédent.

            Il n’en demeure pas moins qu’il pourrait bien être mis en œuvre, les partis indépendantistes ayant d’ores déjà annoncés qu’ils tenteront de solliciter l’organisation d’une seconde consultation si l’indépendance ne sortait pas gagnante du scrutin du 4 novembre prochain.

            De fait, la seule conclusion qui peut être posée sans hésitation est que la victoire du « non » aurait pour conséquence – à tout le moins à court terme – de maintenir la Nouvelle-Calédonie dans la France. Le reste demeurant à construire, toute autre affirmation serait spéculation.

            En somme, que les Calédoniens répondent par « oui » ou par « non », beaucoup reste à faire.

            Juridiquement, les différentes voies qui s’offrent aux Calédoniens s’avèrent relativement balisées mais elles ne sont pour l’instant que des coquilles vides dont personne ne connaît à ce jour la destinée.

            Face à tant d’incertitudes, il est en revanche une évidence qui s’impose : l’avenir de la Nouvelle-Calédonie ne pourra se nouer que dans le dialogue. Il constitue la clé pour que toutes les communautés et les sensibilités qui font la richesse de la société calédonienne parviennent à construire, ensemble, un destin commun. Comme l’affirmait très justement Jean-Marie Tjibaou, « le jour le plus important, ce n’est pas celui du référendum, c’est le lendemain ».

Pour aller plus loin :

Léa HAVARD,L’Etat associé. Recherches sur une nouvelle forme de l’Etat dans le Pacifique Sud, Marseille, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2018, 486p.

Notes

1 Le 22 avril 1988, sur fond de rivalité entre indépendantistes Kanak et non‑indépendantistes Caldoches (populations calédoniennes d’origine européenne), un groupe de Kanak veut occuper une gendarmerie en signe de protestation. La manifestation qui se voulait pacifique signe en réalité le début du drame. Quatre gendarmes sont tués et vingt­‑sept autres pris en otages dans la grotte d’Ouvéa pendant plusieurs jours. Le 3 mai, le Gouvernement français lance un assaut au cours duquel dix‑neuf Kanak et deux militaires décèdent. Les conditions de la mort des ravisseurs kanak restent aujourd’hui toujours contestées.
2 « Les Evènements » correspond à l’expression utilisée pudiquement en Nouvelle-Calédonie pour faire référence à la période d’affrontements armés entre indépendantistes et non-indépendantistes de 1984 à 1988. Ces violences se sont soldées par la mort de plus de 80 personnes.
3 En ce sens, constitutionnalisé par le titre XIII de la Constitution française et complété par la loi organique du 19 mars 1999, l’accord de Nouméa a notamment attribué à la Nouvelle-Calédonie un pouvoir législatif, de larges compétences et une citoyenneté calédonienne.
4 Début octobre 2018, l’Etat a communiqué sur la question en rendant public un document de 3 pages dans lesquelles figurent les implications de la consultation du 4 novembre 2018 en cas de réponse positive, puis en cas de réponse négative. Consultable sur le site internet de l’Etat consacré au référendum.
5 L’exposé qui suit est la reprise partielle d’un article co-écrit avec mon collègue Ferdinand Mélin‑Soucramanien, Professeur de droit public à l’Université de Bordeaux. Je le remercie vivement d’avoir accepté que j’utilise ici le résultat de nos recherches.
6 Le Congrès est l’une des institutions centrales de la Nouvelle-Calédonie. Doté de larges compétences et surtout d’un pouvoir législatif, il incarne l’équivalent du Parlement français pour l’hexagone.