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Quand Macron confond la bataille pour l’emploi avec la guerre contre les chômeurs [Tribune #47]

Chef du pôle Économie de L’Hétairie Secrétaire national du Parti socialiste.

Lors de son discours télévisé du 9 novembre, nouvelle étape d’une campagne qui ne dit pas son nom et fuit les contradicteurs, le président de la République a choisi ses accents les plus droitiers. Dans la litanie gênante, mais habituelle, de louanges adressées à son action, le candidat Macron a voulu stigmatiser les travailleurs sans emploi en proposant de mettre en place des sanctions… qui en réalité existent déjà !

Dans les faits, Pôle emploi sanctionne déjà les demandeurs d’emplois qui refusent deux offres d’emplois considérées comme correspondant à leur profil de recherche. Cela correspondait, en 2019, à 44.000 personnes par mois. Dans la réalité également, quiconque a fait l’expérience du chômage sait bien que les offres proposées par Pôle emploi ne correspondent pas toujours au profil du demandeur. Cela ne tient en rein à un défaut d’investissement ou de professionnalisme des agents de Pôle emploi, mais s’explique par le manque de moyens dont ils disposent pour accompagner efficacement les trop nombreux demandeurs dont ils ont la charge ; ou plutôt par la gestion de la pénurie de ces moyens que la majorité actuelle préfère orienter vers le contrôle et la sanction au détriment de l’orientation, la formation, l’assistance aux demandeurs d’emplois. Les agents de Pôle emploi considèrent d’ailleurs leur profession comme un métier d’accompagnement et de soutien et vivent mal cette situation.

Les déclarations du candidat Macron renvoient plus largement à l’inconscient de la droite libérale et conservatrice : les situations personnelles n’obéiraient qu’à des responsabilités individuelles. Par conséquent, les chômeurs sont considérés comme uniques responsables de leur situation. Puisqu’il suffit de traverser la rue pour retrouver un emploi, ceux qui demeurent sans emploi sont nécessairement coupables et fainéants.

Face à cet aveuglement idéologique, il convient de rétablir certaines vérités.

  • Au 3e trimestre 2021, on compte 5,5 millions d’inscrits à Pôle emploi, toutes catégories confondues, dont plus de 3 millions n’exercent aucune activité. Moins de la moitié sont indemnisés au titre de l’assurance chômage.
  • Pour ceux qui le sont, rappelons que cette indemnité résulte d’un salaire différé, assis sur les cotisations versées pendant les périodes d’emploi.
  • Parmi ceux-ci, l’indemnisation moyenne se situe autour de 847 euros nets par mois.
  • En 2017, le taux de pauvreté des personnes au chômage était de 37,6% selon une étude de la Drees.
  • Enfin, selon l’Unedic, plus de 90% des chômeurs contrôlés sont parfaitement en règle.

En outre, toutes les études menées, à l’image de celles de la Nobel d’Économie Esther Duflo, montrent que  les mesure dites incitatives (limitation de la durée d’indemnisation, restriction des conditions d’accès, etc.) portées par exemple par la réforme de l’assurance chômage conduite par le Gouvernement, n’ont aucun effet réel sur la reprise d’emplois et demeurent simplement des mesures punitives, voire stigmatisantes. Car, en privant des travailleurs sans emploi d’une inscription ou en raccourcissant la durée d’indemnisation, le Gouvernement fabrique de la précarité, de la pauvreté, et empêche des reconversions professionnelles réussies. À la clé, ce sont des trajectoires individuelles endommagées et un coût de prise en charge bien plus élevé pour la puissance publique. Le discours politique nuit doublement à l’efficacité.

Au cours des cinq années bientôt écoulées, le Président la République aura donc martelé son mépris pour les chômeurs et inlassablement poursuivi ses efforts de stigmatisation sociale. Il aura d’ailleurs grandement contribué au creusement des inégalités en ce domaine comme d’un point de vue fiscal en choisissant par exemple comme première mesure la suppression de l’Impôt de Solidarité sur la Fortune (ISF). Pourtant, les études d’impact concluent là encore à l’absence d’effet redistributif sur l’économie et l’investissement. L’entêtement tient lieu de boussole.

De même, la majorité sortante n’a pas été en mesure de proposer une action résolue pour répondre au problème principal qui touche les chômeurs : le manque d’emploi. En dépit de la création d’un Haut-commissariat au Plan, où est le pilotage stratégique de l’État sur notre système productif ? Au moins cette création aura-t-elle permis de conférer un emploi à François Bayrou.

Aucune réponse non plus n’a été apporté à la question cruciale de l’éloignement de l’emploi. Celui-ci touche des publics divers, éloignés du marché du travail parce qu’ils connaissent des situations familiales ou personnelles difficiles mais aussi du fait d’un chômage qui dure. Malgré la diversité de leur parcours, tous sont cependant confrontés à une même et implacable réalité : l’absence durable d’emploi crée ou aggrave un certain nombre de difficultés qui amoindrissent encore les probabilités de retour à l’emploi et menacent les trajectoires professionnelles.

Alors que des initiatives locales ont fait leurs preuves, comme Territoires Zéro Chômeurs de longue durée, que n’a-t-il fallu se battre pour que le Gouvernement consente à une poursuite mesurée de l’expérimentation lancée sous le quinquennat précédent. Cette initiative démontre pourtant qu’il est davantage profitable, pour l’État comme pour l’économie et les travailleurs, d’investir dans la création d’emplois que dans l’indemnisation du chômage et le financement de ses coûts indirects. 

Face à ce fléau du chômage de masse, nous avons plus que jamais besoin d’une action publique volontariste et déterminée qui pourrait emprunter trois pistes principales :

  1. Un pilotage public et stratégique centré vers la création d’emplois, à travers la relocalisation de productions stratégiques et l’investissement dans les secteurs d’avenir (métiers du soin, de la transition énergétique, de la transition écologique).
  2. Un service public de l’emploi réarmé par le recrutement de personnels destinés à l’accompagnement des demandeurs d’emploi et un effort accru sur les formations aux métiers d’avenir.
  3. Une assurance chômage universelle, qui protège chacune et chacun face aux heurts de la vie professionnelle, qui permet d’assurer les reconversions nécessaires entre deux emplois et qui ne distingue pas les travailleurs en fonction de leur statut.

Parce que le chômage reste un drame personnel et un fléau social, la bataille contre celui-ci ne se gagnera pas contre les chômeurs. Il est temps de changer de politique de l’emploi, et donc de président.