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Think tanks et partis politiques : pour une juste complémentarité. Propos d’ouverture du ForInCIP à Lille [Tribune #13]

Docteur en science politique Chercheur associé à l’IRM (université de Bordeaux) Enseignant à Sciences Po

L’Hétairie s’est associée à l’Université de Lille pour l’organisation du Forum international sur la Constitution et les institutions politiques (ForInCIP)[1]http://crdp.univ-lille2.fr/manifestations/detail-manifestation/?tx_ttnews%5Btt_news%5D=3130&cHash=2.

Les 22 et 23 juin, à Lille, des constitutionnalistes et politistes, venus de 14 pays, se sont retrouvés pour échanger autour de la thématique de cette édition : les partis politiques.

            Monsieur le Président,

            Madame, Monsieur les Professeurs,

            Madame, Monsieur,

            Il me faut en premier lieu remercier chaleureusement Jean-Philippe Derosier pour son accueil et le partenariat noué pour l’organisation de cet événement avec le think tank que je préside : L’Hétairie.

            Avant même sa tenue, le forum est déjà un succès au regard de la qualité et de la diversité de l’assistance ainsi que des participants.

            Il s’agit donc pour moi d’un honneur de prendre part aux débats qui vont suivre.

            Un honneur et, je dois le confesser, une forme d’étrangeté dans la mesure où mon propos introductif s’avère un hors-sujet assumé devant une assemblée de professeurs !

            En effet, alors que les débats se concentreront sur les partis politiques, je choisis d’aborder la question des think tanks pour défendre l’idée qu’ils s’éloignent radicalement de l’objet de nos échanges !

            Pourtant, mes interlocuteurs français peinent d’ordinaire à saisir l’essence d’un think tank, l’assimilant à un dégradé de parti politique ou à un proto-parti, souvent en fonction de la qualité de ses membres (des « has been » pour la première catégorie, des « jeunes pousses » pour la seconde).

            Une anecdote illustre mon propos : lors de notre enregistrement en préfecture, un fonctionnaire, à la lecture de notre engagement politique, a pris soin de nous téléphoner pour s’assurer que nous souhaitions bien créer une association et non un parti.

            Pareille confusion revient en réalité à dénaturer tant les partis que les think tanks. Qu’il me soit permis d’en dire quelques mots qui me permettront de parler, en creux, de L’Hétairie.

Trois différences ontologiques

            En premier lieu, un think tank ne saurait être assimilé à un parti par sa destination même, par son objet : il cherche non à exercer le pouvoir mais à l’inspirer, voire à inspirer sa critique avant sa reconquête quand il œuvre au profit d’une opposition ; il rêve d’influence.

            Etrange notion que celle d’influence, laquelle consiste à convaincre un individu d’accomplir un acte ; pouvoir qui s’exerce donc par personne interposée (on convoquera ici l’illustration archétypale des conseillers politiques). Et ce principe de conviction suppose la mobilisation d’arguments, le débat, parfois même la technicité.

            De fait, un think tank se distingue d’un parti par sa composition : s’il peut être composé de militants, il est surtout peuplé d’experts.

            La figure de l’expert en politique appartient à une catégorie des plus intéressantes et bénéficie d’une ample littérature scientifique. Elle est trop souvent réduite à celle du technocrate qui ne la résume pourtant pas.

            Politisé (mais qui ne l’est pas ?!), l’expert renonce aux oripeaux de la neutralité axiologique pour placer la connaissance au service d’une perspective instrumentale : il brise l’académisme.

            A titre d’illustration, au sein de L’Hétairie, un tiers de nos membres appartient au monde universitaire, un tiers est issu de la fonction publique et un tiers travaille dans le privé ou en qualité de profession libérale. Nous avons donc cumulé les sources d’expertise pour concentrer notre réflexion sur la conception, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques publiques.

            Troisième point prégnant : cette prévalence de l’expert implique par conséquent une absence d’homogénéité politique ou de ligne politique majoritaire, au seul profit du débat d’idées. La controverse ne rebute pas, elle est souhaitée.  Car, là où un parti, pour rallier à sa cause, doit fonctionner comme un outil de réduction des dissonances cognitives, un think tank doit, pour sa part, les exacerber. Et cette exacerbation incarne la seule condition pour une démarche probe, honnête, pour une véritable aide à la décision (principe moteur de l’influence).

            En outre, les rigueurs de la conquête du pouvoir ne s’appliquant pas, la discipline de parti s’avère inexistante.

            Dans cette perspective, au sein de L’Hétairie, au-delà de notre positionnement philosophique et politique, nous souhaitons animer un débat d’idées à charge et à décharge, y compris en publiant des opinions dissidentes incluses dans nos notes. Car il s’agit pour nous de l’unique voie pour prendre une décision éclairée, la défendre de manière éclairée et, au-delà, faire œuvre politique en signalant le clivage et en le dépassant par un choix (qu’il soit majoritaire ou qu’il rallie derrière lui une majorité).

            Finalité, composition, méthode : ces trois points fondent donc une différence ontologique entre parti et think tank. D’autres existent à n’en pas douter.

            Pour autant, la complémentarité entre ces deux objets est tout aussi ontologique que leur distinction. Car leur champ d’action est le même : le/la politique.

Les partis politiques : des think tanks comme les autres ?

            Si un think tank diffère d’un parti politique, à l’opposé, un parti politique peut-il internaliser certaines fonctions d’un think tank ?

            On a récemment vu fleurir l’idée, au sein de certains partis déboussolés, selon laquelle ces derniers devaient secréter eux-mêmes des idées, ne plus se placer dans la dépendance des think tanks.

            Pareille attitude s’avère très révélatrice du sentiment qui résulte de l’abdication des responsables politiques devant les technocrates – bien plus que devant les experts -, mais aussi du profond trouble des partis, en particulier depuis les dernières élections présidentielles.

            En effet, si l’idée ou l’idéologie structure un parti, celui-ci est-il pour autant un appareil de production idéologique ? Je ne le crois pas dans la mesure où sa fonction première consiste à conquérir le pouvoir et à accompagner son exercice.

            Naturellement, il peut incarner des aspirations, s’inspirer de plusieurs sources ou se placer derrière un individu (conséquence de la personnalisation du pouvoir, et parfois de sa dépolitisation). Un parti délibère, convainc, choisit mais ne produit guère.

            Dans le cas contraire, le premier risque consiste pour lui à crouler sous le poids des divergences internes, fondées ou exacerbées à des fins politico-médiatiques. Tout choix devient alors motif de scission, ce qui contribue à promouvoir la ligne du non-choix, du rassemblement arasant.

            Le deuxième danger réside dans une production de piètre qualité, tournée vers son débouché politique ou médiatique plus que vers une exactitude et une qualité. A l’instar du secteur économique, la spécialisation des tâches offre de meilleures garanties de succès.

            Dans cette configuration, il faut toutefois se garder de réduire les partis à un simple outil tandis que la fonction noble de la production de pensée serait externalisée. Au contraire, la pensée n’est qu’une matière première destinée à nourrir un choix, manifestation suprême de l’engagement politique, action la plus ardue/hardie en ce qu’elle expose.

            Loin du confort de l’expert qui raisonne en rationalité pure et parfaite, le responsable politique doit incarner, convaincre et vaincre. Telle est son irréductible supériorité, telle est sa noblesse.