S’offrir la Lune : quel statut juridique pour l’unique satellite naturel de la Terre ? [Note #36]
Actuellement premier et unique objet non terrestre déjà foulé par l’Homme, appelée parfois Terre I, d’un diamètre moyen de 3474 kilomètres et séparée de notre planète par 381 500 kilomètres – soit une distance infime à l’échelle de l’Univers -, la Lune est un corps céleste qui ne cesse de faire l’objet de convoitises chez l’Homme. En témoigne la récente actualité en exploration spatiale concernant sa face cachée – prise pour la première fois en photographie par Luna 3 en 1959. En effet, le 3 janvier dernier, la sonde spatiale chinoise Chang’e 4 s’est posée sur la face cachée du satellite, dans le cratère lunaire Von Karman.
Juridiquement, la Lune est res nullius, littéralement « la chose de personne ». Cela suppose que personne, et en premier lieu les Etats, ne peut la détenir ou y prétendre. Ce concept s’applique également à la haute mer (une zone située à maximum 200 milles nautiques, soit 370,4 kilomètres des côtes), au-delà de la limite extérieure des zones économiques exclusives (ZEE) ou à l’Antarctique. Pour mieux comprendre ce que représente la Lune au regard du droit spatial, il convient d’interroger les grands principes qui l’entourent et leurs limites.
Le principe de non appropriation de la Lune
Un principe forgé par la Guerre Froide et consolidé par le Traité de l’espace de 1967
De tous les droits fondamentaux, celui de propriété – défini à l’article 544 du Code civil français comme le « droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements » – est probablement le plus universel. On le retrouve par exemple à l’article 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, à l’article 17 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 ou encore à l’article 1er du protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’Homme.
Ce droit de propriété, a été conçu en des temps où l’espèce humaine ne songeait pas réellement à se rendre dans l’espace et encore moins à pouvoir se poser sur la Lune. Alors qu’en est-il concrètement d’un possible droit de propriété sur la Lune par les individus ? Le droit international public apporte une réponse, par le biais des traités.
En premier lieu, le Traité sur les principes régissant les activités des Etats en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes (ordinairement dénommé « Traité de l’espace ») a été adopté le 19 décembre 1966 par la Résolution 2222 de l’Assemblée générale des Nations Unies. Il est entré en vigueur en 1967 et énonce, en son article II, le principe suivant : l’« espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, ne peut faire l’objet d’appropriation nationale par proclamation de souveraineté, ni par voie d’utilisation ou d’occupation, ni par aucun autre moyen ».
Pour comprendre la portée de ce principe, il convient de replacer le Traité dans son contexte historique, alors que la Guerre Froide entre Etats-Unis et URSS menaçait de se dérouler symboliquement dans l’espace, dernière frontière. Créer un instrument international de façon à calmer les deux puissances voulant envoyer des objets terrestres dans l’espace semblait donc tout sauf superfétatoire pour la communauté internationale. Et cela s’avérait même nécessaire au regard du vent de panique provoqué par le lancement du satellite Spoutnik 1 par l’URSS, le 4 octobre 1957. Ainsi, le principe de non appropriation permettait-il de calmer, sur le papier, les démonstrations de force des grandes puissances.
Cependant, il convient de noter que le Traité de l’espace de 1967 autorise en son article I l’exploration et l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, et donc la Lune par exemple. Non appropriation certes, mais la Lune n’est pas un objet céleste interdit à l’Homme s’il souhaite s’y aventurer. Néanmoins, il n’existe pas de discrimination – en théorie – entre Etats selon leur stade de développement économique ou scientifique, puisque l’exploration et l’utilisation de ces espaces sont, selon le même article « l’apanage de l’humanité tout entière ». Derrière cette belle formule existe l’idée que ce principe est bel et bien universel et le propre de l’Homme.
L’étendue de l’autorisation d’exploration et d’utilisation de la Lune
Ce principe de non-appropriation de la Lune fut par la suite complété par un autre instrument international, à savoir l’Accord régissant les activités des Etats sur la Lune et les autre corps célestes du 5 décembre 1979, entré en vigueur le 11 juillet 1984. Son champ d’application est vaste : en effet, le principe de non-appropriation de la Lune couvre sa surface, son sous-sol ainsi que ses ressources naturelles. Toutefois, comme en témoigne l’article 6 de l’Accord, les Etats parties ont le droit de recueillir sur la Lune des échantillons de minéraux ou autres substances. La non-appropriation vise aussi un grand nombre d’acteurs potentiels de la conquête lunaire, notamment en son article 11 alinéa 3 qui s’adresse aux Etats, Organisation internationales gouvernementales, organisations internationales non-gouvernementales, organisations nationales, entités gouvernementales et personnes physiques.
De fait, lorsque la mission Apollo 11 a atterri sur la Lune en 1969[1] Le terme « atterrissage » s’avère le seul correct face à celui « d’alunissage », un peu plus fantaisiste., les Etats-Unis n’ont certainement pas de facto assis leur souveraineté étatique sur la Lune. Si demain Blue Origin ou Space X se posent sur la Lune et y déclarent une prétendue souveraineté, elle n’aura aucune valeur au regard du droit spatial. Que peuvent donc alors faire les Hommes sur la Lune ? L’article 11 alinéa 3 de l’Accord de 1979 dresse une longue liste qui comprend, entre autres :
- installer à la surface ou sous la surface de la Lune des personnels, véhicules, matériels, stations…
- explorer et utiliser les ressources naturelles de la Lune
Toutefois, l’Accord prend soin, en son article 7, de rappeler aux Etats parties qu’ils doivent éviter de « perturber l’équilibre existant du milieu en lui faisant subir des transformations nocives, en le contaminant dangereusement par l’apport de matière étrangère ou d’une autre façon. Les Etats parties prennent aussi des mesures pour éviter toute dégradation du milieu terrestre par l’apport de matière extra-terrestre ou d’une autre façon ». S’aventurer sur la Lune certes, mais en limiter l’empreinte des activités humaines.
Le principe d’utilisation pacifique de la Lune
La prévention d’éventuels risques de conflits armés dans l’espace
Sans grande surprise, le principe d’utilisation pacifique trouve également sa source dans la Guerre Froide et la volonté de ne pas transformer l’espace et ses corps célestes en zone de guerre. Le traité de l’Espace de 1967 signalait dans une belle formule que ce dernier est l’apanage de l’humanité tout entière : à partage commun, responsabilité commune. Son article IV énonce que les Etats parties utiliseront la Lune et autres corps célestes exclusivement à des fins pacifiques. Par conséquent, sont interdits sur les corps célestes l’aménagement de bases et installations militaires ainsi que de fortifications, les essais d’armes de tous types et l’exécution de manœuvres militaires. Cependant, l’utilisation de personnel militaire à des fins de recherches scientifiques ou tout autre fin pacifique n’est pas interdite, de manière logique.
Il faut cependant noter une certaine nuance à ce principe d’utilisation pacifique ; en son paragraphe 1 de l’article IV, le Traité énonce : « Les États parties au Traité s’engagent à ne mettre sur orbite autour de la Terre aucun objet porteur d’armes nucléaires ou de tout autre type d’armes de destruction massive, à ne pas installer de telles armes sur des corps célestes et à ne pas placer de telles armes, de toute autre manière, dans l’espace extra-atmosphérique ». La Lune, bien que comprise implicitement dans les corps célestes, n’est pas ici explicitement mentionnée. Pourtant, régir les activités comprenant des armes nucléaires et armes de destruction massive est primordial pour garantir la paix et la sécurité internationales aux yeux de l’ONU.
Cette ambiguïté probablement volontaire du paragraphe, où la Lune serait une sorte de chat de Schrödinger, à la fois comprise et non comprise dans ce principe, fut par la suite heureusement levée dans le traité de 1979 en son article III paragraphe 4 qui mentionne explicitement la Lune. La frontière reste cependant ténue entre l’exploration et l’exploitation de la Lune par des militaires et son utilisation à des fins militaires : exploration et exploitation ne pourraient-elles pas basculer rapidement dans une optique belliqueuse ?
Respect des instruments internationaux asseyant ce principe
S’impose alors une question cruciale : les traités et accords régissant le rapport de l’Homme à la Lune sont-ils appliqués par les acteurs concernés, en premier lieu les Etats ?
A première vue, et de manière assez surprenante, les grandes puissances de ce monde, comme la Russie, les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne ainsi que l’Allemagne ont signé et ratifié ce traité.
Le mode de fonctionnement de ce traité s’avère également fort intéressant : les activités dans l’Espace doivent obtenir une autorisation préalable émanant de l’ONU qui exerce une surveillance permanente de l’État membre concerné par ce traité.
Cependant, le traité est parfois remis en cause par des acteurs étatiques. C’est le cas aux Etats-Unis où le SPACE Act de 2015, axé sur l’industrie minière et le vol spatial privé, énonce que les citoyens américains ont la possibilité d’entreprendre l’exploration et l’exploitation commerciales des ressources spatiales. Bien que les Etats-Unis affirment ne pas imposer une quelconque souveraineté, règne ou droit exclusif ainsi que la possession d’un corps céleste comme la Lune par exemple, c’est sans aucun doute une fragilisation du principe de non-appropriation du satellite. En effet, autoriser et permettre à des entreprises privées d’utiliser à des fins commerciales des ressources spatiales ne serait-elle pas l’expression déguisée d’une certaine souveraineté étatique ?
Qu’en est-il du respect de l’Accord régissant les activités des Etats sur la Lune et les autres corps célestes de 1979 ? Là encore, sur 18 parties à l’accord, seules 11 l’ont signé. Pire encore, les Etats étant en capacité de se rendre dans l’espace ont pris le soin de ne pas ratifier cet accord. C’est par exemple le cas de l’Inde ou de la France. Les Etats-Unis et la Russie ne sont même pas présents à cet Accord. De ce bilan quelque peu décevant, on retiendra que la Lune demeure un objet de convoitise permanent de la part des Etats. L’intérêt suscité par elle est exponentiel, en témoigne le développement des acteurs privés souhaitant son utilisation à des fins commerciales dans un futur proche.
Le choix de non ratification de cet Accord par la France tout comme les autres grandes puissances capables de se rendre dans l’espace est avant tout stratégique et politique, sans grande surprise. Il serait cependant souhaitable et même raisonnable, au regard du contexte actuel de développement des activités spatiales que la France se résolve à ratifier cet Accord, tout comme les autres grandes puissances. Une ratification constituerait ainsi un premier pas concret vers une sécurisation de l’exploitation et l’exploration de cet astre céleste.
Pour aller plus loin :
Philippe Achilleas, « Espace : la loi du plus fort sera toujours la meilleure », Pour la science, n°460, 27 janvier 2016.
Simone Courteix,« Le traité de 1967 et son application en matière d’utilisation militaire de l’espace », Politique étrangère, n°3, 1971.
Simone Courteix,« L’accord régissant les activités des Etats sur la Lune et les autres corps célestes », Annuaire français de droit international, n°25, 1979.
Mireille Couston, Droit spatial, Paris, Editions Ellipse, 2014.
Notes
↑1 | Le terme « atterrissage » s’avère le seul correct face à celui « d’alunissage », un peu plus fantaisiste. |