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Députés, donnez de la force au Parlement ! [Tribune #26]

Député de 2007 à 2017, ancien Président de la Commission des Lois

Collaborateur parlementaire et Co-fondateur de "La loi pour tous - Tous pour la loi"

       Le 7 mars 2018, le Sénat a adopté à l’unanimité des votants (309 voix) une proposition de Loi organique (PPLO) visant à améliorer la qualité des études d’impact des projets de loi qui modifie la loi organique n°2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution. De fait, l’Assemblée nationale dispose, depuis près d’un an, d’un texte pouvant être inscrit à l’ordre du jour à tout moment par le Gouvernement, la majorité ou tout autre groupe parlementaire dans le cadre d’une journée d’initiative parlementaire.

            Alors que l’examen de la réforme constitutionnelle a été interrompu l’été dernier du fait de l’affaire Benalla, que la possibilité d’un référendum à l’issue du Grand débat national est discutée, nous voulons ici montrer que ce texte pourrait constituer un outil puissant pour une évolution majeure de la procédure législative sans conduire ni un référendum, ni une réforme constitutionnelle.  Or  pareille  évolution pourrait induire des conséquences en cascade sur un grand nombre de sujets discutés ces dernières années.

            Dans sa version adoptée au Sénat, après avoir été très fortement modifiée en Commission, cette proposition de loi organique vise le sujet stratégique du temps législatif. Ainsi, son article 3 porte-t-il de dix à trente jours le délai octroyé à la Conférence des présidents de l’assemblée saisie pour constater la méconnaissance par l’étude d’impact d’un projet de Loi des règles qui s’y appliquent, et par conséquent pour refuser l’examen de ce texte. L’introduction d’un tel délai pourrait être de nature à inciter le Gouvernement à faire progresser sensiblement la qualité des études d’impact, laquelle est régulièrement critiquée, notamment par les avis du Conseil d’Etat sur les projets de loi.

            De même, une révision du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale pourrait fournir l’occasion de se saisir d’une telle modification de la loi organique afin de préciser les modalités de préparation de cet « examen de recevabilité » de l’étude d’impact. Elle pourrait également inciter les assemblées à systématiser la présentation des conclusions de cet examen afin de formaliser la validation ou l’invalidation de la recevabilité des projets de loi au regard de cette étude préalable. Ainsi le texte tel qu’adopté par le Sénat apporte-t-il déjà d’importantes possibilités de changement.

            Nous souhaiterions cependant formuler ici une proposition aux députés qui envisageraient d’inscrire cette proposition de loi organique à l’ordre du jour d’une journée d’initiative parlementaire [Proposition n°1].

            Comme le rappelle le rapport public du Conseil d’État pour l’année 2011[1] Consulter autrement, Participer effectivement, Rapport public du Conseil d’État, 2011., le potentiel des études d’impacts, s’agissant de concertation, de consultation, de qualité de la loi et d’évaluation de cette dernière, s’avère insuffisamment exploité, notamment du fait d’une procédure inadaptée. Le document souligne également la position très particulière qu’occupe l’étude d’impact dans les enjeux d’équilibre des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif. En effet, l’étude d’impact constitue un ensemble de documents qui pourrait se prêter de manière idéale à une démarche de concertation citoyenne. D’une part, sa forme favoriserait l’accueil des avis ainsi exprimés mais, en outre, ses contenus initiaux pourraient fournir des supports adaptés pour nourrir une telle procédure de débat public.

            Mais, alors que la précédente législature a expérimenté une consultation citoyenne lors de la phase d’élaboration gouvernementale d’un projet de loi[2]Projet de loi pour une République numérique, et indépendamment du bilan mitigé de cette démarche, nous voulons ici défendre l’idée selon laquelle c’est au Parlement de conduire pareilles démarches [Proposition n°2]. En premier lieu parce que la transparence des débats et la pluralité des consultations font partie intégrante des méthodes de travail classiques de nos assemblées, à la différence de la boîte noire qu’incarne la phase gouvernementale d’élaboration des projets de lois. Mais aussi parce que le déséquilibre des pouvoirs est déjà si favorable à l’exécutif que des projets de lois déposés au Parlement « auréolés » d’une consultation citoyenne brideraient le Parlement dans sa volonté d’amender les projets du Gouvernement. D’ailleurs, le Conseil d’État ne dit pas autre chose lorsqu’il souligne : « il serait tentant de proposer l’organisation formelle d’un débat public spécifique, de « type CNDP », dans le cadre même de l’étude d’impact, afin de disposer, avant le dépôt du projet de loi, du point de vue des représentants de la société civile. Toutefois, cette proposition est à exclure, car l’étude d’impact, ainsi précédée d’un débat public spécifique, pourrait être redondante avec des événements déjà survenus et serait susceptible d’être identifiée comme une entrave à l’action du Parlement ou, à tout le moins, comme une forme de pression d’autant plus forte que le débat public se tiendrait à proximité du débat parlementaire[3] Op. cit., p. 112. ». Par conséquent, il convient, non d’alimenter une logique d’opposition de la légitimité populaire à la légitimité parlementaire au bénéfice de l’exécutif, mais d’organiser une nouvelle alliance entre les citoyens et leur Parlement.

            La question clef est alors ici – comme souvent dans la procédure parlementaire – celle du temps. Et c’est sur ce point précis que la proposition de loi organique précitée pourrait servir de « baguette magique » ! Le Conseil d’État évoque d’ailleurs la question de la temporalité des études d’impact en soulignant : « la démarche qui sous-tend leur réalisation ne trouve sa pleine utilité que si elle est engagée sérieusement dès le commencement de la réflexion sur la réforme souhaitée, lorsque les différentes options sont encore ouvertes et qu’elle ne constitue pas une sorte d’alibi ou de validation ex post de choix effectués[4] Ibid., p. 111. ».

            L’importance cruciale de cette question des temporalités des différentes phases d’élaboration d’un projet de loi fut, du reste, au cœur de l’intention initiale du législateur lors de l’élaboration de la loi organique du 15 avril 2009, puisque celui-ci avait prévu que l’étude d’impact devait être engagée « dès le début de l’élaboration » du projet de loi par le Gouvernement. Le Conseil constitutionnel a néanmoins censuré cette disposition au motif qu’elle était contraire à la séparation des pouvoirs[5] Décision n°2009-579 DC du 9 avril 2009, considérant 13 : « Considérant que la compétence conférée par le troisième alinéa de l’article 39 de la Constitution à la loi organique … Continue reading.

            Si nous nous plions au jugement du Conseil constitutionnel, nous voulons ici proposer un compromis entre deux versions radicales de la temporalité de l’étude d’impact, l’une laissant ouverte la possibilité de sa réalisation ex post, l’autre exigeant sa réalisation avant même l’engagement des travaux de préparation du projet de loi.

            Récapitulons les enjeux : comme l’a souligné le Conseil d’Etat, l’étude d’impact ne peut constituer, sauf à ne pas répondre à ses attendus, « une sorte d’alibi ou de validation ex post de choix déjà effectués » dans la rédaction d’un projet de loi. Pour autant, le Conseil Constitutionnel a censuré l’obligation faite au Gouvernement de « justifier de la réalisation d’une étude d’impact dès le début de l’élaboration du projet de loi ». Par ailleurs, l’étude d’impact se compose d’un ensemble de documents qui pourraient très adéquatement nourrir et accueillir les résultats d’une consultation citoyenne dans cette phase amont de l’élaboration d’un projet de loi. Enfin, les sénateurs, dans leur proposition de loi, ont voulu octroyer vingt jours de plus au Parlement pour examiner l’étude d’impact, mais sans donner plus de temps au Parlement pour l’examen d’un projet de loi.

            Il nous semble que les parlementaires pourraient envisager de modifier la loi organique du 15 avril 2009 de manière à prévoir que le dépôt d’un projet de loi sur le bureau de la première assemblée saisie devrait être précédé de la transmission de certains des documents composant l’étude d’impact deux mois auparavant (délai à discuter) [Proposition n°3]. La liste des documents qui composent l’étude d’impact pourrait d’ailleurs être enrichie, modifiée, comme en atteste la proposition de loi organique sénatoriale dans sa version initiale [Proposition n°4].

            La mise en œuvre de ces mesures n’induirait que des avantages qu’une simple modification du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale suffirait à organiser :

le Parlement jouirait du temps nécessaire pour engager un travail d’analyse de ces documents, ce qui d’une part rendrait effectif son droit de refus d’examen d’un texte au motif d’une étude d’impact insuffisante et, d’autre part, constituerait la base nécessaire à un travail d’évaluation futur ;

Ce travail devrait, au regard de la procédure parlementaire, revenir de droit au rapporteur d’application, fonction qui échoit de droit à un député d’opposition. Ainsi la pluralité de la procédure parlementaire serait renforcée. Un rapporteur spécial de la Commission des affaires européennes pourrait se voir attribuer le document de l’étude d’impact qui doit analyser le droit européen en vigueur et en cours d’élaboration en lien avec le projet de loi envisagé. ;

Le rapporteur au fond disposerait d’un niveau d’information suffisant quant à l’intention de légiférer du Gouvernement pour engager son travail et gagner ainsi deux mois pour ses auditions ;

Le parlement pourrait, sur la base de ces documents, conduire une véritable consultation citoyenne en s’appuyant notamment sur les dispositions déjà existantes qui ouvrent le droit à tout citoyen de faire valoir remarques et avis sur les études d’impact. Le rapporteur d’application pourrait ainsi devenir un rapporteur citoyen ;

Le Gouvernement aurait la saine obligation méthodologique de réaliser certaines analyses de l’étude d’impact avant la finalisation de son projet de loi ;

Enfin, l’ensemble de la procédure législative ne serait pas allongée d’un jour, puisque cette réforme consisterait en fait à superposer la fin du temps de travail du gouvernement avec le début du travail parlementaire[6] Pour une analyse des conséquences en cascade d’une telle appropriation de l’étude d’impact dans la procédure parlementaire et ses effets potentiels sur les pouvoirs de … Continue reading !

            Magique, non ? Députés, à vous de conférer au Parlement et aux citoyens ces nouveaux pouvoirs !

Notes

1 Consulter autrement, Participer effectivement, Rapport public du Conseil d’État, 2011.
2 Projet de loi pour une République numérique
3 Op. cit., p. 112.
4 Ibid., p. 111.
5 Décision n°2009-579 DC du 9 avril 2009, considérant 13 : « Considérant que la compétence conférée par le troisième alinéa de l’article 39 de la Constitution à la loi organique concerne la présentation des projets de loi par le Gouvernement ; que, s’il était loisible au législateur de subordonner, sous les réserves énoncées aux articles 11 et 12 de la loi organique, l’inscription d’un projet de loi à l’ordre du jour de la première assemblée saisie au dépôt d’une étude d’impact et s’il appartient à la conférence des présidents de cette assemblée de constater que cette étude d’impact est conforme aux prescriptions de l’article 8 de la loi organique, le législateur ne pouvait demander au Gouvernement de justifier de la réalisation de cette étude dès le début de l’élaboration des projets de loi; que, par la suite, les mots : « dès le début de leur élaboration » insérés dans la première phrase du premier alinéa de l’article 8 de la loi organique sont contraires à la Constitution ».
6 Pour une analyse des conséquences en cascade d’une telle appropriation de l’étude d’impact dans la procédure parlementaire et ses effets potentiels sur les pouvoirs de l’opposition, la qualité de la loi, la participation citoyenne, l’articulation du droit européen et du droit national, les procédure d’évaluation législative, se référer à la note 35 de L’Hétairie : « Réforme du règlement de l’Assemblée nationale : propositions pour mieux légiférer et pour plus de démocratie ».