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Une extrême-droite atone, la singularité portugaise [Note #58]

Docteur en histoire Enseignant à Sciences Po Centre d’Histoire de Sciences Po

       « La gloire incertaine et fugitive d’un beau jour d’avril qui tantôt brille de tous les rayons du soleil et qu’à chaque instant un triste nuage vient obscurcir » évoquée par Shakespeare dans Les deux gentilshommes de Vérone est à l’image de cette gloire connue par le Portugal le 25 avril 1974. En une seule journée, ce pays est passé de l’ombre à la lumière, projeté sous les feux de l’actualité internationale avec le renversement de la dictature salazariste vieille de près d’un demi-siècle. Evénement clé de l’histoire contemporaine du Portugal, la révolution des Œillets, singulière et pacifique, ouvre la voie à une transition vers la démocratie basée non sur une négociation (comme en Espagne avec un « pacte de l’oubli » ou au Brésil quelques années plus tard), mais sur une rupture entre le passé de la dictature et le présent de la démocratie. La révolution des Œillets imprègne dès lors la mémoire collective – le 25 avril, « Jour de la Liberté », étant férié – et fonde la démocratie portugaise sur le rejet de toute « idéologie fasciste. »

Le legs du 25 avril

       Dès après la Révolution, les hiérarques de la dictature salazariste sont contraints de s’exiler au Brésil ou en Espagne, alors qu’une épuration des élites politiques, militaires et administratives réduit au silence la droite radicale et autoritaire, discréditée par son inféodation à l’Estado Novo salazariste. Comme le déclarent des officiers du MFA – le Mouvement des Forces Armées – un an après le 25 avril, « il faut vaincre ce que 48 années de fascisme nous ont légué : 14 années de guerres coloniales ; 32% d’analphabètes ; 10% de la population émigrée ; des milliers et milliers de morts et invalides de guerre ; des indicateurs sanitaires parmi les plus bas d’Europe ; des problèmes dramatiques d’habitat ; une économie désastreuse ; un prestige international nul. Répression. Torture. Censure. »

La recomposition du paysage politique

            Dans ce contexte, les premières élections libres pour désigner les députés de l’Assemblée Constituante se déroulent le 25 avril 1975 au suffrage universel masculin et féminin. Le taux de participation est supérieur à 90%.

            Deux ans après la révolution des Œillets, la Constitution promulguée le 2 avril 1976 – toujours en vigueur après plusieurs révisions – limite dans son article 46§4 la liberté d’association : elle exclut toutes les « associations armées », « de type militaire, militarisées ou paramilitaires, ainsi que les organisations racistes ou prônant une idéologie fasciste ». Pour autant, elle ne prévoit pas la création d’un délit d’opinion[1] Cf. Cécile GONÇALVES « Extrême-droite, l’exception portugaise », AOC, 4 mars 2019. ; au contraire, au sortir des 18 mois agités du processus révolutionnaire (PREC), la fragile démocratie portugaise s’enracine grâce à une politique de tempérance.

            Dans ce cadre, le sens politique et l’habileté du socialiste Mário Soares – Premier ministre de 1976 à 1978 – facilitent l’arrimage de l’Eglise catholique et des formations de centre-droite (PSD – Parti social-démocrate – et CDS – Centre démocratique et social). D’ailleurs, aucune de ces dernières ne peut se déclarer ouvertement de droite et leur personnel politique a été pour partie renouvelé ; il procède de l’aile libérale critique à l’égard du « marcelisme », du nom de Marcelo Caetano qui avait succédé à Salazar en septembre 1968 comme président du Conseil et tenté de promouvoir une « évolution dans la continuité ». Toutefois, ce personnel politique accueille progressivement quelques personnalités liées à l’ancien régime salazariste.

            Un système de partis stable se met en place, marqué par l’alternance du centre-gauche (PS) et du centre-droite (PSD). Aux côtés de ces deux partis de gouvernement, le CDS peut jouer le rôle de force d’appoint par des alliances avec le PSD, n’hésitant pas, sous la présidence de Paulo Portas (1997-2005 et 2007-2016), à faire siens des thèmes nationalistes et populistes. On citera notamment la défense des anciens combattants des guerres coloniales, des rapatriés d’Afrique de l’été 1975 (« retornados ») et du modèle souverainiste contre l’élargissement de l’Union européenne aux pays d’Europe centrale et orientale.

            Le scrutin à la proportionnelle permet à la fois l’expression du pluralisme et la formation de majorités (système d’Hondt avec prime au parti majoritaire) dans le cadre d’un régime semi-présidentiel à l’origine, devenu parlementaire dans la pratique des institutions. Sur la longue durée, la transition par rupture aurait favorisé des pratiques démocratiques plus inclusives qu’en Espagne et sa transition pactée[2] Cf. Robert M. FISHMAN, Democratic Practice : Origins of the Iberian Divide in Political Inclusion, Oxford, Oxford University Press, 2019..

Une politique mémorielle sous le feu des questions

            Pour la jeune démocratie, après avoir réglé quelques comptes avec le passé autoritaire, l’objectif consiste à rompre avec celui-ci, sans l’effacer[3] Cf. Filipa RAIMUNDO, Ditadura e Democracia. Legados da memória, Lisbonne, Fundação Francisco Manuel dos Santos, 2018, 108 p.. Très rapidement, se constitue une « Commission du Livre Noir sur le régime fasciste » (1979-81), l’une des premières « commissions vérité » au monde qui donne lieu à la publication de 25 rapports, ainsi que l’accès facilité aux sources (ouverture des nouvelles Archives nationales de Torre do Tombo en 1991, dotées d’un riche fonds contemporain). De fait, cela favorise le développement des recherches sur l’Estado Novo salazariste et rend possible l’écriture de l’histoire du vingtième siècle portugais, ignorée ou instrumentalisée sous Salazar.

            De nouvelles générations d’historiens et politistes prennent corps dans diverses institutions de recherche ou fondations à Lisbonne (Institut d’Histoire Contemporaine, ICS, Fondation Mário Soares), à l’université de Coimbra (Centre de documentation du 25 avril, CEIS20) et à Porto. Elles confèrent par conséquent une grande vitalité à la recherche sur le salazarisme.

            Dans les années 2000, émergent certaines velléités de réécriture de l’histoire de l’Estado Novo et du 25 avril, voire une forme de révisionnisme. Les commémorations du 40e anniversaire de la révolution des Œillets en 2004 en constituent le meilleur exemple du fait du slogan polémique promu par le gouvernement PSD/CDS (centre-droite) « Avril est (r)évolution ». Celui-ci est d’ailleurs contestée par les forces de gauche.

            Pour contrecarrer ce mouvement, mais aussi pour honorer la mémoire des quelque 30 000 opposants à la dictature, emprisonnés et torturés par la police politique de l’Estado Novo (la PIDE), la politique mémorielle prend un nouvel élan. Une lettre ouverte – « Sans mémoire collective, il n’y a pas d’identité historique » – adressée aux députés et au président de l’Assemblée en novembre 2007 joue un rôle moteur. La décision est alors prise de créer un ambitieux réseau de musées « dédiés à l’histoire et à la mémoire du combat contre la dictature ». Parmi eux, figurent le Musée national de la Résistance et de la Liberté, inauguré le 25 avril 2015 dans l’ancienne prison de l’Aljube à Lisbonne, celui de la forteresse de Peniche, inauguré le 25 avril 2019, et des projets similaires à l’étude à Coimbra ainsi qu’à Porto.

            Cette politique mémorielle reste fragile, comme en témoigne la récente polémique autour du projet de « Musée Salazar » – désigné comme « Musée interprétatif de l’Estado Novo ». En effet, on compte parmi ses promoteurs le maire socialiste de Santa Comba Dão ou des groupuscules nationalistes. Ceux-ci militent de longue date pour implanter le musée dans la maison de Salazar à Vimieiro, le village où est né et enterré le dictateur, décédé en juillet 1970. Inséré dans un réseau régional de musées consacrés à des personnages célèbres, ce projet mêle des finalités touristiques à des relents nostalgiques nauséabonds – « saudosistas » – et potentiellement hagiographiques ; en effet, un contenu scientifique très flou s’ajoute au caractère problématique du lieu choisi, propice à toutes les récupérations en termes de « patrimonialisation » de la figure du dictateur. D’autant que certains chroniqueurs cherchaient à le banaliser au nom d’une supposée maturité de la société portugaise – présentée comme bien supérieure à celle de l’Espagne – et d’un rapport au passé plus apaisé. Ces mêmes commentateurs, prompts à présenter l’Estado Novo comme « une dictature de faible intensité », ont alors affirmé que « Salazar était bien mort et oublié depuis longtemps ».

            En réaction, le Parti communiste, qui considérait ce projet comme un « affront à la démocratie et aux valeurs démocratiques », une « offense à la mémoire des victimes de la dictature », a reçu le soutien des députés socialistes et du Bloc de Gauche (BE) de l’Assemblée de la République pour condamner, le 12 septembre dernier, la création de ce musée et appeler les promoteurs à reconsidérer leur position. On notera que les députés PSD et CDS se sont abstenus.

            Ce projet de « musée Salazar » est révélateur à plus d’un titre. D’abord de la fragilité de toute politique mémorielle, dont ses défenseurs et ses contempteurs ne mesurent pas toujours certaines contradictions et limites lorsque les prérequis scientifiques et « l’histoire savante » sont laissés de côté. « Salazar : fantasme, passion et haine » titre par exemple la une de Visão, l’un des principaux hebdomadaires portugais, dans son édition du 12 septembre dernier, avant de s’interroger : « quasiment cinquante ans après sa mort, il continue d’être source de polémique et de diviser l’opinion. Que faire de la mémoire du dictateur ? » Tout se passe comme si ce projet de musée polémique devait être l’étincelle capable de raviver des passions éteintes.

            L’épisode interpelle sur la réalité du rapport au passé de la dictature :

  • On note d’abord l’ignorance de celui-ci par une partie de la population. Les jeunes générations notamment n’ont jamais su – ou cherché à savoir – ce que fut la dictature. Au demeurant, le sujet était souvent tabou au sein des familles, ce qui tend à nourrir dénis et silences de la mémoire ;
  • On peut également mettre en exergue le possible détournement par les nostalgiques de la dictature, peu nombreux selon la plupart des analystes. On compte parmi eux ces droites radicales jamais remises de la fin de l’empire ultramarin et d’un passé colonial idéalisé, support de cette « splendeur du Portugal » instrumentalisée par le régime salazariste[4] Cf. Riccardo MARCHI, Império, nação, revolução : as direitas radicais portuguesas no fim do Estado Novo, 1959-1974, Cacém, Texto, 2009. ; mais figurent aussi des plus jeunes et potentiellement plus nombreux, sensibles aux discours nationalistes ambiants, en Europe et dans le monde, sur le mode du « make our country great again ».

Un legs en trompe l’œil : l’émergence d’une extrême-droite portugaise ?

            Dans le contexte post-25 avril, puis celui de l’adhésion à la Communauté européenne en 1986 et des « vingt glorieuses » de la croissance jusqu’au début de ce siècle, la question de l’extrême-droite ne s’est jamais vraiment posée au Portugal ; mais qu’en est-il aujourd’hui, dans un contexte international de montée des nationalismes et des crispations identitaires ? Le Portugal ne constituerait-il pas un axe stratégique en Europe pour l’extrême-droite ? 

            La réunion début août, à Lisbonne, de partis européens d’extrême-droite pourrait le laisser craindre. De même, la récente création d’un syndicat national des transporteurs de produits dangereux, particulièrement mobilisé dans cette période pré-électorale pour bloquer l’approvisionnement du pays en combustibles, fait songer aux épisodes qui ont précédé le renversement de Salvador Allende au Chili en septembre 1973.       

            Comme le relève le sociologue Boaventura de Sousa Santos dans un article publié en août dernier[5] Boaventura de SOUSA SANTOS, « Portugal, um alvo estratégico da extrema-direita », Público, 11 août 2019., pour les partis d’extrême-droite, l’objectif consiste à détruire l’Union européenne en faisant de celle-ci un continent d’Etats rivaux où prospèrent les nationalismes. Ces partis estiment, par conséquent, devoir neutraliser prioritairement les forces de gauche, au pouvoir au Portugal depuis novembre 2015 avec la « geringonça ». L’extrême-droite se placerait ainsi à l’affût, disposant de trois leviers principaux, mobilisables aisément grâce aux réseaux sociaux :

  • L’appui à la contestation sociale contre des mesures gouvernementales présentées comme hostiles au peuple. L’exemple de la grève des transporteurs de combustibles en témoigne : le vice-président du syndicat a mis en avant comme principal mot d’ordre « Laissons le droit du travail, c’est une question d’honneur » ;
  • L’exploitation des « idiots utiles » qui, parfois animés des meilleures intentions, peuvent faire le jeu de l’extrême-droite. Ainsi lors de la grève des enseignants avant l’été, ceux-ci ont maximisé les revendications au risque de faire démissionner un gouvernement de gauche ;
  • Enfin, par l’exacerbation des tensions internes à la coalition gouvernementale qui accroit au sein du PS, le parti pivot, la tentation du « bloc-central », de recentrage.

            Les scores obtenus par la seule véritable formation d’extrême-droite au Portugal, le Partido Nacional Renovador (Parti national rénovateur, PNR), fondé en 2000 et présidé depuis 2005 par l’avocat José Pinto Coelho, seraient de nature à rassurer sur l’exception européenne qu’incarne le pays. En effet, ce parti ne dépasse pas 0,5% lors des dernières consultations électorales (législatives d’octobre 2015 et européennes de mai 2019), avec ses slogans « Travail et Nation » et « Le Portugal aux Portugais ». D’autant que les autres mouvements populistes – antisystème, anti-corruption, anti-Roms – ne trouvent guère d’espace politique pour exister, bridés à droite par le CDS qui a préempté le thème de la nostalgie coloniale et, à gauche, par le PC, sur la thématique de l’euroscepticisme.

            Les élections européennes leur fournissent d’ailleurs un terrain d’expression limité, comme en témoigne le score sans lendemain réalisé en 2014 (7,2%) par l’avocat Marinho e Pinto du Parti de la Terre. D’aucuns lui prédisaient pourtant un destin à la Beppe Grillo dans un contexte d’austérité. En témoigne aussi celui réalisé en 2019 par Basta ! avec à sa tête André Ventura, un professeur de droit, dissident du PSD, habitué des plateaux de télévision comme commentateur sportif, toujours prompt à stigmatiser les gitans, mais qui n’a pas dépassé 1,5%.

            Le système politique portugais, qualifié de résilient, solidement structuré autour du clivage gauche/droite et des deux grands partis de gouvernement (PS et PSD), résiste à la montée des populismes et de l’extrême-droite observée chez ses voisins. A droite et au centre-droit, tant le PSD que le CDS-PP (Parti populaire), pourtant prompts à verser dans le discours sécuritaire et à exalter la fierté nationale, ont tenu les nostalgiques du salazarisme en lisière, occupant tout l’espace du conservatisme.

            Si une partie importante de l’opinion ne se reconnait pas dans le système des partis et l’offre politique existante, elle se réfugie dans l’abstention. Celle-ci n’a cessé de croître depuis les années 1980, approchant souvent 50%. Un record a été atteint lors des élections européennes de mai 2019 (plus de 70%), celles-ci n’étant pas couplées avec un scrutin local, à la différence par exemple de l’Espagne ou de la Grèce.

            Cette abstention croissante pose la question des dynamiques de mobilisation dans le Portugal démocratique. Le contraste avec la mobilisation à l’œuvre après le 25 avril témoigne rétrospectivement de son intensité lors du processus révolutionnaire (PREC), l’une des plus fortes dans l’Europe de la seconde moitié du vingtième siècle. L’analyse comparée avec cette période et avec d’autres pays européens fait apparaître le Portugal comme un pays affichant des niveaux plutôt faibles de mobilisation sociale et politique (grèves, manifestations, participation à des mouvements citoyens) depuis le début des années 1980. Cette analyse pose la question du legs salazariste, de cette atonie cultivée pendant près d’un demi-siècle par la dictature pour éviter toute mobilisation de masse afin de « faire vivre le Portugal habituellement[6] Cf. Guya ACCORNERO et Pedro RAMOS PINTO, « A Mild-Mannered ? Protest and Mobilisation in Portugal under Austerity, 2010-2013 », West European Politics, Volume 38, 2015, p. 491-515.».

« Une nation de migrants » 

            Aucune explication « culturaliste » ou « essentialiste » ne saurait expliquer cette faiblesse du populisme et de l’extrême-droite au Portugal, alors que la crise économique et sociale amplifiée par les politiques d’austérité (2010-2015) aurait pu servir de grain à moudre, sinon de détonateur. Comme l’ont relevé plusieurs analyses[7] Cf. notamment António COSTA PINTO et Conceição PEQUITO TEIXEIRA (eds), Political Institutions and Democracy in Portugal. Assessing the impact of the Eurocrisis, Londres et New York, Palgrave … Continue reading, l’absence de ces mouvements ou leur effacement de l’avant-scène politique tient principalement à l’absence de son principal carburant.

            En effet, on n’observe aucun « choc migratoire » dans ce pays de migrants tout au long de son histoire. L’immigration, issue principalement du Brésil et des anciennes colonies portugaises d’Afrique, avec des apports d’Europe orientale depuis une vingtaine d’années, elle pose peu de problèmes et n’est considérée comme une menace par moins de 5% des Portugais. Même si le racisme existe, son expression est moins libérée qu’ailleurs, d’autant qu’opère toujours la vulgate « lusotropicaliste », cette croyance héritée du temps de Salazar selon laquelle les Portugais auraient pratiqué un colonialisme suave, tolérant, avec une propension naturelle au métissage et à une intégration dénuée de racisme. Quant aux réfugiés du bassin méditerranéen – le Portugal n’a pas de façade maritime en Méditerranée -, les autorités portugaises ont exprimé leur souhait d’en accueillir un nombre croissant (1552 entre 2015 et 2018). Cette crise démographique pourrait à terme avoir des répercussions sur la perception des étrangers dans un contexte d’immigration renforcée mais, pour l’heure, « l’épouvantail » de l’immigration ne fonctionne donc pas au Portugal, privant l’extrême-droite de son thème de prédilection.

            Au contraire, encore récemment, au plus fort des politiques d’austérité, près de 500 000 Portugais, majoritairement jeunes et formés, ont dû se résoudre à quitter leur pays.  Dans un pays avec près de 5 millions de Portugais résidant à l’étranger, le slogan du PNR « Le Portugal aux Portugais » a peu d’impact, chaque famille étant concernée par ces phénomènes migratoires, comme vient de le rappeler le président de la République Marcelo Rebelo de Sousa : « Nous sommes une nation de migrants. L’Europe, sans croisement de cultures, n’a pas de raison d’être. »

            Le pays connaît également une absence de renouvellement des générations et une population vieillissante. Compensé par l’essor de l’immigration dans les années 1990 et 2000 (436 000 résidents étrangers en situation régulière en 2007), le solde migratoire est devenu négatif en 2010, lors des départs précités pendant les années d’austérité où le Premier ministre PSD encourageait les jeunes à émigrer. Il est redevenu positif en 2017.

            Selon une étude[8] Migrações e sustentabilidade demográfica, Fundação Francisco Manuel dos Santos, 2017. réalisée en 2017, le Portugal aurait ainsi besoin de plus de 75 000 nouveaux résidents par an, faute de quoi, à l’horizon 2060, la population serait inférieure à 8 millions d’habitants (contre 10,4 en 2017). Comme l’a rappelé à plusieurs reprises le Premier ministre PS António Costa : « nous avons besoin de plus d’immigration et nous ne tolérons aucun discours xénophobe ». Cette situation pose problème tant pour la pérennité des systèmes de protection sociale qu’en termes de main d’œuvre dans un contexte de rebond économique.   

            Les autorités portugaises s’emploient donc à encourager l’immigration :

  • les Portugais établis récemment à l’étranger sont incités à revenir s’installer au Portugal, avec notamment des incitatifs fiscaux.
  • Les procédures de demandes de visa sont en cours de simplification, afin d’attirer notamment étudiants et entrepreneurs ;
  • plus de 30 000 ressortissants étrangers viennent d’être régularisés, sans compter l’afflux de demandes de naturalisation de citoyens brésiliens enregistrés ces derniers mois dans les instances consulaires au Brésil.

            Au-delà des interrogations concernant la réalité du « miracle portugais »[9] Pour une lecture critique, cf. Mickaël CORREIA, « La face cachée du miracle portugais », Le Monde diplomatique, septembre 2019., le contexte politique sera déterminant pour maintenir l’extrême-droite et les populistes à leur étiage actuel. Alliance programmatique insolite depuis l’automne 2015, la « geringonça » unit le PS, le Bloc de Gauche et le PC[10] Cf. notamment Elisabetta DE GIORGI et João CANCELA, « The Portuguese Radical Left Parties Supporting Government : From Policy-Takers to Policymakers ? », Cambridge Core, published … Continue reading afin de « tourner la page de l’austérité ». Elle a joué un rôle essentiel en permettant aux Portugais de relever la tête et de retrouver leur fierté, mise à mal par la « Troïka » et les années d’austérité. Cela s’est notamment opéré grâce à une politique volontariste de relance par la demande.

            Comme l’a souligné le 16 septembre dernier Jorge Sampaio, ancien Président de la République (1996-2006) et personnalité emblématique du PS, si « le Portugal a su préserver le legs d’Avril, il faut aller plus loin, rénover l’écosystème des régimes démocratiques, sous peine de les voir s’étioler, soit en étant remplacés par des régimes autocratiques et autoritaires, soit par voie de dégénérescence en régimes populistes. »

Notes

1 Cf. Cécile GONÇALVES « Extrême-droite, l’exception portugaise », AOC, 4 mars 2019.
2 Cf. Robert M. FISHMAN, Democratic Practice : Origins of the Iberian Divide in Political Inclusion, Oxford, Oxford University Press, 2019.
3 Cf. Filipa RAIMUNDO, Ditadura e Democracia. Legados da memória, Lisbonne, Fundação Francisco Manuel dos Santos, 2018, 108 p.
4 Cf. Riccardo MARCHI, Império, nação, revolução : as direitas radicais portuguesas no fim do Estado Novo, 1959-1974, Cacém, Texto, 2009.
5 Boaventura de SOUSA SANTOS, « Portugal, um alvo estratégico da extrema-direita », Público, 11 août 2019.
6 Cf. Guya ACCORNERO et Pedro RAMOS PINTO, « A Mild-Mannered ? Protest and Mobilisation in Portugal under Austerity, 2010-2013 », West European Politics, Volume 38, 2015, p. 491-515.
7 Cf. notamment António COSTA PINTO et Conceição PEQUITO TEIXEIRA (eds), Political Institutions and Democracy in Portugal. Assessing the impact of the Eurocrisis, Londres et New York, Palgrave MacMillan, 2019.
8 Migrações e sustentabilidade demográfica, Fundação Francisco Manuel dos Santos, 2017.
9 Pour une lecture critique, cf. Mickaël CORREIA, « La face cachée du miracle portugais », Le Monde diplomatique, septembre 2019.
10 Cf. notamment Elisabetta DE GIORGI et João CANCELA, « The Portuguese Radical Left Parties Supporting Government : From Policy-Takers to Policymakers ? », Cambridge Core, published online by Cambridge University Press, 11 septembre 2019.