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Réforme du règlement de l’Assemblée nationale : propositions pour mieux légiférer et pour plus de démocratie [Note #37]

Député de 2007 à 2017, ancien Président de la Commission des Lois

Collaborateur parlementaire et Co-fondateur de "La loi pour tous - Tous pour la loi"

Lors de son discours devant la représentation nationale après son élection à la présidence de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand a indiqué sa volonté d’engager une réforme du règlement intérieur de l’Assemblée nationale (RAN). Chacun de ses prédécesseurs a d’ailleurs souhaité laissé sa marque sur ce corpus juridique.

          Car, s’il semble de prime abord relever de considérations administratives, le RAN touche au fonctionnement de notre démocratie et à nombre de questions qui font régulièrement débat telles que le rôle des élus, le pluralisme et donc la représentativité de l’Assemblée, l’équilibre des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif, la place des citoyens dans l’élaboration de la loi, la qualité et l’évaluation de celle-ci, ou encore la place des normes européennes dans la législation nationale.

          En effet, tout en respectant la Constitution, les lois organiques qui en précisent l’application, et les lois ordinaires, le règlement de l’Assemblée nationale, en dehors de l’organisation de la procédure législative, dispose de marges de manœuvres importantes. Or, au-delà d’un légitime débat sur la réforme de la constitution et de nos institutions, et quels que soient les cadres retenus, demeure la question de l’utilisation que nous réalisons de celles-ci.

          Nous voulons ici illustrer ce propos en formulant une préconisation de réforme de ce règlement qui renforcerait l’équilibre des pouvoirs, le pluralisme de la délibération et donc la représentativité de l’Assemblée nationale, la participation citoyenne, la qualité et l’évaluation de la loi, la bonne articulation des législations nationale et européenne.

Le droit existant

            La fonction de « rapporteur d’application » est dévolue à un député de l’opposition. Ce dernier est en charge, six mois après l’adoption définitive d’un texte, de vérifier sa bonne application, et notamment la publication des décrets d’application (taux qui s’avère, il faut le souligner, bien plus élevé que tout ce que l’on peut répéter à l’envi sur les lois « jamais appliquées ».).

            Le règlement actuel prévoit que ce rapporteur d’application peut être nommé dès le dépôt initial d’un projet de loi, concomitamment avec la nomination du rapporteur dit « principal ». Ce dernier, issu de la majorité, va organiser l’ensemble de l’examen d’un projet de loi pour la commission saisie au fond. Dans ce cadre, le rapporteur d’application a la faculté de produire un rapport spécifique lors du premier examen en commission d’un projet de loi, notamment sur l’étude d’impact qui accompagne ce texte.

            L’étude d’impact est composée d’un ensemble de documents qui analysent notamment l’articulation du projet de loi avec le droit européen en vigueur ou en cours d’élaboration, l’état d’application du droit sur le territoire national dans le ou les domaines visés par le projet, les modalités d’application dans le temps des dispositions envisagées, l’évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales, ainsi que les coûts et bénéfices financiers attendus des dispositions envisagées[1]Voir l’article 8 de la Loi organique n°2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.. L’étude d’impact revêt donc potentiellement une importance particulière pour enrichir la délibération démocratique, la qualité de la loi et poser les bases d’une possible évaluation future de la loi.

            Enfin, notons que tout citoyen a la faculté de formuler remarques, critiques et avis sur les études d’impact. Possibilité qui se concrétise par un formulaire dédié sur le site de l’Assemblée nationale accessible sur chaque étude d’impact[2]Voir 2ème alinéa de l’article 83 du Règlement intérieur..

Remarques sur cette situation

            Nous voyons dans cet état du droit s’articuler des éléments qui mettent en jeu :

  • Les pouvoirs de l’opposition, non seulement garants d’un contre-pouvoir à une majorité, mais tout autant – si ce n’est plus encore – la condition de possibilité d’une délibération pluraliste qui tend donc vers une forme de représentativité ;
  • La possibilité d’une participation citoyenne effective à un stade précoce de la procédure parlementaire d’examen d’un projet de loi ;
  • L’articulation des législations nationale et européenne, puisque les études d’impact doivent viser spécifiquement le droit européen existant et en cours d’élaboration dans le domaine visé par le projet de loi.
  • L’équilibre et le partage des pouvoirs dans la mesure où l’étude d’impact agrège un ensemble de documents produits par l’exécutif et soumis au Parlement. Et c’est d’autant plus vrai que la qualité des études d’impact est souvent remise en question et que le Parlement a la faculté de refuser l’examen d’un projet de loi au motif d’une étude d’impact qui méconnaîtrait les obligations posées par la loi en ce domaine.
  • La qualité et l’évaluation des lois grâce à l’enrichissement de la délibération initiale de nombreux diagnostics et la précision apportée concernant les objectifs attendus d’une législation.

            On le constate aisément, l’ensemble de ces sujets se situe au cœur des critiques et réflexions concernant le fonctionnement de notre démocratie. Or, nous pouvons indéniablement progresser, améliorer nos procédures en modifiant simplement certains aspects du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale, sans recourir ni à une réforme constitutionnelle, ni à un référendum.

Cinq propositions de modifications

            Pour satisfaire les objectifs précités, notre proposition de réforme suppose de[3]Nous avons fait le choix de détailler, étape par étape, les différentes modifications qui pourraient être apportées. Car, si elle procède d’une réflexion globale, la démarche s’avère … Continue reading :

  • Systématiser la nomination du rapporteur d’application lors de la nomination du rapporteur sur un projet de loi à l’occasion de son dépôt initial.
  • Associer un député d’opposition de la Commission des Affaires Européennes qui devra analyser les obligations de l’étude d’impact quant à la législation européenne en vigueur et en cours d’élaboration.

Proposition de modification du RAN :

  • Assurer au rapporter d’application le soutien des moyens humains et matériels de la commission saisie au fond. En effet, il arrive que des rapporteurs d’application soient déjà nommés à ce stade précoce de la procédure, mais l’interprétation des textes actuels ne garantit aucunement qu’ils bénéficieront du concours des administrateurs de la commission.
  • Systématiser la production des contributions sur les études d’impact d’une part, et préciser le rôle des deux députés nommés à cet effet d’autre part.
  • Garantir la prise en compte des contributions citoyennes dans les rapports sur l’étude d’impact.

Les résultats attendus

            Une série de bénéfices pour le fonctionnement de nos institutions découlerait de la réforme décrite ci-avant :

  • La fonction de « rapporteur d’application » serait pleinement investie alors que son statut s’avère aujourd’hui ambigu et très variable selon les pratiques de chaque commission.
  • Cette nomination précoce et accompagnée de moyens de la commission rendrait effectif ce droit de l’opposition.
  • Ce faisant, le parlement gagnerait les moyens d’un réel examen de l’étude d’impact, garantie d’une exigence de qualité plus poussée à l’égard du Gouvernement et d’un enrichissement du débat parlementaire.
  • L’association d’un député de la Commission des Affaires européennes avec pour mission de vérifier spécifiquement la bonne prise en compte du droit européen en vigueur et en cours d’élaboration induirait la mise en place d’une démarche de veille permanente de la législation européenne en cours d’élaboration dans le cadre même de la production des normes nationales. Cela permettrait à l’expertise de la commission des Affaires européennes de se diffuser, enfin, en temps réel dans les travaux des commissions saisies au fond sur les textes.
  • De même, le Parlement se doterait également des moyens de poser les bases, dès l’amorce du processus législatif, d’un réel travail d’évaluation. La proposition rejoint d’ailleurs les remarques récentes de la Cour des comptes : « Les études d’impact législatives devraient devenir de véritables outils d’évaluation ex-ante et servir à l’appréciation ex-post de l’efficience et de l’efficacité de la politique publique, une fois celle-ci mise en œuvre ». Nous y introduisons toutefois une nuance : il convient de ne pas confondre la loi et les politiques publiques. Et, de fait, la procédure législative distingue bien l’évaluation des politiques publiques conduite par le CEC (Comité d’Evaluation et de Contrôle) et l’évaluation législative qui est du ressort des commissions.
  • Viser explicitement les contributions citoyennes – d’ores et déjà possibles sur les études d’impact – poserait les bases d’une intégration des avis et expertises des citoyens dans la procédure parlementaire et ferait du « rapporteur d’application de plein exercice » un embryon de « rapporteur citoyen ».

            Il importe que le Président de l’Assemblée nationale et l’ensemble des groupes parlementaires se saisissent de ce sujet de démocratie en prévision du projet de réforme du règlement de l’Assemblée nationale. À Constitution et législation constantes, il est déjà possible de réaliser un usage fort différent de nos institutions !

Notes

1 Voir l’article 8 de la Loi organique n°2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.
2 Voir 2ème alinéa de l’article 83 du Règlement intérieur.
3 Nous avons fait le choix de détailler, étape par étape, les différentes modifications qui pourraient être apportées. Car, si elle procède d’une réflexion globale, la démarche s’avère cumulative.