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Les élections municipales ou la souhaitable concrétisation du clivage gauche/droite [Note #60]

Docteur en science politique Chercheur associé à l’IRM (université de Bordeaux) Enseignant à Sciences Po

Depuis mai 2017, le paysage politique s’avère particulièrement troublé. Les partis traditionnels (PS et LR principalement) se cherchent un avenir alors qu’ils ont connu de sévères défaites aux trois dernières élections (présidentielles, législatives, européennes) au profit du mouvement d’Emmanuel Macron. D’autant que ce dernier a misé avec succès sur un discours de rejet du clivage gauche/droite, au profit d’une confrontation avec l’extrême-droite qu’il installe comme seul interlocuteur (dans une rhétorique d’opposition entre progressistes et conservateurs).

            Mais, par-delà les mots, la politique conduite (notamment économique et sociale) s’inscrit sans conteste dans l’héritage de la droite libérale. Ainsi, le Président de la République donne-t-il corps au projet giscardien. Ce dernier, bien que gouvernant la France à droite, prenait soin d’adresser – au moins jusqu’aux élections de 1978 – des messages à l’électorat de gauche (on citera par exemple la loi relative à l’interruption volontaire de grossesse)[1]En revanche, si Valéry Giscard d’Estaing revendiquait de « gouverner la France au centre », son successeur de 2017 gomme cette référence dans ses discours grâce, précisément, à … Continue reading. Dans ces conditions, les élections européennes de 2019 ont d’ailleurs permis de constater une recomposition de l’électorat LREM qui accueille de plus en plus d’électeurs d’ordinaire revendiqués à droite tandis que ceux de gauche semblent s’éloigner.

            Toutefois, ni les élections législatives de 2017, ni les élections européennes de mai 2019 ne constituent des repères fiables à partir desquels bâtir des extrapolations permettant d’établir le réel état des forces politiques. Toutes deux sont en effet trop marquées par des éléments contextuels, par une trop forte contingence (effet d’entraînement de l’élection présidentielle et nouveauté immaculée pour 2017, prévalence des enjeux européens et extrême faiblesse des têtes de listes pour 2019, etc.). Si bien que l’on peine à déterminer le caractère éphémère ou non de la percée macroniste. D’aucuns l’estiment irréversible, d’autres l’assimilent à une parenthèse, certains enfin soulignent son caractère précaire mais ses conséquences lourdes sur la sphère politique (fin des partis hégémoniques, à gauche comme à droite, et recomposition de forces plurielles, etc.).

A l’inverse, les élections municipales de mars 2020 pourraient permettre de clarifier la structuration de la vie politique et, partant, sa lecture. Il faudrait pour cela qu’elles ne fassent pas l’objet d’une dépolitisation et que les parties en présence assument une approche idéologiquement marquée. Car, au-même titre qu’il a existé et qu’il existe encore un socialisme municipal, la gauche municipale présente des traductions concrètes que L’Hétairie se propose de mettre en exergue par une série de publications jusqu’aux élections de l’année prochaine.

L’écueil de la dépolitisation du scrutin municipal

            Dans la perspective des élections municipales de mars 2020, la volonté de dépolitisation est communément partagée. Cette dynamique correspond à la fois à :

  • Un état de fait dans la mesure où les intercommunalités, bien que disposant de très larges prérogatives, ne se situent jamais au cœur des enjeux du scrutin ou ne bénéficient pas d’une stratégie politique revendiquée. Leur exécutif procède donc d’une dynamique impressionniste, de négociations de coulisses conduisant aux alliances les plus étonnantes, et ne répond par conséquent à aucune base programmatique particulière. Certes, dans des territoires bénéficiant d’une certaine homogénéité politique, des stratégies plus coordonnées peuvent émerger. Néanmoins, la technicité des dossiers, les faibles moyens des groupes politiques (lorsqu’ils existent) et l’insuffisante formation des élus jouent en faveur d’un dépassement – abusif – des clivages.
  • Une tentation que l’on constate lorsque les logos des partis disparaissent, victimes d’une honte intériorisée sous le coup d’enquêtes d’opinion, pour ne pas porter le parfum de défaite qui nimbe les structures nationales ou à force d’entendre dénigrer les appareils partisans, leur caractère dépassé ou clivant. Au demeurant, elle habite en priorité les équipes sortantes tandis que les challengers ont plutôt tendance à politiser le scrutin pour tenter de capitaliser les mécontentements. Mais le prochain scrutin verra peut-être les challengers eux-mêmes ne plus se positionner sur le clivage gauche-droite.

On décèle également cette tentation dans la multiplication des mouvements, comités ou collectifs citoyens qui, peuplés de membres aux réflexes partisans affutés (quand il ne s’agit d’apparatchiks), recréent des partis qui ne s’assument pas.

  • Une stratégie que l’on voit à l’œuvre chez ceux des maires qui espèrent leur réélection grâce à une gestion consensuelle (et donc timorée d’un point de vue politique) ou sur la base de pratiques clientélistes (nécessairement dépolitisées). De ce point de vue, 2020 pourrait marquer une rupture dans l’histoire de la gauche puisque cette dernière a toujours revendiqué de politiser des élections locales. Cette démarche incarnait un clivage majeur avec la droite, notamment dans les années 1970.

Il s’agit également d’une stratégie pour la France Insoumise qui a annoncé sa volonté de promouvoir des « listes citoyennes » mais également – et surtout – pour LREM dont on peut considérer que l’intérêt consiste à brouiller toute analyse des municipales en raison de son implantation locale défaillante. En alternant les listes en propre et les soutiens sans cohérence d’ensemble, sans socle programmatique commun, mais avec la seule appréciation du rapport de force local, LREM pourra donc revendiquer uniquement des victoires. Le scrutin n’est ici appréhendé qu’au travers de son analyse politique et non du projet à porter au profit des citoyens.

             Dans ces conditions, la dépolitisation à l’œuvre représente un écueil majeur pour la gauche, au niveau national comme local.

  • En premier lieu, elle efface le projet politique au profit de la manœuvre électorale. Or, l’échelon municipal est celui des choix de vie et, par conséquent, s’avère éminemment politique. De la construction d’un cadre de vie aux services offerts à la population, les politiques publiques municipales procèdent d’une vision de la société et non d’une rationalité purement comptable. Il ne s’agit pas de gérer une ville ou d’accompagner des changements mais de promouvoir des solidarités, de donner du sens à l’espace public, de prendre à bras le corps les urgences et de préparer l’avenir.
  • Ce faisant, la dépolitisation enferme dans la posture de gestionnaire (revendiqué pragmatique ou technocratique dans le moins pire des cas) qui accompagne les changements plus qu’il ne les infléchit ; elle condamne aussi à des figures imposées à l’image du gel ou de la baisse de la fiscalité locale, mesure vide de sens quand elle prive de moyens d’action.
  • Elle rend plus complexes et précaires les alliances électorales. Car ces dernières ne sauraient se résumer à de simples exercices arithmétiques d’addition de voix ou de panachage de personnalités influentes ; elles supposent des convergences idéologiques pour définir leur contenu (un programme), leur pérennité (notamment face à l’exercice des responsabilités) ainsi que leur périmètre (les partenaires concernés).
  • Elle appauvrit le débat local qui se résume à des questions personnelles ou à des oppositions systématiques ; l’enjeu consiste à exploiter les lacunes, failles ou dysfonctionnements de l’équipe sortante. Les seules « innovations » se nichent dès lors dans l’emploi de méthodes qui, fussent-elles nobles et fécondes à l’instar de la consultation citoyenne, se révèlent souvent banales et vides de sens. En effet, un programme ne correspond guère à une accumulation de desiderata ou de frustrations individuelles et le principe de la démocratie représentative suppose du représentant qu’il dispose d’une vision plus générale que le mandant.
  • Enfin, dans un contexte de recomposition politique, elle affaiblit les courants politiques nationaux et contribue par conséquent à isoler les acteurs locaux qui ne disposent plus que de leur propre poids pour peser dans les discussions avec l’Etat, les grands partenaires ou les acteurs intercommunaux.

            L’ensemble de ces considérations plaide par conséquent pour un réarmement idéologique et une (re)politisation du scrutin municipal. Imprimer une dynamique de gauche dans la direction d’une commune (ou d’une intercommunalité) induit des choix politiques dont les conséquences s’avèrent très concrètes et clivantes. Or, si toutes les équipes municipales sont confrontées aux mêmes défis, il existe bel et bien une approche de gauche pour proposer d’autres horizons.

Face aux défis municipaux, la gauche en questions

            Comme évoqué plus haut, il ne s’agit pas ici de construire un programme municipal (l’ambition s’avérerait aussi démesurée que vaine) ; il ne s’agit pas non plus de prétendre à une quelconque exhaustivité de la réflexion. Le choix s’est plutôt porté sur l’évocation des grandes problématiques qui ne manqueront de se poser à une municipalité de gauche et de balayer diverses options qui méritent de plus amples développements. Ces derniers occuperont d’ailleurs une partie des publications de L’Hétairie dans les semaines à venir.

Quelques interrogations autour du service public municipal

            Outil majeur et principal poste de dépense, le service public municipal concentre des potentialités majeures pour une municipalité de gauche à la recherche de leviers pour appliquer un projet politique.

Accès au service public : pourquoi ne pas tenter la tarification sociale ?

            Parce que chacun doit pouvoir accéder au bien commun selon ses moyens, la tarification sociale semble constituer la pierre angulaire du service public municipal. Conditions de revenus, nombre d’enfants à charge, structure du foyer, population cible, sont autant de critères qui pourraient conduire à moduler la tarification des transports, des équipements municipaux, des établissements culturels, de la restauration scolaire, etc. Car les municipalités disposent par ce biais d’un outil de justice sociale mais également d’attractivité pour certains foyers cibles (jeunes couples, classes moyennes, etc.) afin de modeler la structure démographique.

            En outre, les municipalités de gauche pourraient également développer une tarification sociale et écologique applicable, par exemple,

  • Aux ordures ménagères dans un objectif de réduction de la quantité produite. Développement du compostage urbain, valorisation des déchets triés constitueraient autant de préalable à un paiement des déchets au poids tant la production des déchets dépend de la capacité acquisitive et donc des revenus des ménages.
  • A l’effort thermique des ménages en développant par exemple des réseaux de chauffage urbain qui présentent le triple avantage de l’universalité (tous y accèdent sans condition de revenus), de l’écologie et de l’économie.
  • Aux tarifs de stationnement. Pourquoi ne pas étudier par exemple l’inversion de la logique de facturation des parcs de stationnement ? Au lieu de payer au temps de stationnement, on pourrait envisager de payer uniquement le temps passé en dehors du parc, cela afin d’encourager les alternatives à la voiture. Ce changement majeur impliquerait naturellement un nouvel urbanisme, des offres alternatives de mobilité, un plan municipal en faveur de la marche, etc. ; il induit par conséquent un changement systémique.

            Dans cette perspective, les politiques de gratuité (notamment en matière de transports) interrogent grandement : la générosité – parfois électoraliste – de la démarche ponctionne néanmoins le budget municipal ou intercommunal, elle peut minorer les capacités d’investissement (voire d’entretien), grever les marges de manœuvre dans d’autres secteurs tandis qu’elle profite inutilement à ceux qui dont les revenus justifieraient une contribution.

Equipements municipaux : pourquoi ne pas envisager de nouvelles modalités ?

            Gymnases, centres sociaux, Maisons pour tous (MPT), maisons des associations, médiathèques, ces équipements incarnent un outil clé de l’action d’une municipalité dans les domaines sociaux, culturels ou sportifs. Mais, confrontées à la baisse des ressources, les collectivités réduisent nécessairement les constructions nouvelles. Au demeurant, la concurrence du secteur privé doit interroger dans la mesure où elle répond souvent à des aspirations des usagers en décalage avec la rigidité et l’uniformité de l’offre publique. Tel est particulièrement le cas dans le domaine sportif où le succès des salles de sport d’enseignes franchisées contraste avec la baisse des adhésions aux associations sportives.

            En réponse, tarification, amplitude horaire, promotion de la sociabilité, nouveaux partenariats constituent autant de questions à traiter pour une équipe municipale dans la promotion et la pérennisation de son offre de services aux citoyens. Car l’individualisation de la consommation de services génère un étiolement du lien social. En particulier, l’aide attentive au secteur associatif et bénévole paraîtrait extrêmement pertinente à la fois en raison de ses impacts en termes de proposition d’activités mais également de sociabilité.

            De même, alors que la transformation numérique de la société et des services publics s’accroît, les disparités d’accès et d’usage s’aiguisent proportionnellement, comme l’a signalé un récent rapport du Défenseur des droits. Pourtant, les économies réalisables grâce au numérique et l’augmentation de la qualité de service (smartcity, safecity) commandent d’amplifier les usages numériques. Dans cette perspective, parce qu’il incombe à une municipalité de tisser du lien social, il pourrait être envisagé de mettre en place un service public du numérique, nouveau front pour le combat de l’égalité des chances, à tous les âges. D’ailleurs, face à cette nouvelle forme de précarité, certaines mairies proposent déjà des formations ou mettent à disposition du personnel et du matériel au profit de cette frange de la population exclue du numérique. 

Gestion du service public : pourquoi ne pas promouvoir la régie ?

            Restauration scolaire, adduction d’eau potable, voire transports, une mairie doit-elle gérer en propre certains segments d’activités aux conséquences très concrètes dans la vie des citoyens ? La gestion en régie permet ainsi de définir une politique alimentaire (objectifs de santé publique avec la promotion de l’alimentation biologique mais aussi de denrées non-carnées ou la lutte contre l’obésité, éducation au goût, éducation citoyenne avec par exemple la lutte contre le gaspillage), une politique d’investissement et de maîtrise des coûts des grandes infrastructures, en particulier pour l’eau potable.  Elle s’inscrit donc dans une démarche volontariste au service d’une action au quotidien.

            Le retour en régie constituerait un marqueur politique fort après des années de délégations de service public dont les bénéfices doivent être questionnés au regard des opportunités induites par une maîtrise de certains instruments déterminants dans une politique municipale.

Quelques interrogations autour de l’espace et du temps (publics)

            L’appréhension de l’espace et du temps publics, la place qui leur est réservée dans la politique conduite, pourraient également aider à caractériser une municipalité de gauche.

Occupation de l’espace public : pourquoi ne pas œuvrer pour une vraie universalité ?

            On constate trop souvent que des catégories de la population voient leur accès à l’espace public limité :

  • Ainsi, les femmes occupent-elles l’espace public avec une amplitude horaire et une liberté géographique plus restreintes que celles des hommes. Face à ce constat, il conviendrait par exemple d’agir sur l’aménagement urbain (visibilité, éclairage, fréquentation, etc.) et de développer des éléments d’apaisement et de sécurisation, y compris diurnes. C’est donc la conception de l’espace lui-même qui pourrait faire l’objet d’un aggiornamento.
  • De même, les personnes âgées occupent l’espace public d’une manière et dans un but différent de ceux du reste de la population. En effet, un enjeu de sociabilité plus fort peut peser dans la mesure où la fréquentation du monde professionnel dynamise d’ordinaire les liens sociaux. Un effort pourrait donc être fourni pour créer les situations d’occupation de l’espace public (événements, activités) mais également pour la faciliter, avec notamment un mobilier urbain adéquat et en nombre suffisant. Plus globalement, l’attractivité renouvelée de l’espace public doit favoriser une politique municipale de lutte contre la solitude, mal social qui touche toutes les tranches d’âge et toutes les catégories sociales.
  • De surcroît, il convient de prendre en considération l’occupation de l’espace et des aménagements publics par les populations précaires. Dans la mesure où la prise en charge étatique s’avère défaillante et que toutes les municipalités ne disposent pas de ressources suffisantes pour pallier ces insuffisances, il conviendrait a minima de lutter contre les politiques d’invisibilisation de la précarité (mobilier urbain répulsif, arrêtés anti-mendicité, etc.)
  • Enfin, les villes sont trop peu conçues pour les enfants, hormis sous l’angle de la sécurisation des abords des écoles. Il convient donc de penser le mobilier urbain, les aires d’accueil et de loisir, le bruit occasionné, la voirie, la signalétique, la sûreté et la végétalisation dans le sens d’un réinvestissement de l’espace public par cette catégorie d’habitants dans une perspective de lien social mais également éducative (apprentissage de la citoyenneté, sécurité routière, parcours botanique, etc.). D’une manière générale, c’est une politique municipale de l’enfance qui doit advenir, laquelle dépasse largement les strictes prérogatives de la municipalité. Celle-ci implique une action systémique qui concerne le logement, l’espace public, la santé publique, l’éducation, etc.

Vivre dans la ville : pourquoi ne pas promouvoir une politique de santé publique ?

            Débitumer, déminéraliser, planter et entretenir des arbres, arbustes et fleurs, développer les fermes urbaines, intégrer les cours d’eau à un projet urbain, favoriser la biodiversité urbaine, encourager la rénovation thermique et œuvrer contre l’habitat indigne etc., constitueraient autant d’efforts pour améliorer le cadre de vie, travailler à plus de justice sociale, forger une politique éducative et participer de la transition écologique. Or les municipalités jouent un rôle éminent en ce domaine et doivent faire preuve de proactivité.

            Plus généralement, une municipalité est à bien des égards un acteur de la santé publique. Son rôle dans l’emploi des pesticides, dans la qualité de l’air et de l’eau, dans l’alimentation scolaire, les politiques de lutte contre l’obésité, la promotion de l’activité physique, la salubrité de nombre d’édifices, la propreté de l’espace public, la lutte contre les ilots de chaleur et la promotion des isolations thermiques et phoniques, etc., nécessiterait une plus grande coordination des efforts déployés dans le cadre d’une vraie politique municipale de santé publique.

            Dans ce cadre, une attention particulière doit être accordée à la lutte contre le bruit (urbain, privé, économique) qui cause nombre de maux et dégrade les relations sociales. Choix des revêtements, lutte contre les caisses de résonnance, réglementation municipale, médiation, concertation, assises de la nuit et désignation d’un adjoint au maire en charge de la nuit peuvent constituer autant de pistes pour créer un cadre paisible en dépit de la densité urbaine et de l’indispensable dynamisme.

Sûreté de l’espace public : pourquoi ne pas promouvoir une doctrine de gauche ?

            La thématique de la sécurité a aujourd’hui largement été dépolitisée alors même qu’elle doit répondre à une orientation politique afin d’articuler harmonieusement les dispositifs de surveillance (vidéosurveillance et, depuis peu, étude du son comme à Saint-Etienne), de prévention, d’intervention (police municipale), de médiation, de répression et l’aménagement urbain. L’équilibre imprimé dépend très clairement du projet de société promu par l’équipe municipale. Or, l’accent est trop souvent porté sur la capacité d’intervention face à un trouble et non pas de prévention ou de résolution. Il existe très clairement la capacité de produire une doctrine de sécurité propre aux équipes municipales de gauche, sans rien céder dans le domaine de la tranquillité publique.

Laïcité dans la sphère publique : pourquoi ne pas faire des mairies des acteurs de premier plan ?

            Le sujet se pose avec une acuité particulière dans la sphère et l’espace publics. L’extrême-droite et une partie de la classe politique voudraient ériger cet héritage culturel en nouvelle croisade tandis que, en réaction, certains se laissent aller à de la complaisance.

            Dans ce cadre, les municipalités ont un rôle éminent dans la défense de la laïcité, la promotion de l’esprit de concorde et de tolérance mais également le strict respect des obligations légales (conditions de fréquentation et d’accessibilité des équipements municipaux qui ont sans doute suscité le plus de remous, activités périscolaires, mixité sociale, subventions associatives).

Le temps public : pourquoi ne pas penser une politique municipale ?

            En 1981, François Mitterrand crée le ministère du Temps libre, preuve que ce sujet appartient de plein droit à la sphère politique. Or, les municipalités ont un rôle sur le temps comme l’illustre la création de Bureau des Temps dans certaines villes (à l’instar de Rennes). Qu’il s’agisse du temps de trajet intra-urbain, du temps commercial ou touristique, du temps périscolaire, du temps de loisir, les municipalités disposent de forts leviers d’action (fluidification du trafic urbain, offre de transport, attractivité de la ville, valorisation du patrimoine, équipements municipaux, subventions aux associations, etc.) D’une manière générale, chaque municipalité pourrait répondre aux différentes demandes de temps de vie des habitants : selon la tranche d’âge, les conditions sociales, les appétences ou le projet politique. On pourrait citer en particulier le cas du temps périscolaire qui, au-delà d’activités occupationnelles, peut offrir l’occasion d’une véritable politique d’égalité des chances (accompagnement scolaire, politique culturelle, mixité sociale et intergénérationnelle, etc.).

Quelques interrogations autour de la population

            La population pourrait être appréhendée au-delà de ses capacités critiques ou électorales. Elle correspond à la fois à une force de propositions et une donnée à modeler.

Vie démocratique : pourquoi ne pas œuvrer à une nouvelle démocratie représentative municipale ?

            Afin de gagner les élections, toutes les équipes municipales affichent leur intention de redonner la parole aux habitants et de les impliquer dans tous les dossiers. Mais, au-delà du gadget électoral, il importe de penser l’exercice des responsabilités en sachant impliquer, consulter mais aussi décider. Car la démocratie représentative suppose également de prendre des décisions et d’en assumer la responsabilité lors des élections.

            Dès lors, réanimer les conseils de quartiers et proposer des démarches participatives (notamment budgétaires) pour impliquer les citoyens semblerait pertinent. Il conviendrait également de recourir fréquemment aux consultations (mobilités, fréquence des transports collectifs et localisation des arrêts, gestion des déchets urbains, etc.) afin de prendre en considération les réalités quotidiennes. Dans cette perspective, les municipalités pourraient recourir plus fréquemment à l’expérimentation en établissant un processus rigoureux qui implique une définition du projet, une consultation, une mise en œuvre supervisée et une évaluation. A l’heure des villes numériques intelligentes, nourries par les données, il faut paver la voie à une commune politiquement intelligente.

            Enfin, une réflexion mériterait d’être menée concernant l’élection au suffrage universel direct de l’exécutif intercommunal. Cela permettrait notamment de déterminer des axes politiques et programmatiques afin de dynamiser cet échelon absolument déterminant et d’éviter la dépolitisation des sujets.

Structure démographique : pourquoi ne pas penser une politique municipale de peuplement ?

            Une équipe municipale a une influence déterminante sur le choix des habitants de la localité : politique de l’habitat, place des logements sociaux, stratégie de gentrification, gestion du foncier, critères de construction et de rénovation, offres d’équipements, fiscalité locale, etc., un exécutif municipal peut dessiner la sociologie d’une commune. Les objectifs de mixité sociale (en dépassant la sectorisation urbaine) et de cohésion se situent au cœur d’un projet de gauche. Il paraitrait dès lors appréciable de construire une approche revendiquée.


            Horizon mental et politique idoine, la municipalité constitue à la fois un terrain d’expérimentation et le cadre de déploiement de convictions politiques. Pour ce faire, il semble indispensable d’enrayer la dynamique de dépolitisation à l’œuvre depuis plusieurs années et qui connaît un regain inégalé depuis 2017. De même, une approche programmatique structurée s’impose pour renouer avec des pratiques fécondes.

            Ni vade-mecum, ni architecture programmatique, la présente contribution a pour objectif d’agiter les idées pour, ainsi que l’énonçait Montaigne dans Les Essais, « frotter et limer sa cervelle contre celle d’autrui ».

Notes

1 En revanche, si Valéry Giscard d’Estaing revendiquait de « gouverner la France au centre », son successeur de 2017 gomme cette référence dans ses discours grâce, précisément, à la faiblesse de deux bords de l’échiquier politique.